SCOP Fontanille : « On reprend possession de notre usine »
Vendredi 23 novembre à midi, les salariés de l'usine Fontanille rentrent du tribunal de commerce. Celui-ci vient de valider leur offre de reprise de l'entreprise pour laquelle certains travaillaient depuis plus de 20 ans. Ils entrent dans des locaux qui leurs appartiennent désormais et dont ils sentent -avec joie- que la charge leur revient désormais. Ils attendent fébrilement que Benoit Hamon, ministre délégué à l'économie sociale et solidaire, leur rende visite vers 15 heures. Mais surtout ils parlent sans s'arrêter de ce qui vient de se passer et de ce qui va arriver désormais. « C'est géant ce qu'on a fait là », se félicitent-ils tous au détour des conversations. « On reprend possession de notre usine », jubile l'un d'eux. « C'est sûr que ça change notre vision de la boîte », répond un brin pensif Michel Mallet un des teinturiers.René Visconte, grand rouquin en charge de la comptabilité de l'entreprise est l'un des cadres qui a porté le projet lancé initialement par Paulo Terroso, délégué CFDT de l'usine. A chaque employé qui vient le voir (ils sont d'ailleurs désormais tout autant sociétaires que salariés), il explique les plans pour les jours qui viennent. Rédaction des contrats, dépôt des statuts, reprise des contacts avec les clients.
« On va arrêter de penser avec des 'si ' maintenant », sourit le comptable alors que jusqu'à présent ils vivaient pendus à une décision qui leur échappait. Voilà qu'ils pensent déjà à un repas de Noël qu'ils pourraient passer ensemble. Comme si la vie repartait, ils balaient les quelques débris qui reposaient à l'entrée du parking où ils tenaient le blocus de l'usine. Dans son bureau d'ancien directeur commercial, Rolland Arnaud, range quelques papiers, bien maigres reliquats d'une lutte de trois semaines après 23 ans passés dans l'entreprise. Lundi il reviendra ici en tant que PDG de la SCOP, lui qui à 50 ans n'avait encore jamais endossé l'habit de patron.
Les SCOP existent depuis longtemps, mais elles restent encore peu connue par de nombreux organismes d'aide à l'industrie ou aux entreprises. Est-ce que cela vous a posé des problèmes dans le projet de reprise ?
Oui ça a posé certains problèmes. On l'a vu à travers les banques, à travers tout le montage du projet. Quand on le présentait au début, on nous recevait, mais c'était par pure politesse. Nous voyions bien que les gens n'y croyaient pas trop. Et puis le projet a évolué et a grandi. Et quand enfin on a eu une banque qui nous suivait, c'est comme si d'un coup on avait une boîte postale chez nous. Comme si on commençait à exister. Ça a été un tournant pour le projet, et à partir de là, une autre banque a été d'accord pour nous suivre. Le projet était acté.
Ensuite, pendant nos congés cet été, nous avons fait la tournée des clients, ceux qui représentaient au total 80 % du chiffre d'affaire, pour voir si c'était viable. Nous leur avons demandé une lettre d'intention par rapport au projet, un engagement sur le chiffre d'affaire. J'étais accompagné de notre comptable, René Viscomte, et nous avons pris 15 jours sur nos vacances pour faire ça. Nous avons obtenu des lettres d'intentions et donc commencé à rédiger un budget prévisionnel. Et puis surtout nous avons vu l'attachement des clients à notre usine. Même si notre projet était pas évident, personne ne nous a dit « nous on y va pas, c'est une SCOP, alors on ne suit pas ». Il y a eu une vraie reconnaissance à un haut niveau dans ces groupes. On a été pris au sérieux.
Le fait d'être une SCOP n'était pas un handicap ?
Non, pas vis-à-vis d'eux. Eux, ils connaissaient l'usine, ses produits, leur qualité et nos délais de livraison. Et surtout, ce qu'ils voulaient c'était une continuité dans les livraisons. Qu'il n'y ait pas une longue rupture. Ils savaient que nous étions en difficulté mais ne voulaient pas que l'usine s'arrête pendant des mois.
Désormais, vous possédez votre outil de travail. C'est un gros changement.
C'est une histoire fantastique. On saute de salariés à chef d'entreprise. On est propriétaires de nos machines. C'est un petit peu un conte de fée pour chaque salarié. Il y a trois semaines, on a tous été mis au chômage et puis aujourd'hui nous sommes acteurs de notre entreprise.
Aujourd'hui je suis confiant, mais je suis anxieux aussi. Moi je change de fonction : je deviens responsable d'une entreprise de 45 personnes. Il va falloir s'affirmer et puis être crédible vis-à-vis des clients. Ils sont la clé de voûte du projet car de notre côté, je sais que les salariés sont motivés.
Tout le monde a accepté certains reculs en terme salariaux, abandon du treizième mois, renégociation de votre accord interne sur les 35 heures et perte de l'ancienneté. A terme ces avantages vont-ils revenir ?
C'est sûr que les salariés ont fait des sacrifices. Mais l'idée c'est aussi de travailler et de gagner sa vie différemment. Moi je dirais que les 46 qui se sont engagés ont mis de côté leur intérêt strictement personnel. Ils ont pensé à leurs familles et à leur emploi, mais d'abord à leurs copains, à leur boîte. On était au pied du mur, et certains sans diplôme auraient pu se retrouver dans de très grandes difficultés une fois sans emploi. On aurait pu se retrouver désocialisés. Et chacun a pensé aux autres.
Par exemple, quand on a eu besoin d'un apport financier, chacun a mis ce qu'il pouvait, et ça c'était une grande réussite. A la barre du tribunal, on a remis un chèque de 100 000 euros, et c'était notre propre argent. On a vu que les salariés étaient prêts à de sacrés efforts. Quand on voit des gens qui gagnent 1200 ou 1300 euros par mois, et qui apportent un chèque de 1000 euros pour aider à monter la SCOP, c'est énorme. Je leur porte beaucoup de respect.
Et puis surtout, si ça marche, tout le monde y gagne. Si on fait du bénéfice, un tiers part dans les salaires, un tiers pour les sociétaires, et un tiers reste dans le capital de l'entreprise. Donc en réalité, le treizième mois, on va vite le retrouver. Et si on gagne beaucoup d'argent, ça sera même un quatorzième mois. S'il y a du gâteau, on le partagera.
Quel regard portez-vous sur les sur les trois semaines d'efforts pour la reprise et surtout sur les sept mois de travail pour imaginer le projet ?
Je n'arrive pas encore à réaliser tout ça. De voir tous les gens heureux comme ça, c'est fabuleux.
Au bout d'un moment quand on porte le projet et que les gens commencent à y croire, on ne peut plus reculer. C'était des moments difficiles pour tout le monde pendant trois semaines, même pour les familles, d'être incertain pour l'avenir. Pour nos conjoints et même nos enfants de nous voir tourner en rond. Certains m'ont dit qu'ils ne dormaient pas la nuit. Je pensais que les quatre cadres du projet, on était les seuls à vivre comme ça. Mais non, tout le monde le vivait difficilement.
De mon côté, je suis un homme heureux, c'est certain. Je pense avoir vraiment fait quelque chose de bien. Il y aura des moments difficiles c'est sûr. Mais nous sommes bien accompagnés.
Antonin Sabot
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