Face à la crise, le mirage du tourisme
La Vallée du bijou a été durement touchée par la crise où des centaines de personnes ont perdu leur emploi depuis 2008.
JBM
L’activité
touristique pour pallier la crise ? L’Ardèche y croit. Pourtant, dans le
sud, le tourisme de masse est vecteur de précarité. Reportage au fil
des routes du département.
Depuis son bureau où sont
placardées des affiches syndicales de combats passés, le secrétaire
général de l’Union locale des syndicats CGT du Cheylard, Daniel
Bacquelot, n’a pas le moral. Un des trois poumons industriels du pays
des Boutières, dans le centre du département, n’en finit pas d’agoniser.
Après le plan de licenciement 2008-2009 qui mettait fin à 92 emplois
sur les deux sites ardéchois du Cheylard (3500 habitants) et de Saint
Martin de Valamas (1300 habitants), commune toute proche, un plan dit de
«redressement» supprimait 152 emplois du groupe GL Bijoux sur les 623
du département, 229 au niveau national. Un nouveau coup dur pour la
«Vallée du bijou».
Le syndicaliste énumère les raisons de ces suppressions devenues banales dans un pays en crise: augmentation du prix des matières premières, concurrence de la Chine, crise économique qui restreint les commandes, délocalisation d’une partie des activités vers la Thaïlande. Cette vallée, accessible seulement par des départementales sinueuses, est pourtant le second pôle industriel du département. Elle a longtemps échappé aux crises économiques. Dès le XIXe siècle, des industries s’y sont installées pour tirer profit de la puissance des cours d’eau, par exemple dans le textile grâce à la technique du moulinage.
Demeurent encore sur place l’entreprise Chomarat (textile, plastique, fibre de verre) avec ses 680 emplois, qui a elle supprimé 182 postes en juillet 2012, et Perrier, spécialisé dans l’embouteillage, avec 150 collaborateurs. Le souvenir des autres industries est relégué dans un musée inauguré en 2005: «L’Arche des métiers». Le directeur de l’Office du tourisme et directeur de l’Arche, Christian Feroussier, souhaite voir se développer «le tourisme comme un complément à l’industrie». Une logique défendue par le maire UMP Jacques Chabal, qui déclarait à Hebdo-Ardèche en juillet qu’«aujourd’hui, il est illusoire de croire que l’avenir du Cheylard passe uniquement par l’industrie (...)».
Tourisme «culturel»
Du coup, la Vallée du bijou change. Alors que des locaux d’usines aux toits de scie semblent abandonnés, des itinéraires de randonnées et de VTT sont aménagés, notamment sur une ancienne voie ferrée, une base aquatique de 1600 m2 trône au milieu des montagnes, et l’Arche des métiers s’est installée dans une ancienne tannerie du centre du Cheylard. Selon l’Office du tourisme, il y a eu 6271 visiteurs en 2012 contre 4834 en 2010.
Face à un taux de chômage de 11,3% (contre 9,3% en Rhône-Alpes), la solution du tourisme «culturel» s’impose, selon le député PS Pascal Terrasse qui, en tant que président du Conseil général de 2006 à 2012, a initié le mouvement. Il relève l’absence d’autoroute, de chemin de fer, d’université sur le département. «Ceux qui ont des alternatives, je suis prêt à les écouter» lance-t-il. Ce tourisme culturel passe par la promotion de villages «de caractère» ou la remise en service en septembre du Mastrou, un train à vapeur circulant le long de la vallée du Doux et qui pourrait profiter à la Vallée du bijou située à 20 kilomètres de là. L’objet de toutes les attentions est la restitution de la grotte Chauvet, dans le sud du département, avec ses célèbres fresques du paléolithique. Les travaux se termineront début 2015. Cinquante millions d’euros y ont été investis. «La grotte Chauvet devrait être visitée par 400 000 personnes par an dont 100 000 spécialement pour la grotte» assure le directeur de l’Agence de développement touristique de l’Ardèche, Gil Breysse.
Les entrepreneurs qui se sont investis dans le tourisme dans la Vallée du bijou ont encore du mal à en récolter les fruits. Françoise Batifole a repris le camping municipal de Saint Martin de Valamas il y a trois ans et ne vit toujours pas de son activité. Elle souhaite en faire une étape pour cyclistes et vététistes. Elle organise des circuits sur plusieurs jours. «Mais trouver des épiceries, des restaurants tout au long du parcours est difficile» relève-t-elle.
Un tourisme d’été qui précarise
Il faut descendre plus au sud pour rencontrer le tourisme de masse, quitter les vallées humides pour rejoindre les terres arides et les cigales du sud d’Aubenas. Le territoire nommé Ardèche Plein Sud concentrait 44% des fréquentations en 2007, selon l’Observatoire départementale de l’économie touristique. Vallon Pont d’Arc en est la Mecque. Les campings s’enchaînent le long des gorges de l’Ardèche, des boutiques appellent à louer des canoës, sous l’arc surplombant la rivière les petites embarcations fluo se bousculent.
