J’ai été contacté le 22 avril par deux journalistes du service économique de La Croix, Rémy Pigaglio et Séverin Husson, dans le cadre du dossier Commerce équitable, le vrai bilan (sic) qu’ils avaient l’intention de réaliser dans le cadre de la quinzaine éponyme. Étant devenu très méfiant dès lors qu’il s’agit d’évoquer la marque Max Havelaar, je ne réponds désormais plus aux interviews orales sur le sujet mais demande aux journalistes qui me contactent que les questions me soient posées par écrit. J’y réponds - par écrit également - ce qui évite toute ambiguïté ou possibilité d’erreur d’interprétation. Je peux comprendre que cela puisse déplaire mais après trois années de procédure, je suis obligé d’en passer par là. Cela ne pose d’une façon générale aucun problème. Sauf que cette fois... L’interview n’a pas été publiée. Pas même citée. Réponses politiquement incorrectes ? Censure qui n’avouerait pas son nom ? L’autocensure n’est-elle pas la plus efficace des censures ? Qu’à cela ne tienne. Le texte intégral de cette interview est reproduit ci-dessous afin que les lecteurs de La Croix (et les autres...) puissent se faire une idée libre et plus précise du vrai bilan du Commerce équitable ?...
Séverin Husson/Rémy Pigaglio : Le commerce équitable concerne aujourd’hui plusieurs millions de producteurs. Les organismes de certification/labellisation ont-ils les moyens d’organiser le contrôle de l’application du cahier des charges qu’ils imposent ? Quelle est la réalité de ces contrôles ? Est-ce que, justement, certains organismes ont choisi de limiter leur taille pour pouvoir assurer un contrôle effectif ?
Christian Jaquiau : Les acteurs du commerce équitable qui ont choisi l’approche marché de masse surfent sur la confiance bienveillante que leur accordent les consommateurs. La dispersion des sites de production et l’ampleur des contrôles à effectuer rendent la tâche extrêmement difficile. Certaines structures de vérification se sont éloignées du terrain, partant du contrôle des producteurs pour glisser vers celui de leurs coopératives et finalement ne plus s’intéresser qu’aux coopératives faîtières, autrement dit aux coopératives de coopératives, perdant ainsi tout contact avec la réalité de terrain. L’objectif non dissimulé étant désormais de faire du volume pour répondre aux attentes du marché lui-même organisé au seul bénéfice de ces entreprises transnationales qui se sont immiscées - pour leur plus grand profit - entre les populations du Sud et les consommateurs du Nord.
Séverin Husson/Rémy Pigaglio : Quelles sont, selon vous, les principales failles du système actuel ? Et ses forces ?
Christian Jaquiau : La force du commerce équitable, quelle qu’en soit la forme, est incontestablement d’avoir attiré l’attention des consommateurs sur le sort des paysans les plus pauvres de la planète. Sa faiblesse est d’avoir voulu s’attacher la complicité de ceux - multinationales de l’agroalimentaire et géants de la grande distribution - qui dans les pays du Nord les ont exploités sans vergogne et se sont bâti de véritables empires sur la main-d’œuvre bon marché et les matières premières bradées des pays du Sud. Appeler les seuls consommateurs en réparation des dommages subis par les producteurs les plus pauvres, sans rien demander à ceux (importateurs, transformateurs, distributeurs) qui spéculent sur le fruit de leur labeur était sans doute bien commode pour recueillir leur adhésion initiale. Cela n’avait en revanche aucune chance de permettre de parvenir aux objectifs que s’était assignés les fondateurs de Max Havelaar à savoir se doter d’un outil de transformation de la société apte à lutter efficacement contre les méfaits de la mondialisation déshumanisée. Les tenants de ce système qui ruinent l’humain et dévastent la planète peuvent dormir sur leurs deux oreilles...
Intégrer toute la filière (transformation et distribution), et pas uniquement la production comme c’est le cas aujourd’hui, serait-il une solution pour améliorer le système du commerce équitable ? Quelles pourraient être les autres améliorations envisageables ?
Christian Jaquiau : Comme la bio, le commerce équitable n’a pas échappé à la marchandisation des concepts les plus généreux et les plus prometteurs. Nous sommes passés en quelques années de l’approche démarche à l’approche produit, oubliant un peu vite les objectifs que lui avaient assigné ses initiateurs historiques. Pour un peu en oublierait que le commerce équitable pose en filigrane la question de la répartition de la richesse. Dans l’approche dont se réclame Max Havelaar, aucun effort n’est demandé aux puissantes entreprises qui interviennent tout au long des filières. L’équité se résume alors à réclamer davantage au consommateur final afin de rétribuer un petit peu mieux les producteurs, sans considération aucune du sort des travailleurs que ces derniers emploient. Les marges des entreprises de l’agroalimentaire comme celles de la grande distribution sont les mêmes - voire meilleures - que les produits soient réputés équitables ou qu’ils ne le soient pas. Pour revenir aux fondamentaux du commerce équitable, il faut exiger le triptyque équitable, éthique et écologique, tout au long des filières, depuis le producteur jusqu’au consommateur final. Cette approche est bien évidemment beaucoup plus dérangeante pour les puissants intermédiaires qui s’achètent une bonne conscience et une image valorisante d’entreprises citoyennes et socialement responsables aux frais du consommateur. Il y a urgence à intégrer les plus démunis, les laissés-pour-compte, tous ceux que l’on appelle communément les sans terre à savoir les travailleurs journaliers, saisonniers et autres salariés de producteurs labellisés fournisseurs du commerce équitable, aujourd’hui encore scrupuleusement ignorés du système, malgré toutes ces belles promesses qui reviennent en boucle chaque année, le temps d’une médiatique et printanière campagne promotionnelle qui ne change rien à leur situation.
Séverin Husson/Rémy Pigaglio : Est-ce que depuis la parution de votre livre en 2006, vous estimez que les choses se sont améliorées ?
Christian Jaquiau : Le commerce équitable s’est incontestablement vulgarisé et popularisé auprès des consommateurs. Mon livre a été le premier à oser démystifier une démarche que les promoteurs de l’époque considéraient alors comme indiscutable. Depuis, de nombreux articles de presse, une foule de mémoires d’étudiants, de documentaires et de reportages télévisuels ont amené le consommateur à ouvrir les yeux. Les consommateurs font désormais preuve de maturité et exigent d’en savoir plus - au-delà des logos commerciaux et des marques de repère équitables - sur le contenu social et écologique réel des produits qu’un marketing greenwashisé leur propose à longueur de linéaire en guise d’improbable bonne action. Christian Jaquiau
Interrogés, Séverin Husson et Rémy Pigaglio n’ont pas souhaité s’exprimer sur les raisons de cet étonnant revirement de La Croix.
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