En focalisant le débat sur
la moralisation, sur la publication du patrimoine des élus, on ne résout pas le
problème et on se détourne des vrais sujets. La publication du patrimoine des
élus - à laquelle, en ce qui me concerne, je me suis astreinte depuis 2002,
ainsi qu'à la publication de l'utilisation des fonds publics que je touche du
Parlement européen depuis 2009 - n'est qu'une petite partie du sujet. En
réalité, la vraie question est celle du contrôle des déclarations, de
l'évolution du patrimoine pendant la période de détention du mandat et, après,
de l'évolution du patrimoine des proches.
En revanche, se focaliser
uniquement sur le caractère public avec l'espèce de strip-tease auquel se
livrent certains - qui pendant des années ont refusé de faire spontanément
cette démarche - a quelque chose d'absurde et de malsain. Un politique âgé qui
a hérité ou qui est venu à la politique après une vie d'activité dispose donc
d'un patrimoine, et n'est pas a priori moins honnête qu'un jeune fonctionnaire
qui entre en politique.
De plus, compte tenu du
rapport que nos concitoyens entretiennent avec l'argent, une telle focalisation
va encore réduire le champ de ceux qui, ayant réussi, entreront dans la sphère
politique, qu'ils viennent de l'économie ou des professions libérales.
ESPRIT GÉNÉRAL DE
DÉONTOLOGIE
Aussi cette mesure de
publication ne devrait venir qu'en complément du contrôle d'ensemble et d'un
esprit général de déontologie. Celui-ci pourrait commencer par l'application
des règles de droit commun aux élus, la fiscalisation des frais non justifiés
et la suppression de la réserve parlementaire, qui est un outil de clientélisme
caractérisé.
Le contrôle des
patrimoines n'est qu'une mesure d'accompagnement, car les vrais sujets sont le
financement des partis politiques et des campagnes électorales d'une part, les
trafics d'influence, conflits d'intérêts qui cachent la corruption d'autre
part, souvent en rapport avec le sujet précédent. Quant à la question centrale
de la fraude fiscale, elle n'est pas propre au monde politique, mais doit
s'appliquer évidemment à lui.
S'agissant du financement
des campagnes électorales et des partis politiques, le sujet est tabou, mais il
est au coeur de la polémique et de la maladie de notre démocratie. Le vote des
lois sur le financement public était destiné à éviter les dérives que nous
avions connues avec le financement occulte, les emplois fictifs, les mallettes,
les commissions, style pont de l'île de Ré.
Depuis, le contribuable
paye pour les partis politiques parce que la démocratie a un coût. Mais la
contrepartie devait précisément être la transparence. Les élus de l'UMP ont
refusé voici deux ans de répondre aux demandes de la Commission sur la transparence
de la vie financière pour combler les trous dans la législation.
Or, aujourd'hui, non
seulement les affaires politico-financières continuent, et elles sont
potentiellement gravissimes (Karachi, Libye), mais elles se heurtent à la
course d'obstacles mis volontairement en place pour assurer l'impunité.
"TRÉSORS DE
GUERRE"
Sur ce sujet, force est de
constater qu'aucun des protagonistes n'ouvre la boîte de Pandore. Il est
évident que rien ne sera réglé tant que le financement des partis et des
campagnes électorales n'est pas revu. La limitation du plafond de dépenses
devrait être beaucoup plus bas et les moyens d'investigation et de contrôle de
la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne systématisés.
Ainsi, l'intérêt de constituer des "trésors de guerre" sera-t-il
réduit.
De plus, il est
inadmissible que des partis politiques bénéficiaires de malversations ou ayant
couvert des élus auteurs d'infractions financières bénéficient des subventions
publiques qui sont précisément destinées à financer, dans la probité, les
partis ; une mesure de cet ordre serait très dissuasive, alors même que la
quasi-totalité des formations politiques ont eu des comportements
répréhensibles ou les ont couverts et en ont profité.
Dans le même temps, c'est
le trafic d'influence et les conflits d'intérêts qui sont les plus dangereux,
car non seulement ils sont l'antichambre de la corruption active, mais de plus
ils conduisent à de mauvaises solutions sur le plan de l'intérêt général. Dans
le domaine des armes, dans celui de l'énergie, les commissions occultes sont la
règle et les rétrocommissions fréquentes.
Sauf que la justice ne
parvient pas au bout des procédures engagées, d'où l'impunité de fait dont
jouissent les bénéficiaires. Le scandale absolu ayant été les rétrocommissions
dans l'affaire des frégates de Taïwan, qui a coûté au contribuable plus de 500
millions d'euros.
Mais le plus grave est
sans nul doute à mettre sur le compte des trafics d'influence dans les domaines
sanitaire et alimentaire. Les autorisations de mise sur le marché de
médicaments inutiles, voire dangereux, les autorisations données à des produits
toxiques et maintenues contre vents et marées, l'absence de mesures prises pour
lutter contre les mélanges des genres dans les organes d'expertise publics
constituent autant d'éléments aux conséquences sanitaires et financières
inacceptables - le coût pour la Sécurité sociale est immense.
LE RAPPORT SAUVÉ
Or, force est de constater
que les décisions contraires à l'intérêt général trouvent certes leur origine
dans les lobbies, mais aussi dans les oreilles complaisantes des responsables
politiques qui les écoutent. Voilà pourquoi il est indispensable de faire en
sorte que les conflits d'intérêts et les trafics d'influence soient prohibés
par des mesures concrètes.
Les associations de lutte
contre la corruption les ont identifiées depuis longtemps et une grande partie
d'entre elles figuraient dans le rapport Sauvé (Commission de réflexion pour la
prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique), jamais mis en oeuvre.
Le président de la République a annoncé des mesures fortes pour lutter contre
la fraude fiscale et les paradis fiscaux, qui sont d'autant plus crédibles que
l'évolution européenne et l'exemple américain les rendent possibles. Mais tout
dépendra de la réalité des mesures votées et des moyens mis en oeuvre. Dans
tous les cas, l'absence d'annonces sur les sujets qui précèdent rend partiels
les remèdes mis en oeuvre.
Tant que le monde
politique s'autorégulera et que la société civile restera à l'écart - cet écart
ne pouvant que s'élargir avec la professionnalisation accrue de la politique et
l'abandon aux seuls fonctionnaires de la possibilité effective de faire de la
politique -, le problème majeur de la confiance, mais aussi du fossé entre société
politique et société civile, restera entier.
Corinne Lepage (Députée européenne Alliance des
démocrates et des libéraux pour l'Europe, présidente de CAP21)
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