Ce texte n’est pas une
justification. Pas même une mise au point.
C’est
juste la réaffirmation tranquille de mon espérance de construire un grand
mouvement de l’écologie politique ouvert à la société civile. C’est la promesse
initiale d’Europe écologie les Verts. C’est le sens de mon action depuis
que j’ai contribué, avec d’autres, à sa fondation.
- L’heure
est pourtant venue de tirer un premier bilan. Après avoir rencontré le succès
aux européennes et aux régionales, après avoir su mobiliser et attirer des
électeurs et des militants désireux de construire une force politique capable
de bousculer les appareils traditionnels, EELV marque le pas, comme en panne
d’inspiration, comme si le souffle et l’esprit de renouveau des débuts
avaient disparu. Pascal Durand ne disait pas autre chose en prenant ses
fonctions de secrétaire national.
A
en croire ce que disent nombre de membres ou de sympathisantes et
sympathisants, notre mouvement ne va pas bien. Il est aujourd’hui faible
en adhérent, et je crains qu’il ne soit demain, faible en influence, si
la sclérose l’emporte sur l’envie de faire mouvement.
- C’est
à cette aune, qu’il faut comprendre mon action politique récente. Je refuse que
notre mouvement se normalise et se dissolve dans la participation
gouvernementale. Nous ne devons pas renoncer à marcher sur nos deux
jambes : l’écologie est une force de proposition qui s’appuie sur un
esprit de résistance. C’est cette double identité que j’entends faire vivre.
Ces dernières semaines, ma prise de position en faveur de la participation à la
manifestation du 5 mai a fait débat. J’ai même vu avec étonnement surgir la
menace d’ouvrir le débat sur ma campagne présidentielle.
J’y suis prête.
Ma campagne présidentielle n’a pas
été réussie. Cet échec a plusieurs causes.
En
premier lieu, les failles de la candidate. Mon impréparation, mon
inexpérience, le fait de ne disposer d’aucune garde rapproché avant la
campagne, ma naïveté, ma faible connaissance du jeu médiatique ont
incontestablement pesé lourd. Mon équation personnelle ne faisait
peut être pas de moi la meilleure candidate.
- Pire,
nous n’avons pas su faire de notre primaire le point de départ d’une dynamique
de rassemblement. Au contraire notre primaire est devenue une machine à
perdre. Avec le recul, il me reste dans la bouche un gout de cendres, et la
désagréable sensation que Nicolas Hulot et moi même avons été instrumentalisés
pour des jeux internes. Bien sur, nombre de nos partisans respectifs étaient
sincères et enthousiastes. Mais les promoteurs de nos candidatures n’avaient
pas tous en tête le bien de l’écologie politique, Certains développaient bel et
bien des stratégies visant uniquement à empêcher tel ou telle de nous
représenter à la présidentielle. Une fois la primaire passée, ma victoire
surprise ayant troublé le jeu, la campagne n’était manifestement plus la
priorité.
- La
meilleure solution aurait été, au lendemain de la primaire, de mettre en place
un ticket présidentiel Hulot/Joly pour porter l’idée de la priorité donnée à la
transition écologique et à la République exemplaire. En faisant campagne
ensemble, nous aurions été dans la continuité de la dynamique des élections
européennes et des régionales
Hélas, le
dépassement des égos n’a pas été possible. Je le regrette amèrement. J’y ai ma
part de responsabilité, mais ne laisserait personne dire que j’en suis seule
responsable.
- L’autre
raison de mon faible score que je voudrais évoquer, n’est pas la moindre, même
si elle peut sembler dérisoire : la multiplication des attaques, chausse
trappe, pièges et défections venus de nos rangs a entamé le crédit de ma candidature.
- Ce
n’est pas une question de courant : des hommes et des femmes de toutes les
sensibilités se sont engagés dans la campagne ; y compris des hulotistes
de la primaire. Je les en remercie. Mais les mauvais coups sont eux aussi venus
de partout. C’est une question de culture : nous ne savons pas nous mettre
autour d’une table pour déterminer ensemble ou est notre intérêt commun. Les
snipers n’ont pas seulement plombé ma campagne, ils ont manqué de respect à ces
milliers de militants et sympathisants qui, eux, sur le terrain, se sont
mobilisés sans compter, par conviction et par loyauté. Aucune dynamique n’est
possible quand on devient le punching-ball de sa propre famille. Le récit de ma
campagne n’a donc jamais été celui d’une candidature de conquête, mais bien
celui d’un long calvaire ou une seule question était posée : « va
t’elle tenir ?» J’ai tenu, mais cette campagne s’est vite avérée
être une mission impossible.
