Les voies de la résistance
Les
marchés financiers mondialisés continuent de dominer les économies et
les sociétés au détriment des plus pauvres. Ils sont par ailleurs
l’instance première de la production autonome de légalité et de
politiques publiques. Tous les paramètres économiques, sociaux et
politiques dépendent de leur fluctuation : l’emploi et les salaires,
mais aussi la capacité de jouir des droits fondamentaux (du droit au
logement au droit à la santé).
Vox populi, vox dei. Selon un sondage d’opinion mondial réalisé par la Confédération syndicale internationale, mené dans 13 pays, 87% des personnes interrogées considèrent que leurs salaires ont diminué par rapport au coût de la vie ou sont restés les mêmes. Une personne interrogée sur huit connaît des problèmes financiers et ne peut plus couvrir ses dépenses de base.
Les auteurs du sondage enregistrent une croissance des inégalités et un fossé grandissant entre les dirigeants et les citoyen(ne)s a été enregistré l’année dernière. Seulement 13% des personnes interrogées dans le sondage considèrent que les gouvernements agissent dans leur intérêt.
Par ailleurs, « 28% des personnes se montrent désenchantées, voire découragées, convaincues que les gouvernements n’agissent ni dans l’intérêt des citoyen(ne)s ni dans celui des entreprises ».
« Il existe une profonde méfiance à l’égard des gouvernements et des institutions. Les dirigeants doivent tenir leurs promesses de mettre fin au comportement spéculatif, d’affronter les banques et d’éliminer l’évasion fiscale afin de démontrer aux travailleurs et aux travailleuses qu’ils agissent dans leur intérêt », commente Sharan Burrow, secrétaire générale de la CSI.
Pour autant, rien n’est perdu. Les quatre figures dominées de notre société contemporaine ont la capacité de se révolter et de se mouvoir en figures de puissance pour s’affranchir de leur condition d’appauvrissement, de misère et de solitude, projettent Michael Hardt et Antonio Negri (*).
De nos jours, les mouvements sociaux se développent à partir d’une « décision de rupture qui mène à une proposition d’agir commune ». Les deux auteurs recensent quatre niveaux de rupture correspondant aux quatre figures de subjectivités de la société moderne.
Que peut faire « l’endetté », entravé par des chaînes invisibles ? Que peut-il faire pour les reconnaître, les saisir, les briser et devenir enfin libre ? Il est attendu de lui d’inverser la dette en refusant de la payer : « Je ne paierai pas, nous ne paierons pas votre dette. Nous refusons d’être expulsés de chez nous. Nous ne nous soumettrons pas à des mesures d’austérité. Au lieu de cela, nous voulons nous approprier votre – en réalité, notre – richesse. »
Le refus des pauvres et des précarisés de se soumettre au joug individuel et collectif de la dette peut détruire le pouvoir de l’argent et instaurer des liens sociaux en lieu et place des liens financiers. Deux mouvements témoignent de cette volonté : d’abord, les manifestations altermondialistes contre la Banque mondiale et le FMI, notamment ceux d’Argentine en 2001 et précédemment ceux de 1976 au Pérou, 1977 en Egypte et 1989 au Venezuela ; ensuite, les émeutes destinées à rejeter le fardeau des dettes individuelles et individualisantes, comme celles de Los Angeles en 1992, Paris en 2005 et Londres en 2011.
Quid du médiatisé ? Il est attendu de lui de détourner son attention des médias pour découvrir la vérité et de produire de nouvelles vérités grâce à des « singularités en réseau qui communiquent et existent ensemble ». Ici, le passage obligé pour communiquer autrement et de devenir des singularités, de devenir soi-même, de dépasser l’aliénation. Deux vertus sont attachées à l’émergence de ces singularités :
- elles accèdent à une mobilité libre au sein des réseaux ;
- elles transforment les médias en instruments au service de « l’autoproduction collective de soi ».
Une parfaite incarnation de ces vertus est attribuée au projet zapatiste, quelque peu utopique, du gouvernement autonome des Chiapas, avec ses fameux slogans inédits de « gouverner en obéissant » et « archer en questionnant ». L’enjeu est de repenser la matérialité de la démocratie, son infrastructure — car les gens ordinaires ne trouvent souvent pas le moyen de se faire entendre des décideurs à cause du primat de l’écrit, qui renforce le sentiment d’incompétence, les « milieux populaires » ayant surtout une « culture orale ».
