Comment les idées deviennent-elles contagieuses ?
La thèse comparant certaines idées à des "virus du cerveau" ne date
pas d'hier. Dans son livre Le Gène égoïste, paru en 1976, Richard Dawkins avait
créé la notion de mêmes, analogues "mentaux" des gènes, qui étaient
capables de s'autorépliquer d'un cerveau à l'autre, et qui, à l'instar des
créatures vivantes, cherchaient avant tout à maximiser leur capacité de
reproduction. Par la suite,
certains avaient essayé de donner corps à une nouvelle science, la mémétique,
se basant sur cette notion. L'idée n'a jamais vraiment pris, et peu de
chercheurs (à l'exception peut être du philosophe Daniel Dennett et de
l'anthropologue des religions Pascal Boyer) ont vraiment continué à travailler
sur ces bases. En 2005, le Journal of Memetics fermait définitivement ses
portes après huit années d'existence.
En revanche, les mêmes
sont devenus un élément constitutif de la pop culture internet. Restait
cependant à savoir si cette contagion des idées possède de véritables bases
neurales ou si elle n'est rien d'autre... qu'un mème.
Des recherches effectuées
à l'UCLA, sous direction du psychologue Matthew Lieberman, donnent aujourd'hui
à penser qu'il y aurait une réalité biologique à l'oeuvre dans ce processus de
"contamination" intellectuelle. Des chercheurs ont en effet étudié
les mécanismes cérébraux impliqués dans le "buzz".
Ils ont pour cela élaboré
une expérience psychologique pour laquelle ils ont recruté une vingtaine
d’étudiants. Ces derniers devaient jouer le rôle de membres d'un studio de
production, les "internes", chargés d'évaluer différents thèmes pour
une future émission télévisée. Un second groupe de 79 étudiants était composé
de "producteurs".
Les premiers devaient donc
examiner 24 propositions d'émissions : parmi elles, l'histoire d'une ancienne
reine de beauté cherchant à faire emprunter la même voie à ses filles, une
espèce de Koh Lanta ou Pékin express (un reality show où les joueurs traversent
des environnements difficiles), et, bien sûr, l’inévitable histoire
d'adolescents et de vampires. Pendant ce temps, leur cerveau était soumis à un
examen à l'IRM fonctionnelle. Ensuite, ils devaient convaincre les
"producteurs" de la valeur des "pitchs" qu'ils avaient
préférés, et cet entretien était enregistré en vidéo. Par la suite, les
chercheurs ont interrogé les producteurs pour déterminer quels internes ils
avaient trouvé les plus convaincants.
Le but de la recherche en
question n’était donc pas de mesurer l'activité cérébrale des
"internes" lorsqu'ils essayaient de convaincre un producteur, mais au
contraire de savoir ce qui se passait dans la tête desdits internes juste
avant, au moment où ils recevaient l'information. Autrement dit, il s'agissait
de comprendre l'activité cérébrale du premier récepteur du buzz ; celui qui,
par la suite, partagera la nouvelle avec les autres, et avec succès.
"Nous sommes
constamment confrontés à l'information via Facebook, Twitter ou autres, a
expliqué Lieberman. Nous en partageons certaines, et nous ne le faisons pas
avec beaucoup d'autres. Est-ce qu'il se passe quelque chose au moment où nous
voyons une information pour la première fois - peut être avant même que nous
réalisions que nous allons contribuer à la répandre - qui s'avère différent
pour les éléments que nous partageons avec succès, contrairement aux autres cas
?"
Une aubaine pour les
publicitaires ?
Les
psychologues ont découvert que les internes qui se montraient les plus
persuasifs lorsqu'ils essayaient de convaincre les producteurs de la valeur des
thèmes qu'ils avaient sélectionnés montraient une activité forte d'une région
du cerveau nommée le carrefour temporo-pariétal. Cette zone était moins active
chez les internes moins doués, ou lorsque l'idée présentait moins d'intérêt.
Selon les chercheurs, ce fut la seule zone montrant cette caractéristique. On
n'a rien trouvé de particulier par exemple dans les sections liées à la mémoire
alors qu'on aurait pu s'y attendre, expliquent-ils.
Le carrefour
tempo-pariétal est lié à la capacité de "mentalisation" autrement dit
à la compréhension de ce que les autres pensent, bref à la fameuse
"théorie de l'esprit" très à la mode en ce moment. Par exemple si on
inhibe cette zone à l'aide de la stimulation magnétique transcrânienne, il est
possible d'affecter notre jugement moral…
"Le carrefour
temporo-parietal a été la seule zone dont l'activité différenciait les internes
qui réussissaient plus à propager leurs idées préférées de ceux qui étaient
moins chanceux (...). Il est possible que les meilleurs communicateurs
pensaient déjà aux moyens de rendre l'information utile et intéressante pour
les autres, plutôt que simplement apprécier l'information pour elle-même",
expliquent les chercheurs dans
leur papier (.pdf).
Evidemment, ce n'est qu'un
premier pas, et il faut toujours mettre au conditionnel ces découvertes, voir
si elles seront confirmées par des recherches ultérieures. Dans l'attente, le
communiqué de presse de l'UCLA imagine déjà les applications qui pourraient
sortir d'une telle recherche : elle permettrait de savoir quelles sont les
idées susceptibles de fonctionner auprès du grand public, et donc, entre
autres, de réaliser de meilleures campagnes de pubs. Une perspective
inquiétante que le communiqué tempère en disant que cela aiderait également à
l'élaboration de campagnes d'information liées à la santé publique pour lutter
contre le tabac ou l'obésité...
Matthew Lieberman nous en dira peut-être plus sur
ses théories dans son livre à paraître Social
: Why Our Brains Are Wired to Connect (Social : pourquoi nos cerveaux sont
câblés pour se connecter).
Rémi Sussan
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