- Enfin,
l’échec de la présidentielle à une cause plus fondamentale encore, d’ordre
politique : la difficulté de mener campagne en même temps qu’on négocie un
accord avec le parti socialiste, et d’autant plus dans un contexte où la
question principale était le rejet du Sarkozysme plus que la confrontation de
projets de société. Je ne tire aucune amertume du choix qui a été fait :
il nous a permis d’avoir un groupe à l’assemblée et deux ministres. Je crois
que l’écologie politique s’en trouve renforcée dans les institutions. Mais
reconnaissons quand même que notre image de force politique différente a été
écornée et que nous sommes affaiblis dans la société pour quelques temps.
- C’est
ce point qui m’agite. Comment renouer avec la société ? Quand la
colère et la déception monte dans le pays, il me semble difficile de se tenir à
l’écart de la protestation et de la demande d’un changement de cap. Pourquoi ce
que disent de plus en plus l’ensemble de nos dirigeants sur la politique
conduite par l’actuel gouvernement ne pourrait être porté sur la place
publique ?
- Je
crois à la complémentarité des discours. Nos ministres, se battent au
gouvernement, pour faire exister dans le secteur qui leur a été confié, une
approche écologiste, et pour avoir un bilan ministériel digne de ce nom à
présenter. Nous devons donc les soutenir sans réserve. Mais comment peuvent ils
avoir des marges de manœuvre si nous mêmes, nous appliquons, ce que
personne ne nous demande, la même discipline que celle à laquelle ils
sont soumis ? Notre solidarité ne peut pas s’exercer par l’autocensure. Je
pense au contraire qu’en parlant clairement, et en disant les positions qui
sont les nôtres nous leur donnons l’occasion de témoigner de l’existence dans
la société d’une demande d’une politique plus conforme à nos aspirations.
- François
Hollande est nécessairement sensible aux rapports de force. L’oublier, c’est
tout faire reposer sur le seul jeu institutionnel. Moi je crois à la société
mobilisée. Sans les citoyens, nous serons impuissants à faire triompher
nos idées. Sur Notre Dame des landes par exemple, c’est bien la dialectique
entre un mouvement social radical et une présence d’écologistes dans les
institutions de la République qui permet de continuer à bloquer ce funeste
projet.
- Je
peux comprendre qu’on affirme que manifester aux côtés de Mélenchon est une
erreur. Je note au passage la grande sollicitude de ceux qui s’inquiètent
hypocritement sur le mode « Eva va se faire bouffer par Mélenchon. »
Qu’ils disent les choses plus clairement : « Eva est nulle » est
le fond de leur pensée. La plupart sont d’ailleurs les mêmes qui relaient avec
gourmandise les rumeurs sur mon prétendu départ sur une liste front de
gauche. La manœuvre est simple : me discréditer aux yeux des
militantes et des militants pour dénaturer le débat de fond que je veux ouvrir.
On me dit même que certains ont déjà décidé de me le faire payer et de
m’écarter pour les prochaines élections européennes si d’aventure je décidais
de me représenter.
La messe est dite ?
Et bien justement non.
Je
concède bien volontiers mon inexpérience politicienne et mon peu d’appétence
pour les jeux internes. Mais ce qui se joue depuis le début de l’affaire
Cahuzac est autre. Les françaises et les français sont écœurés par leur classe
politique. La crise de confiance est à son paroxysme. Voilà pourquoi nous
sommes sommés de répondre aux interrogations. Nous devons dire si nous
considérons que c’est un accident de parcours ou si c’est le fruit d’un
système. Il se trouve que depuis 20 ans je dis que c’est un système
d’irresponsabilité et de soumission au pouvoir de l’argent qu’il faut
combattre.
- Et
quand les faits me donnent raison, nous donnent raison, je devrais me
taire ?