Cédric est serveur dans un restaurant du centre-ville, payé au Smic. Il vient d’Annonay, dans le nord du département, ville aussi touchée par la crise. «Il y a quatre ans, j’enchaînais facilement les boulots en intérim. Aujourd’hui je ne trouve plus rien» raconte-t-il. Il a donc décidé de descendre. L’activité est concentrée dans le temps. Sur les 442 millions d’euros dépensés en Ardèche par les touristes, la moitié le sont en juillet-août, estime l’Observatoire départementale de l’économie touristique. Malgré l’afflux de touristes, l’Ardèche méridionale demeure pauvre. D’après l’Insee (Institut national de la statistique), le revenu net imposable sur l’année est de 18 981 euros contre 24 070 euros dans le reste de la région Rhône-Alpes.
Enrico Riboni, directeur des Missions locales de l’Ardèche méridionale, explique que les locaux ne bénéficient pas tant du tourisme: «L’offre d’emploi ne correspond pas à la demande. Les personnes qualifiées cherchent du boulot à plein temps et donc partent d’ici.» Durant notre entretien d’une heure dans ce centre public pour l’emploi, trois personnes sont venues se plaindre de harcèlement de la part de leurs employeurs. Dans le tourisme, les libertés prises avec le droit du travail sont monnaie courante.
Pari aux nombreuses failles
Gil Breysse et Pascal Terrasse se récrient face à ce tourisme qualifié de «cueillette». Avec le projet de restitution de la grotte notamment, ils cherchent à capter une «clientèle de qualité», entendre qui «mette la main à la poche», selon les termes du député Pascal Terrasse. Ce nouveau tourisme permettrait d’avoir des visiteurs tout au long de l’année, des touristes de proximité venus des grandes villes à deux ou trois heures de là: Lyon, Montpellier, Valence. Encore faut-il que les infrastructures suivent. L’Ardèche est la championne du camping, idéal pour une clientèle populaire. Les deux tiers des hébergements marchands sont de plein air.
A Vallon-Pont-d’Arc, les professionnels ne croient pas à ces nouveaux 100 000 touristes dépensiers. Tatiana, patronne d’un restaurant, préfère ne rien en attendre: «C’est un parc d’attraction avec tout sur place. Les bus vont monter là-haut et repartir.»
Les coins les plus reculés du département, comme la vallée du Burzet à trente minutes au nord d’Aubenas, resteront probablement à l’écart de ce «tourisme culturel». Albert Soboule, 75 ans, qui fut maire de Saint-Pierre de Colombier, ancien ouvrier et contremaître, se rappelle quand la commune possédait sept usines de moulinage. Il y a quinze ans encore, ils étaient plus de 80 employés pour une commune d’environ 400 personnes. La dernière école a fermé il y a trois ans. «Il ne reste plus que quelques entreprises de maçonnerie qui travaillent sur les maisons secondaires.» Une maison de retraite embauche quelques personnes, les habitants qui ont voulu se lancer dans des gîtes se sont ravisés. Sa fille et sa sœur ont quitté le village. Aujourd’hui, Albert Soboule explique que les jeunes restent mais vont travailler à Aubenas. Le nombre d’habitants de la petite commune n’a presque pas bougé depuis 1999. Elle demeure figée dans le temps comme le sera le département si les espérances du tourisme dépensier ne relèvent que du mythe. I
Le syndicaliste énumère les raisons de ces suppressions devenues banales dans un pays en crise: augmentation du prix des matières premières, concurrence de la Chine, crise économique qui restreint les commandes, délocalisation d’une partie des activités vers la Thaïlande. Cette vallée, accessible seulement par des départementales sinueuses, est pourtant le second pôle industriel du département. Elle a longtemps échappé aux crises économiques. Dès le XIXe siècle, des industries s’y sont installées pour tirer profit de la puissance des cours d’eau, par exemple dans le textile grâce à la technique du moulinage.
Demeurent encore sur place l’entreprise Chomarat (textile, plastique, fibre de verre) avec ses 680 emplois, qui a elle supprimé 182 postes en juillet 2012, et Perrier, spécialisé dans l’embouteillage, avec 150 collaborateurs. Le souvenir des autres industries est relégué dans un musée inauguré en 2005: «L’Arche des métiers». Le directeur de l’Office du tourisme et directeur de l’Arche, Christian Feroussier, souhaite voir se développer «le tourisme comme un complément à l’industrie». Une logique défendue par le maire UMP Jacques Chabal, qui déclarait à Hebdo-Ardèche en juillet qu’«aujourd’hui, il est illusoire de croire que l’avenir du Cheylard passe uniquement par l’industrie (...)».