Qu’en est-il du « sécurisé » ? Son salut est dans la pratique de l’évasion. Comme il ne peut triompher de la prison ou vaincre les appareils répressifs de l’Etat néolibéral, il lui reste « à s’enfuir, briser ses chaînes et courir ». Une des modalités de la fuite est de devenir invisible : « Le plus souvent, la fuite suppose que l’on évite de sortir à découvert et que l’on se rende invisible. Dans la mesure où la sécurité fonctionne principalement en nous rendant visibles, nous ne pouvons nous libérer qu’en refusant d’être vus (…) Le fugitif, le déserteur et l’invisible sont les véritables héros (ou les antihéros) de la lutte que le sécurisé mène pour être libre. »
La désertion et la désobéissance sont les meilleures armes envisagées contre la servitude volontaire. Comme le pouvoir incarne d’abord une relation (et non une chose), il se nourrit de notre peur et de notre consentement à prendre part à cette relation, avertissent les deux auteurs. A contrario, le pouvoir ne peut survivre lorsque ses sujets s’émancipent de la peur. Se départir de sa peur est alors le prix à payer pour retrouver « une liberté et une sécurité véritables ».
Au final, dans l’être-ensemble, les discussions, les désaccords, les luttes, les manifestants semblent avoir découvert une vérité que Spinoza avait entrevue : « On ne peut atteindre la vraie sécurité et la destruction de la peur qu’en construisant collectivement la liberté. »
Il reste à mettre en mouvement le « représenté ». La finalité attachée à cette action est « la constitution de soi ». L’objectif affiché ici est de construire des formes de participation qui « excèdent les compartimentages corporatistes, et qui donnent une substance et un contenu aux formes génériques et abstraites de l’action politique ». « Les processus constituants ne cessent de réviser les structures politiques et les institutions afin qu’elles soient mieux ajustées au tissu social et aux fondations matérielles des conflits, des besoins et des désirs sociaux », osent espérer Hardt et Négri.
Ammar Belhimer
(*) Michael Hardt et Antonio Négri, « Déclaration, Ceci n’est pas un manifeste », Editions Raisons d’agir, Paris 2013, 135 pages.
Vox populi, vox dei. Selon un sondage d’opinion mondial réalisé par la Confédération syndicale internationale, mené dans 13 pays, 87% des personnes interrogées considèrent que leurs salaires ont diminué par rapport au coût de la vie ou sont restés les mêmes. Une personne interrogée sur huit connaît des problèmes financiers et ne peut plus couvrir ses dépenses de base.
Les auteurs du sondage enregistrent une croissance des inégalités et un fossé grandissant entre les dirigeants et les citoyen(ne)s a été enregistré l’année dernière. Seulement 13% des personnes interrogées dans le sondage considèrent que les gouvernements agissent dans leur intérêt.
Par ailleurs, « 28% des personnes se montrent désenchantées, voire découragées, convaincues que les gouvernements n’agissent ni dans l’intérêt des citoyen(ne)s ni dans celui des entreprises ».
« Il existe une profonde méfiance à l’égard des gouvernements et des institutions. Les dirigeants doivent tenir leurs promesses de mettre fin au comportement spéculatif, d’affronter les banques et d’éliminer l’évasion fiscale afin de démontrer aux travailleurs et aux travailleuses qu’ils agissent dans leur intérêt », commente Sharan Burrow, secrétaire générale de la CSI.
Pour autant, rien n’est perdu. Les quatre figures dominées de notre société contemporaine ont la capacité de se révolter et de se mouvoir en figures de puissance pour s’affranchir de leur condition d’appauvrissement, de misère et de solitude, projettent Michael Hardt et Antonio Negri (*).
De nos jours, les mouvements sociaux se développent à partir d’une « décision de rupture qui mène à une proposition d’agir commune ». Les deux auteurs recensent quatre niveaux de rupture correspondant aux quatre figures de subjectivités de la société moderne.
