Aujourd’hui coexistent
deux visions du monde rural, aussi stériles l’une que l’autre pour l’avenir.
Pour les uns, l’espace
rural doit rompre avec la croissance démographique de ces dernières décennies.
Cette croissance est un leurre car elle est alimentée aux trois quarts par
l’étalement urbain, de «nouveaux habitants» qui font un pas de côté pour un
nouveau mode de vie ou à cause du coût de l’habitat dans les centres-ville où
ils travaillent.
Pour les autres, la
poursuite de la croissance démographique est le mouvement «naturel» de l’espace
rural, la marque de sa vitalité. Arrêter ce mouvement, c’est ouvrir le spectre
de la désertification. Ces deux discours puisent des arguments dans des
réalités trop contrastées. Quoi de commun entre ces lotissements champignons
qui poussent dans «l’entre deux» des champs et des villes et le semis des
villages enracinés loin des mobilités périurbaines ? Quoi de commun entre les
espaces ruraux de régions en croissance - arrière-pays de l’arc atlantique ou
Piémont lyonnais - et ceux des diagonales arides - Cantal ou Ardennes
post-industrielles ?
Les deux postures
présentent des écueils. Ecueil de la poursuite d’un urbanisme de la demande qui
artificialise les sols, masque le coût des réseaux et de la mobilité et capte
de nouveaux résidents sans liens solides avec leur environnement naturel et
humain. Ecueil aussi d’une société qui, fascinée par le «fait urbain», semble
oublier que le maintien des fonctions vitales du monde rural ne résiste pas au
retrait de ses forces vives. La vérité, c’est qu’une troisième voie est
possible ! Elle concilie l’urgente obligation de préserver les biens communs -
ressources naturelles et moyens publics - et celle de renouveler les
générations rurales. Trois actes permettent cette renaissance.
Premier acte :
rééquilibrer la croissance démographique. La planification de l’habitat
doit se faire au bénéfice des espaces ruraux les plus éloignés et des cœurs de
ville. Nous devons rompre avec une vision dépassée du développement sur
l’archétype «centre-périphérie» et choisir le maillage polycentrique comme
modèle.
Deuxième acte : partager
les moyens publics. Le réseau des services à la population devra traduire un
nouvel équilibre entre la maîtrise du coût public et l’égalité des chances pour
l’ensemble des habitants. Les outils de péréquation et de développement
«traditionnels» doivent être modernisés. D’autres doivent naître pour rendre
possible la rénovation rurale : maîtrise publique du foncier, conventions
cadres avec les bailleurs sociaux pour des logements «mixtes», enfin une aide à
la pierre équivalente à celle des politiques urbaines doit permettre des
opérations de rénovation rurale.
Troisième acte :
l’innovation publique dans la relation ville-campagne. Nous devons sortir des
prés carrés dans la décision publique et d’une certaine désinvolture quant à
l’argent public. Les citoyens attendent des politiques qui intègrent
les nouvelles manières d’habiter à la fois l’espace rural et urbain. Vivre
et investir autrement est une chance pour le pouvoir d’achat, le bilan
carbone mais aussi la qualité de vie !
A ces trois actes, nous
devons ajouter une conviction : il n’y aura pas de croissance qualitative pour
nos espaces sans une nouvelle génération d’entrepreneurs ruraux. Les sources
de valeurs ajoutées inexploitées sont immenses : marché de produits
agroalimentaires de qualité ; production d’énergie renouvelable ; tourisme et
loisirs à taille humaine ; réseaux de petites entreprises créatrices de biens
et de services… La loi d’avenir agricole vise, pour ce qui la concerne,
à redonner sa chance à l’emploi en milieu rural.
Un changement de paradigme
s’impose. L’image de l’arbre peut nous aider. Vu du ciel, sa représentation met
au même plan racines et feuillages ; elle illustre le maillage géographique
français dans sa diversité. Le tronc, symbole de la ville par sa densité et sa
fonction structurante. Les espaces ruraux en sont les indispensables racines :
eau, air, énergie, alimentation. Les branches illustrent le maillage de l’urbanité
rurale. Un territoire d’avenir est comme un arbre dont le tronc et le branchage
sont équilibrés. Un arbre où la sève circule bien, des racines jusqu’aux
feuilles.
Alors, comme un seul
arbre, sommes-nous tous habitants d’espaces dépendants les uns des autres ?
C’est possible, si, unis dans la diversité, nous sommes acteurs d’un système
multipolaire, s’il s’agit de rompre avec la limite du cadastre rural comme avec
une certaine folie des grandeurs urbano-centriques, si des conditions de vie
dignes et équitables sont recherchées pour tous ceux qui sont exclus, à la
ville comme à la campagne… L’équilibre entre vie moderne et écosystème durable
passe par un nouveau pacte d’aménagement du territoire et doit contribuer à
réduire les fractures territoriales qui, ajoutées aux inégalités sociales,
fragilisent la citoyenneté et par là même la promesse républicaine.
DOMINIQUE POTIER Député PS de Meurthe-et-Moselle,
CAROLE DELGA Députée PS de Haute-Garonne, secrétaire nationale à l’égalité des
territoires et au logement
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