Conseiller régional d’Ile-de-France, l'économiste Pierre Larrouturou (photo) a présenté au dernier congrès du PS une motion co-signée avec Stéphane Hessel («Oser. Plus loin, Plus vite») qui a rassemblé près de 12% des voix. Ce chantre de la semaine de quatre jours, défenseur constant du partage du travail, juge que la gauche doit continuer à porter ce combat. D’autant plus en période de crise.
Dans un entretien au Parisien, Jean-Marc Ayrault a assuré que le retour aux «39 heures payées 39» est un thème qui «fera débat». «Mais il n’y a pas de sujet tabou», a poursuivi le Premier ministre, avant d’expliquer avoir été mal compris. Comment réagissez-vous ?
Depuis maintenant 35 ans, on n’arrive pas aller au bout du débat sur le temps de travail. En 1978, même Raymond Barre disait déjà que la semaine de 35 heures n'était pas une idée inconvenante, ce qui dans sa bouche était un soutien massif. Aujourd’hui, nous sommes en 2013 et le partage du travail actuel est un non sens. D’après les chiffres de l’Insee, un actif à temps plein en France travaille 39,5 heures par semaine, alors que de l’autre côté il y a quatre millions de personnes qui font zéro heure. En Allemagne, le modèle dont on nous parle souvent, il y a tellement de petits boulots que la durée moyenne du travail hebdomadaire est tombée à 30,1 heures sans compter les chômeurs. Et aux Etats-Unis avant la crise, ils étaient, selon la Maison Blanche, à environ 33 heures. Du fait des énormes gains de productivité des dernières décennies, nous vivons une vraie révolution qui pose forcément la question d’une nouvelle organisation du travail. Il faut aller plus loin et mieux que ce qui avait été fait sous le gouvernement Jospin. C’est bien cela qui ne doit pas être un sujet tabou. De même que le gouvernement a pris deux mois pour tout mettre sur la table à partir du rapport Gallois sur la compétitivité, je demande à ce qu’il prenne trois mois pour des états généraux de l’emploi.
Depuis dix ans, on entend surtout la droite dire que les 35 heures sont un poids insupportable pour l'économie française, et les responsables socialistes défendre de plus en plus mollement le principe du partage du travail...
Aux Etats-Unis, depuis dix mois, l’ancien ministre de l'économie de Bill Clinton, Robert Reich, dit que Obama réélu, la principale réforme qu’il devra faire sera d’organiser une baisse du temps de travail sans baisse de salaire. Reich dit que les gains de productivité de nos économies sont la principale cause du chômage. Il a raison, car malgré les délocalisations, la production faite sur le territoire américain, comme celle faite sur le territoire européen, n’a pas baissé. Et en France, je rappelle que 400 entreprises, de toutes tailles et dans tous les secteurs, sont déjà passées à la semaine de quatre jours. Selon une étude du ministère du Travail en 1997, un mouvement général vers la semaine de quatre jours permettrait d’ailleurs de créer deux millions d’emplois. Cela ferait deux millions de familles dont la vie serait moins dure.
Partager le travail est donc d’autant plus utile en période de crise?
Oui. Car il ne faut pas rêver, la croissance ne va pas revenir. Au Japon, elle n’est que de 0,7% en moyenne depuis vingt ans, alors qu’ils ont fait le maximum sur le plan industriel, budgétaire et monétaire. L’enjeu, c’est d’abord de tout faire pour éviter la récession. Mais si on ne veut pas s’enfermer dans une crise sociale gravissime, alors que le mois dernier il y a eu près de 50000 chômeurs de plus et 100000 personnes qui sont tombés en fin de droits et ont disparu des statistiques, il faut d’urgence changer la donne. Je le redis, la gauche ne doit pas avoir de tabou et reparler fièrement de la question du temps de travail. Il est dramatique de voir que depuis dix ans, le Medef et la droite ont pilonné sur le sujet avec une extrême agressivité, et que ce travail de casse a fait remonter la durée réelle du travail. Le gouvernement doit se ressaisir de ce combat.
L’économiste Pierre Larrouturou recueilli par Jonathan Bouchet-Petersen
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