Que peut faire « l’endetté », entravé par des chaînes invisibles ? Que peut-il faire pour les reconnaître, les saisir, les briser et devenir enfin libre ? Il est attendu de lui d’inverser la dette en refusant de la payer : « Je ne paierai pas, nous ne paierons pas votre dette. Nous refusons d’être expulsés de chez nous. Nous ne nous soumettrons pas à des mesures d’austérité. Au lieu de cela, nous voulons nous approprier votre – en réalité, notre – richesse. »
Le refus des pauvres et des précarisés de se soumettre au joug individuel et collectif de la dette peut détruire le pouvoir de l’argent et instaurer des liens sociaux en lieu et place des liens financiers. Deux mouvements témoignent de cette volonté : d’abord, les manifestations altermondialistes contre la Banque mondiale et le FMI, notamment ceux d’Argentine en 2001 et précédemment ceux de 1976 au Pérou, 1977 en Egypte et 1989 au Venezuela ; ensuite, les émeutes destinées à rejeter le fardeau des dettes individuelles et individualisantes, comme celles de Los Angeles en 1992, Paris en 2005 et Londres en 2011.
Quid du médiatisé ? Il est attendu de lui de détourner son attention des médias pour découvrir la vérité et de produire de nouvelles vérités grâce à des « singularités en réseau qui communiquent et existent ensemble ». Ici, le passage obligé pour communiquer autrement et de devenir des singularités, de devenir soi-même, de dépasser l’aliénation. Deux vertus sont attachées à l’émergence de ces singularités :
- elles accèdent à une mobilité libre au sein des réseaux ;
- elles transforment les médias en instruments au service de « l’autoproduction collective de soi ».
Une parfaite incarnation de ces vertus est attribuée au projet zapatiste, quelque peu utopique, du gouvernement autonome des Chiapas, avec ses fameux slogans inédits de « gouverner en obéissant » et « archer en questionnant ». L’enjeu est de repenser la matérialité de la démocratie, son infrastructure — car les gens ordinaires ne trouvent souvent pas le moyen de se faire entendre des décideurs à cause du primat de l’écrit, qui renforce le sentiment d’incompétence, les « milieux populaires » ayant surtout une « culture orale ».
Qu’en est-il du « sécurisé » ? Son salut est dans la pratique de l’évasion. Comme il ne peut triompher de la prison ou vaincre les appareils répressifs de l’Etat néolibéral, il lui reste « à s’enfuir, briser ses chaînes et courir ». Une des modalités de la fuite est de devenir invisible : « Le plus souvent, la fuite suppose que l’on évite de sortir à découvert et que l’on se rende invisible. Dans la mesure où la sécurité fonctionne principalement en nous rendant visibles, nous ne pouvons nous libérer qu’en refusant d’être vus (…) Le fugitif, le déserteur et l’invisible sont les véritables héros (ou les antihéros) de la lutte que le sécurisé mène pour être libre. »
La désertion et la désobéissance sont les meilleures armes envisagées contre la servitude volontaire. Comme le pouvoir incarne d’abord une relation (et non une chose), il se nourrit de notre peur et de notre consentement à prendre part à cette relation, avertissent les deux auteurs. A contrario, le pouvoir ne peut survivre lorsque ses sujets s’émancipent de la peur. Se départir de sa peur est alors le prix à payer pour retrouver « une liberté et une sécurité véritables ».
Au final, dans l’être-ensemble, les discussions, les désaccords, les luttes, les manifestants semblent avoir découvert une vérité que Spinoza avait entrevue : « On ne peut atteindre la vraie sécurité et la destruction de la peur qu’en construisant collectivement la liberté. »
Il reste à mettre en mouvement le « représenté ». La finalité attachée à cette action est « la constitution de soi ». L’objectif affiché ici est de construire des formes de participation qui « excèdent les compartimentages corporatistes, et qui donnent une substance et un contenu aux formes génériques et abstraites de l’action politique ». « Les processus constituants ne cessent de réviser les structures politiques et les institutions afin qu’elles soient mieux ajustées au tissu social et aux fondations matérielles des conflits, des besoins et des désirs sociaux », osent espérer Hardt et Négri.
Ammar Belhimer
(*) Michael Hardt et Antonio Négri, « Déclaration, Ceci n’est pas un manifeste », Editions Raisons d’agir, Paris 2013, 135 pages.
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