Ce n’est
pas Eva Joly qui fait du Mélenchon, mais bien Mélenchon qui dit ce que je dis
depuis toujours sur la corruption et les affaires. Mélenchon a parlé de coup de
balai, choquant les oreilles sensibles ? La belle affaire ! La
vérité, c’est qu’il est en deçà de la réalité : un Karcher ne suffirait
pas à décrasser le système actuel. Il faut un changement radical. Voilà
ce que veut dire pour moi la sixième république. C’est sur cette base que j’ai
un temps discuté avec François Bayrou, ce qu’on me reproche aujourd’hui, en
disant « elle passe de Bayrou à Mélenchon. » C’est faux.
- Avec
constance je plaide depuis longtemps pour la République exemplaire. C’est un
combat fondateur de mon engagement en politique. Mais ces dernières années, au
passage, mes yeux se sont ouverts sur la question sociale, sur l’idiotie des
politiques d’austérité, sur les manques cruels de la construction européenne.
Mon parcours a enrichi ma vision du monde et des moyens de le
transformer. Je suis devenue une militante écologiste qui se bat pour faire
émerger une autre voie au sein des forces progressistes. Ne pas laisser le
monopole de la rue au Front de Gauche, c’était pour moi ne pas leur abandonner
le terrain de la critique démocratique et sociale.
- Personne
n’a réfuté sur le fond cette volonté. On a juste brandi des arguments disciplinaires
dont j’aurais aimé qu’on les utilise à l’égard de la noble cohorte des tireurs
dans le dos, pour calmer les attaques fratricides pendant ma campagne
Indiscipline ? On ne trouvera aucune déclaration publique de ma part
attaquant l’un ou l’autre de nos responsables. J’aurais aimé que la réciproque
soit vraie.
- Celles
et ceux qui nous enjoignent de nous taire ne nous disent pas par ailleurs
quelle est leur stratégie. J’ai seulement entendu notre secrétaire national
esquisser la possibilité d’un bloc majoritaire allant du modem au front de
gauche dans une interview au JDD.
Cette
position ne me semble pas juste au regard de la séquence politique que nous
vivons. Elle n’est pas scandaleuse, mais erronée. Je rappelle d’ailleurs qu’une
telle hypothèse, émise lors de ma campagne a été balayée par Bayrou comme par
Mélenchon. Il faut donc choisir.
- Alors
disons les choses clairement : je plaide pour une majorité rouge rose
verte ouverte à la société civile, pour bâtir une coalition de l’arc en ciel. A
l’heure où François hollande parle de remaniement, nous devrions adosser notre
demande de changement de cap à une demande de rééquilibrage gouvernemental.
Cécile Duflot, qui a fait ses preuves comme excellente ministre doit monter en
grade et en influence pour renforcer le poids des écologistes, la coalition
doit s’élargir au front de gauche pour répondre à la demande sociale, des
ministres de la société civile doivent permettre au gouvernement de retrouver
le chemin du peuple en intégrant des luttes symboliques de la société
mobilisée et du changement.
- Voila
la ligne que je pense être juste. Elle ne me conduit pas à intégrer le Front de
gauche, mais à dialoguer avec lui. Nous avons en effet des divergences
profondes avec les communistes comme avec le Parti de Gauche. Mais si nous
sommes capables de gouverner avec les socialistes, nous devons au moins être
capable de déterminer des luttes communes avec le Front de gauche, et au delà
avec la société civile, pour peser sur les politiques menées. La soumission à l’agenda
politique du P.S ne peut pas être une ligne de conduite.
Ce débat ne fait que commencer.
- Puisqu’on
me fait reproche de ne pas assez participer à la vie de notre mouvement, je
vais davantage m’y impliquer et je continuerai à faire vivre le débat engagé.
Je prendrai mes responsabilités, notamment en soutenant une motion lors du
congrès à venir. L’enjeu de ce congrès ne peut pas être de monter une opération
anti-Durand ou anti-Duflot : nous devons par contre avoir un vrai débat
politique sur la stratégie à mener pour retrouver la société. Parce que
l’avenir de notre mouvement est déterminant pour l’avenir de notre pays.
- J’ai
peu d’ambition pour moi, beaucoup pour nous et plus encore pour les jeunes
générations de l’écologie qui doivent prendre la relève.
Europe Ecologie Les Verts ?
J’y suis, j’y reste.
Fidèlement,
Eva Joly
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