Fabienne Radi, entre les photos saccadées de
Muybridge, "La Dame de Shanghai" d’Orson Welles et le "Nu
descendant un escalier" de Marcel Duchamp. Artiste séduite par l’écrit, la
Genevoise publie un recueil de ses textes désopilants «à partir» de l’art. De
même qu’un hommage très domestique au cinéma.
C’est une personne avec
laquelle on hésite à passer trop de temps, de peur de se retrouver au centre de
l’une de ses chroniques. Des textes aussi drôles qu’intelligents, qui semblent partir
dans tous les sens, déploient une logique propre en créant moult liens
improbables, avant de retomber sur leurs pattes avec beaucoup d’aplomb. Des
écrits évoquant l’art contemporain pour passer au crible notre condition
postmoderne – tout le monde n’en sort pas forcément grandi. «En général, je
pars de deux ou trois choses qui m’intéressent, explique Fabienne Radi: un
livre, une expo, Liliane Bettencourt... Les élément s’accumulent et tout d’un
coup, ça prend!»
Ça prend, c’est également le titre de l’ouvrage qui rassemble ses chroniques, diffusées pour certaines sur le site du Musée d’art moderne et contemporain de Genève (Mamco), qui édite aujourd’hui le recueil. «Il fallait en venir au livre pour comprendre l’ampleur de l’entreprise», complimentait le directeur de l’institution Christian Bernard – c’était mardi soir en introduction d’une lecture de Fabienne Radi au Bâtiment d’art contemporain (BAC), devant une cinquantaine de personnes.
Ça prend, c’est également le titre de l’ouvrage qui rassemble ses chroniques, diffusées pour certaines sur le site du Musée d’art moderne et contemporain de Genève (Mamco), qui édite aujourd’hui le recueil. «Il fallait en venir au livre pour comprendre l’ampleur de l’entreprise», complimentait le directeur de l’institution Christian Bernard – c’était mardi soir en introduction d’une lecture de Fabienne Radi au Bâtiment d’art contemporain (BAC), devant une cinquantaine de personnes.
L'ART DE
L'ENTREJAMBE
L’occasion, au fil des textes lus, de se replonger par exemple dans les années 1980 de Véronique et Davina, aux manettes de l’émission Gym Tonic sur Antenne 2. Elles servent de rampe de lancement à «Points de vue et images (de l’origine) du monde»: un texte hilarant sur les représentations de l’entrejambe féminin, dans le showbiz, l’art ou chez le gynécologue, dont le fauteuil est «un objet hybride doté d’étriers, fruit des amours contre-nature entre une chaise électrique et un fauteuil de dentiste, ce qui en dit long sur le plaisir qu’on éprouve à s’y asseoir pour écarter les jambes.» Au BAC, les différentes références étaient illustrées d’images.
«Mes textes ne se terminent pas forcément avec une conclusion, il ne s’agit jamais d’une démonstration», précise Fabienne Radi, la figure fine et le verbe clair – nous nous rencontrons le lendemain matin dans un tea-room aux sièges en forme de «petites saucisses de porc», comme les décrit très justement la Genevoise. Surtout, ses écrits ne sont pas «sur» l’art mais «à partir de» celui-ci, insiste-elle: «Je ne suis pas historienne de l’art.»
L’occasion, au fil des textes lus, de se replonger par exemple dans les années 1980 de Véronique et Davina, aux manettes de l’émission Gym Tonic sur Antenne 2. Elles servent de rampe de lancement à «Points de vue et images (de l’origine) du monde»: un texte hilarant sur les représentations de l’entrejambe féminin, dans le showbiz, l’art ou chez le gynécologue, dont le fauteuil est «un objet hybride doté d’étriers, fruit des amours contre-nature entre une chaise électrique et un fauteuil de dentiste, ce qui en dit long sur le plaisir qu’on éprouve à s’y asseoir pour écarter les jambes.» Au BAC, les différentes références étaient illustrées d’images.
«Mes textes ne se terminent pas forcément avec une conclusion, il ne s’agit jamais d’une démonstration», précise Fabienne Radi, la figure fine et le verbe clair – nous nous rencontrons le lendemain matin dans un tea-room aux sièges en forme de «petites saucisses de porc», comme les décrit très justement la Genevoise. Surtout, ses écrits ne sont pas «sur» l’art mais «à partir de» celui-ci, insiste-elle: «Je ne suis pas historienne de l’art.»
