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lundi 13 mai 2013

Abandonner le Lyon -Turin ?



Droit dans le tunnel : Faut-il promouvoir tous les nouveaux projets ferroviaires, pour être «écolo»? L'équation n'est peut-être pas aussi simple qu'il n'y paraît...
Paris-Niue-Paris, Europe-Pacifique aller et retour, sur le plancher des vaches et l'écume des vagues. Ils entament un lent voyage de fiançailles d'un an pour prendre le temps de rencontrer les différences et de se rencontrer. Aucun avion, pour respecter la Terre, ceux qui y vivent et parce que la dérive est le voyage. Jusqu'où iront-ils? Toute la question sera de savoir faire demi-tour.
Notre route nous mène sur ses balbutiements vers Chambéry, où un nouveau projet de ligne ferroviaire mixte fret-voyageurs ne peut qu'attirer notre attention. Une ligne qui relierait Lyon (ou plutôt l'aéroport de Satolas), à Turin. Dans la région, une opposition au projet émerge. Réticence de riverains ou réflexion citoyenne ? Nous décidons de rencontrer ces opposants. Il en ressort finalement qu'en matière d'écologie, le mieux est l'ennemi du bien. Ce domaine, comme tant d'autres, réclame plus de transparence et de débat citoyen contradictoire.
- Il n'est sans doute pas inutile de rappeler qu'une ligne ferroviaire Lyon-Turin existe déjà. Elle traverse la frontière par le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis, ou tunnel du Fréjus. Nous l'emprunterons pour rejoindre l'Italie, avec le TGV Paris-Milan qui marque un arrêt à Chambéry. Pourtant, le projet prévoit côté français, avec un pilotage par Réseau Ferré de France (RFF), de tracer 140 nouveaux km de voies, dont 86 enterrées, ce qui nécessitera le creusement de nombreux tunnels. Surtout, le projet s'appuie sur le percement d'un tunnel franco-italien de 53 km entre Saint-Jean de Maurienne en France et Venaus en Italie. Le promoteur en est Lyon-Turin Ferroviaire (LTF), filiale de RFF et de son homologue italien Rete Ferroviaria Italiana (RFI). Le budget colossal pourrait atteindre 30 milliards d'euros, dont près de 11 milliards pour la partie française selon la cour des comptes. Il devrait intégrer des financements européens en plus des participations des deux pays.
Plus de passagers ?
A notre arrivée à la gare de Chambéry, un des membres influents de la coordination des opposants au projet Lyon-Turin nous conduit chez lui. L'autoroute est chargée de voitures dans la cluse de Chambéry en direction de Montmélian. « Les promoteurs du projet mettent en avant le bénéfice d'une nouvelle liaison entre Lyon et Turin pour les voyageurs. A la clé, un parcours entre Paris et Milan de 4h contre les 7 actuellement. Ce qu'ils omettent de préciser, c'est que le trajet actuel compte 8 à 9 arrêts et que les 4h escomptés sont considérés sur une ligne directe sans arrêt », précise d'emblée Daniel Ibanez en conduisant. Cette ligne directe sera-t-elle mise en place, pourquoi ne l'est-elle pas sur le tracé actuel ? Quatre heures dépassent déjà la limite acceptable pour la clientèle d'affaire qui préfère l'avion. La SNCF assure pour le moment 90% de remplissage avec cette configuration, pourrait-elle en faire autant avec des lignes directes ?
Le gouvernement entend également créer un report de la route sur le rail dans les vallées alpines fortement polluées aux particules. Les habitants de la région auraient bien besoin, en effet, de transports collectifs pour désengorger leurs vallées des automobiles. « Entre 2003 et 2011, nous sommes passés de 76 000 à 84 000 voitures par jour dans le tunnel des Monts qui permet de contourner Chambéry pour relier Aix-les Bains à Montmélian par la cluse de Chambéry. Pourquoi ne pas imaginer un tramway entre Montmélian-Chambéry-Aix-les Bains ? » pointe Daniel Ibanez.
Comment le faire quand on prévoit déjà d'investir 30 milliards d'euros dans une nouvelle ligne Lyon-Turin, en évoquant une liaison Paris-Milan directe qui serait difficilement rentable au lieu de penser au développement local ? . D'autant que 8000 voitures, en terme de pollution, cela équivaut à 1800 camions de plus par jour, argument qui vient titiller un autre cheval de bataille des promoteurs du Lyon-Turin.
Moins de camions ?
Remplacer le transport routier par du fret ferroviaire. Un projet d'avenir. Un projet d'avenir ? Il en appelle aux objectifs du Grenelle de l'environnement, revenir aux niveaux de 1990, notamment en terme de transport routier. La Cour des comptes dans un rapport du 2 juillet 2012 met en cause la pertinence du projet et pour cause, le transport marchand dans les Alpes est au même niveau qu'en 1988. Le franchissement de la barrière alpine ne se situe décidément pas sur les axes d'échanges prioritaires Nord-Sud. Aujourd'hui, environ 4 millions de tonnes de marchandises transitent chaque année en fret ferroviaire à travers le tunnel du Fréjus. La ligne pourrait en supporter 22 millions. Des prévisions de croissance, aussi optimistes voire déraisonnables soient-elles, peuvent-elles alors justifier d'un tel chantier alternatif ? Pourquoi ne pas imaginer un report sur l'existant ? « Il faudrait bien sur pour cela prévoir quelques investissements pour optimiser la ligne. Surtout se donner les moyens de développer des innovations qui sont déjà proposées sur les rames pour permettre de consommer beaucoup moins de courant sur une pente de 3% comme celle qui existe au niveau du tunnel du Fréjus », argue Daniel Ibanez. « Ce n'est pas parce que nous critiquons la pertinence de ce projet que nous sommes contre l'écologie ! ».
Faire entendre sa voix en démocratie
Cela fait plus de vingt ans maintenant qu'une contestation germe dans les Alpes françaises. Côté italien, elle est encore bien plus forte, avec le mouvement des No Tav, maintenant largement représenté au Parlement par les députés du mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo. En France, une réelle coordination n'existe que depuis l'année dernière. Mais alors même que le projet est mis en cause par la Cour des comptes, que la commission d'enquête préalable a été mise à mal par de forts soupçons de conflits d'intérêts par la presse, que certains dirigeants et sous-traitants de LTF ont été condamnés par la justice et sont dénoncés par les associations Anticor et Flare pour leurs possibles liens avec la mafia, les lignes ne semblent pas bouger. Le gouvernement soutient fortement le projet. Un accord intergouvernemental franco-italien a été signé en janvier 2012. Il est loin d'être ratifié par le Parlement italien. En France, il pourrait être voté avant la mi-mai. Pour les opposants, malgré le soutien d'Europe-Ecologie les Verts et du député UMP Dominique Dord, il s'agit maintenant de dépasser cette image de riverains qui leur colle à la peau. Devenus « experts citoyens », ils cherchent à faire entendre leurs questions à défaut de leurs arguments. A quand une vraie enquête indépendante ? Peut-être faudra-t-il en arriver à une large mobilisation à l'image d'un Notre-Dame des Landes. D'ailleurs, les No Tav sont à l'origine de la signature en 2010 à Hendaye d'une charte d'une centaine d'associations contre les « grands projets inutiles ». Une tentative bien peu relayée de contre-pouvoir.
Noëlle et Romain

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