Tourisme «culturel»
Du coup, la Vallée du bijou change. Alors que des locaux d’usines aux toits de scie semblent abandonnés, des itinéraires de randonnées et de VTT sont aménagés, notamment sur une ancienne voie ferrée, une base aquatique de 1600 m2 trône au milieu des montagnes, et l’Arche des métiers s’est installée dans une ancienne tannerie du centre du Cheylard. Selon l’Office du tourisme, il y a eu 6271 visiteurs en 2012 contre 4834 en 2010.
Face à un taux de chômage de 11,3% (contre 9,3% en Rhône-Alpes), la solution du tourisme «culturel» s’impose, selon le député PS Pascal Terrasse qui, en tant que président du Conseil général de 2006 à 2012, a initié le mouvement. Il relève l’absence d’autoroute, de chemin de fer, d’université sur le département. «Ceux qui ont des alternatives, je suis prêt à les écouter» lance-t-il. Ce tourisme culturel passe par la promotion de villages «de caractère» ou la remise en service en septembre du Mastrou, un train à vapeur circulant le long de la vallée du Doux et qui pourrait profiter à la Vallée du bijou située à 20 kilomètres de là. L’objet de toutes les attentions est la restitution de la grotte Chauvet, dans le sud du département, avec ses célèbres fresques du paléolithique. Les travaux se termineront début 2015. Cinquante millions d’euros y ont été investis. «La grotte Chauvet devrait être visitée par 400 000 personnes par an dont 100 000 spécialement pour la grotte» assure le directeur de l’Agence de développement touristique de l’Ardèche, Gil Breysse.
Les entrepreneurs qui se sont investis dans le tourisme dans la Vallée du bijou ont encore du mal à en récolter les fruits. Françoise Batifole a repris le camping municipal de Saint Martin de Valamas il y a trois ans et ne vit toujours pas de son activité. Elle souhaite en faire une étape pour cyclistes et vététistes. Elle organise des circuits sur plusieurs jours. «Mais trouver des épiceries, des restaurants tout au long du parcours est difficile» relève-t-elle.
Un tourisme d’été qui précarise
Il faut descendre plus au sud pour rencontrer le tourisme de masse, quitter les vallées humides pour rejoindre les terres arides et les cigales du sud d’Aubenas. Le territoire nommé Ardèche Plein Sud concentrait 44% des fréquentations en 2007, selon l’Observatoire départementale de l’économie touristique. Vallon Pont d’Arc en est la Mecque. Les campings s’enchaînent le long des gorges de l’Ardèche, des boutiques appellent à louer des canoës, sous l’arc surplombant la rivière les petites embarcations fluo se bousculent.
Cédric est serveur dans un restaurant du centre-ville, payé au Smic. Il vient d’Annonay, dans le nord du département, ville aussi touchée par la crise. «Il y a quatre ans, j’enchaînais facilement les boulots en intérim. Aujourd’hui je ne trouve plus rien» raconte-t-il. Il a donc décidé de descendre. L’activité est concentrée dans le temps. Sur les 442 millions d’euros dépensés en Ardèche par les touristes, la moitié le sont en juillet-août, estime l’Observatoire départementale de l’économie touristique. Malgré l’afflux de touristes, l’Ardèche méridionale demeure pauvre. D’après l’Insee (Institut national de la statistique), le revenu net imposable sur l’année est de 18 981 euros contre 24 070 euros dans le reste de la région Rhône-Alpes.
Enrico Riboni, directeur des Missions locales de l’Ardèche méridionale, explique que les locaux ne bénéficient pas tant du tourisme: «L’offre d’emploi ne correspond pas à la demande. Les personnes qualifiées cherchent du boulot à plein temps et donc partent d’ici.» Durant notre entretien d’une heure dans ce centre public pour l’emploi, trois personnes sont venues se plaindre de harcèlement de la part de leurs employeurs. Dans le tourisme, les libertés prises avec le droit du travail sont monnaie courante.
Pari aux nombreuses failles
Gil Breysse et Pascal Terrasse se récrient face à ce tourisme qualifié de «cueillette». Avec le projet de restitution de la grotte notamment, ils cherchent à capter une «clientèle de qualité», entendre qui «mette la main à la poche», selon les termes du député Pascal Terrasse. Ce nouveau tourisme permettrait d’avoir des visiteurs tout au long de l’année, des touristes de proximité venus des grandes villes à deux ou trois heures de là: Lyon, Montpellier, Valence. Encore faut-il que les infrastructures suivent. L’Ardèche est la championne du camping, idéal pour une clientèle populaire. Les deux tiers des hébergements marchands sont de plein air.