UNE QUESTION
D'ECHELLE
Fabienne Radi est, par contre, nombre d’autres choses. Pour le dire dans l’ordre chronologique de ses études, cela donne: géographe et géologue (cursus suivi à Fribourg, où elle a passé les vingt-sept premières années de sa vie), diplômée en bibliothéconomie à Villeurbanne, en communication à Bienne et enfin en arts visuels au bout du lac. Elle a entrepris cette dernière formation au début des années 2000, alors qu’elle avait 40 ans, à l’Ecole supérieure des beaux-arts – qui deviendra peu après la Haute école d’art et de design (HEAD).
Aujourd’hui encore, ce qui l’in-téresse dans la géographie, c’est la question de l’échelle: «Quand celle-ci change, on voit forcément les choses autrement.» En géologie, c’est plutôt l’aspect des couches qui la passionne et qui se retrouve dans ses textes. Elle adore aussi la notion de «cône de déjection»: ces amas de débris transportés par un torrent, de forme triangulaire. «Ou comment une même matière se reconstitue ailleurs et sous une forme différente.»
Fabienne Radi est, par contre, nombre d’autres choses. Pour le dire dans l’ordre chronologique de ses études, cela donne: géographe et géologue (cursus suivi à Fribourg, où elle a passé les vingt-sept premières années de sa vie), diplômée en bibliothéconomie à Villeurbanne, en communication à Bienne et enfin en arts visuels au bout du lac. Elle a entrepris cette dernière formation au début des années 2000, alors qu’elle avait 40 ans, à l’Ecole supérieure des beaux-arts – qui deviendra peu après la Haute école d’art et de design (HEAD).
Aujourd’hui encore, ce qui l’in-téresse dans la géographie, c’est la question de l’échelle: «Quand celle-ci change, on voit forcément les choses autrement.» En géologie, c’est plutôt l’aspect des couches qui la passionne et qui se retrouve dans ses textes. Elle adore aussi la notion de «cône de déjection»: ces amas de débris transportés par un torrent, de forme triangulaire. «Ou comment une même matière se reconstitue ailleurs et sous une forme différente.»
«RADI-MADE»
L’art la titillait depuis longtemps, mais le déclic est provoqué par son amitié avec le plasticien Christian Robert-Tissot, comme elle dans le comité du restaurant scolaire de leurs enfants respectifs, à Genève – elle a deux filles aujourd’hui ados et un fils parti sur ses traces (il étudie à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne). Pour ses premier pas dans le domaine, elle produit nombre de «Radi-made», des objets plus ou moins grands, comme un paillasson Rorschach (2005) formé de deux silhouettes de la Suisse en miroir, une Supercard au nom de Marguerite Duras (2004) ou une liste de commission gravée sur une plaque de laiton et placée à l’entrée d’un immeuble, sous les enseignes d’un docteur et d’une fiduciaire.
Même si l’intérêt pour l’écrit est déjà là, comme en témoigne cette dernière œuvre – mais aussi tout son travail dans la com’ durant les années 1990, quand elle considérait ses missions comme autant d’exercices de style –, il se confirmera au contact de Carla Demiere: l’artiste-écrivaine lui fait découvrir «tout un pan de la littérature contemporaine par le biais des arts plastiques». C’est avec elle et Hélène Gerster, puis l’artiste et éditeur Izet Sheshivari (Boabooks), qu’elle fonde la revue Tissu, à laquelle vont collaborer de nombreux créateurs au fil de ses six numéros (à ce jour).
Ce mois, la Genevoise a publié Vingt-quatre images, qui rassemble une large sélection de clichés iconiques de films réinterprétés à la sauce Radi, dans son appartement – un espace domestique où elle a beaucoup créé ou travaillé entre ordinateur, fax, machine à laver, enfants et mari. Dans l’ouvrage, on voit une essoreuse à salade remplie de laitue et rétro-éclairée (Rencontres du troisième type); une aubergine dodue transpercée d’un cure-dent (Moby Dick); une saucisse grillée reposant sur un toast et un oreiller de fromage (Le Patient anglais); ou des pinces à linge sur un étendoir (Les Oiseaux).
L’art la titillait depuis longtemps, mais le déclic est provoqué par son amitié avec le plasticien Christian Robert-Tissot, comme elle dans le comité du restaurant scolaire de leurs enfants respectifs, à Genève – elle a deux filles aujourd’hui ados et un fils parti sur ses traces (il étudie à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne). Pour ses premier pas dans le domaine, elle produit nombre de «Radi-made», des objets plus ou moins grands, comme un paillasson Rorschach (2005) formé de deux silhouettes de la Suisse en miroir, une Supercard au nom de Marguerite Duras (2004) ou une liste de commission gravée sur une plaque de laiton et placée à l’entrée d’un immeuble, sous les enseignes d’un docteur et d’une fiduciaire.
Même si l’intérêt pour l’écrit est déjà là, comme en témoigne cette dernière œuvre – mais aussi tout son travail dans la com’ durant les années 1990, quand elle considérait ses missions comme autant d’exercices de style –, il se confirmera au contact de Carla Demiere: l’artiste-écrivaine lui fait découvrir «tout un pan de la littérature contemporaine par le biais des arts plastiques». C’est avec elle et Hélène Gerster, puis l’artiste et éditeur Izet Sheshivari (Boabooks), qu’elle fonde la revue Tissu, à laquelle vont collaborer de nombreux créateurs au fil de ses six numéros (à ce jour).
Ce mois, la Genevoise a publié Vingt-quatre images, qui rassemble une large sélection de clichés iconiques de films réinterprétés à la sauce Radi, dans son appartement – un espace domestique où elle a beaucoup créé ou travaillé entre ordinateur, fax, machine à laver, enfants et mari. Dans l’ouvrage, on voit une essoreuse à salade remplie de laitue et rétro-éclairée (Rencontres du troisième type); une aubergine dodue transpercée d’un cure-dent (Moby Dick); une saucisse grillée reposant sur un toast et un oreiller de fromage (Le Patient anglais); ou des pinces à linge sur un étendoir (Les Oiseaux).
SINATRA: PAS SI
FACILE
L’humour est omniprésent dans le travail de Fabienne Radi, sans être un but en soi. «J’aime qu’il vienne par la bande, avec la fonction de faire passer les choses.» Elle l’emploie aussi dans son enseignement de la «pop culture», pour l’un des programmes master de la HEAD et au Collège des humanités de l’EPFL. L’artiste y mélange le savant et le populaire, la haute et la basse culture, avec une bonne dose de cinéma hollywoodien, passablement de Cary Grant et un zeste de comédies musicales des années 1950. «Ce qui compte, c’est la pertinence des liens qu’on fait plutôt que le poids des références.»
Enfin, ces jours, elle s’intéresse à la figure du crooner, qui est au centre d’un texte en phase d’écriture pour une exposition aux Halles de la fonderie de Carouge, «Le pas du funambule», vernie jeudi dernier. Le sujet l’intéresse au point qu’elle a pris des cours de chant «juste pour réussir à chanter ‘Strangers in the Night’ de Sinatra. C’est une chanson qu’on croit faite pour être fredonnée sous la douche, mais elle est très compliquée!» Si ça prend pas du premier coup, d’une manière ou d’une autre, ça s’apprend.
L’humour est omniprésent dans le travail de Fabienne Radi, sans être un but en soi. «J’aime qu’il vienne par la bande, avec la fonction de faire passer les choses.» Elle l’emploie aussi dans son enseignement de la «pop culture», pour l’un des programmes master de la HEAD et au Collège des humanités de l’EPFL. L’artiste y mélange le savant et le populaire, la haute et la basse culture, avec une bonne dose de cinéma hollywoodien, passablement de Cary Grant et un zeste de comédies musicales des années 1950. «Ce qui compte, c’est la pertinence des liens qu’on fait plutôt que le poids des références.»
Enfin, ces jours, elle s’intéresse à la figure du crooner, qui est au centre d’un texte en phase d’écriture pour une exposition aux Halles de la fonderie de Carouge, «Le pas du funambule», vernie jeudi dernier. Le sujet l’intéresse au point qu’elle a pris des cours de chant «juste pour réussir à chanter ‘Strangers in the Night’ de Sinatra. C’est une chanson qu’on croit faite pour être fredonnée sous la douche, mais elle est très compliquée!» Si ça prend pas du premier coup, d’une manière ou d’une autre, ça s’apprend.
www.fabienneradi.ch
- Fabienne Radi, Ça prend. Art contemporain, cinéma et pop culture, Ed. Mamco, 2013, 224 pp.
- Fabienne Radi, Vingt-Quatre images, sans éditeur, 2013, 103 pp. Disponible au Mamco, au Parnasse (Genève) et à La Bulle à Fribourg.
- Fabienne Radi, Ça prend. Art contemporain, cinéma et pop culture, Ed. Mamco, 2013, 224 pp.
- Fabienne Radi, Vingt-Quatre images, sans éditeur, 2013, 103 pp. Disponible au Mamco, au Parnasse (Genève) et à La Bulle à Fribourg.
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