A Vallon-Pont-d’Arc, les professionnels ne croient pas à ces nouveaux 100 000 touristes dépensiers. Tatiana, patronne d’un restaurant, préfère ne rien en attendre: «C’est un parc d’attraction avec tout sur place. Les bus vont monter là-haut et repartir.»
Les coins les plus reculés du département, comme la vallée du Burzet à trente minutes au nord d’Aubenas, resteront probablement à l’écart de ce «tourisme culturel». Albert Soboule, 75 ans, qui fut maire de Saint-Pierre de Colombier, ancien ouvrier et contremaître, se rappelle quand la commune possédait sept usines de moulinage. Il y a quinze ans encore, ils étaient plus de 80 employés pour une commune d’environ 400 personnes. La dernière école a fermé il y a trois ans. «Il ne reste plus que quelques entreprises de maçonnerie qui travaillent sur les maisons secondaires.» Une maison de retraite embauche quelques personnes, les habitants qui ont voulu se lancer dans des gîtes se sont ravisés. Sa fille et sa sœur ont quitté le village. Aujourd’hui, Albert Soboule explique que les jeunes restent mais vont travailler à Aubenas. Le nombre d’habitants de la petite commune n’a presque pas bougé depuis 1999. Elle demeure figée dans le temps comme le sera le département si les espérances du tourisme dépensier ne relèvent que du mythe. I
L’Ardèche, terre d’alternative
Le sud de l’Ardèche n’est pas toujours synonyme de précarité. Il accueille des initiatives qui proposent une autre logique. Dans l’Ardèche méridionale, non loin des touristes qui s’ébrouent le long des gorges de l’Ardèche, sur la petite commune de Casteljau, une route proche du chemin amène au hameau des Buis et à la Ferme des Enfants. Le hameau est écologique, solidaire et promeut une autre éducation. Sur un hectare, des maisons en bois, plus loin une ferme...Les premiers habitants de ce village comptant 55 habitants sont venus s’y installer en 2012. Tous étaient portés par une idée: soutenir l’école. Laurent Bouquet, un des meneurs du projet, raconte l’histoire de sa compagne, Sophie Bouquet Rabhi, fille de Pierre Rabhi, initiateur de l’agroécologie et chantre de «la sobriété heureuse». La naissance de son premier fils la pousse à dévorer ouvrages et études sur l’éducation. En 1995, elle quitte Paris et fonde une école en Ardèche qui ouvrira ses portes quatre ans plus tard. Elle s’inspire de la pédagogie Montessori, du pédagogue Célestin Freinet, du philosophe Rudolf Steiner ou encore de la psychanalyste Alice Miller. Les besoins de l’enfant doivent être écoutés, respectés, c’est la «pédagogie de la bienveillance 1». Aujourd’hui, la Ferme des Enfants compte plus de 65 élèves, de la maternelle au collège.
Les habitants du hameau en sont aussi les artisans. Chacun est impliqué dans le projet. Leur installation finance l’école grâce à la mise en commun des apports financiers. Toujours soucieux de demeurer dans une économie d’échange, les habitants ne sont pas propriétaires et la durée du bail est indéterminée. La somme versée pour s’établir leur est restituée à leur départ et augmente selon l’inflation. Laurent Bouquet le reconnaît: les maisons ne sont accessibles qu’aux personnes qui en ont les moyens. En plus du coût de départ, 125 000 euros pour un T3, le loyer est de 520 euros. Le compagnon de Sophie Bouquet-Rabhi espère que, dans vingt ans, il ne sera plus nécessaire de payer le droit d’installation, car les emprunts seront intégralement remboursés.
L’école dynamise aussi ce pays reculé. Laurent Bouquet explique que 130 familles se sont établies dans des villages voisins attirés par la Ferme des Enfants, et le mouvement va sûrement au-delà. Christine Herenguel, 38 ans, ancienne professeure d’espagnol agrégée, a quitté son travail et le Nord-Pas-de Calais «pour vérifier si l’Ardèche n’était pas un mythe». Pierre Rabhi n’est pas étranger à ce choix. La mère de 4 enfants conclut en rigolant: «Et bien non. On peut vivre bien mieux avec bien moins.»
Le hameau des Buis se veut un exemple: «C’est un prototype d’organisation sociale applicable sur le territoire», soutient Laurent Bouquet. Aux personnes intéressées, les portes du hameau sont ouvertes comme le démontre la présence de bénévoles sur le site. Pas certain que les saisonniers et précaires ayant du mal à boucler les fins de mois aient connaissance de cette initiative.
Jean Baptiste Mouttet
1. La Ferme des Enfants : Une pédagogie de la bienveillance, Sophie Bouquet Rabhi, Ed. Actes Sud, 2011.
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