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samedi 18 mai 2013

Les voyous des Gaz de Schiste toujours en embuscade....



Energie : les entreprises en pleine crise de foi…
Une centaine de sièges, et assis dessus, une centaine de costumes anthracite et de cravates : bienvenue dans un club d’hommes blancs aux cheveux gris, où les visages féminins se comptent sur les doigts de la main. L’association française des entreprises privées (Afep), le lobby des grandes sociétés, et le cercle de l’industrie, un lobby industriel dirigé par le président de PSA, Philippe Varin, tenaient colloque vendredi matin pour débattre de la transition énergétique. Ou plutôt, selon leur terminologie, de « défis énergétiques et compétitivité des entreprises ». L’événement est organisé en collaboration avec Le Monde, qui en fait la publicité dans son édition de la veille. Et profite de la réunion pour promouvoir son nouveau cahier sur l’économie et les entreprises.
Pour les dirigeants de grands groupes qui défilent sur l’estrade, la cause semble entendue : le changement climatique est une réalité et un ennemi à combattre. « Ceux qui pensent que les entreprises sont climatosceptiques se trompent : la réduction des émissions de CO2 est au cœur de nos stratégies », affirme Jean-Pierre Clamadieu, président de la commission développement durable du Medef. Pendant les quatre heures de débat, pas un patron ne dément le rôle de l’activité humaine dans les dérèglements du climat – même si Alstom soutient par ailleurs la fondation de Claude Allègre. Pour Gérard Mestrallet, le patron de GDF-Suez, le monde connaît même un tournant énergétique d’ampleur historique : « Le monde ancien, avec des centrales de plus en plus grosses, disparaît progressivement. Il s’efface au profit de nouvelles formes de production et de consommation : digitalisation, compteurs intelligents, smart grid, stockage, efficacité énergétique, baisse de la demande. On doit devenir des fournisseurs de solutions énergétiques. Cette évolution est irréversible. »
Et chacun se plaît à citer « le climat » parmi ses grands sujets de préoccupation. Seulement, il est secondaire. La cause première, la mère des batailles, c’est la compétitivité. « La croissance et l’emploi doivent être les principaux critères de décision », explique la contribution écrite des groupes, « le soutien à la compétitivité industrielle doit être une priorité ». PDG de Lafarge, géant du ciment et des matériaux de construction, Bruno Lafont martèle : « La compétitivité doit être prioritaire, pas secondaire. » La stratégie européenne de réduction des gaz à effet de serre et d’essor des renouvelables ? « Un triple échec » assassine Gérard Mestrallet. « L’Europe s’est présentée en championne de la lutte contre le changement climatique avec la baisse de ses émissions de CO2, or aujourd’hui cette politique donne des signes de fragilité ou même de marginalisation par rapport au reste du monde » analyse Pierre Gadonneix, président du conseil mondial de l’énergie et ancien PDG d’EDF. Même le représentant de la commission européenne invité au débat, Éric Mamer, chef de cabinet adjoint du commissaire européen à l’énergie, Günther Oettinger, abonde dans leur sens : « Le sommet européen du 22 mai sur l’énergie va montrer que le débat est en train de se déplacer. La compétitivité et la sécurité de l’approvisionnement sont au centre des débats ». 
Dans le collimateur des capitaines français d’industrie, l’energiewende, la transition énergétique allemande, jugée trop brutale, trop coûteuse, trop émettrice de gaz carbonique, trop impopulaire. « L’énergie est à l’Allemagne ce que les 35 heures sont à la France », lance Patrick Kron, le PDG d’Alstom. Sur « l’ampleur de la transition, il faut être réaliste dans les objectifs que l’on se donne. L’Allemagne n’est pas un modèle », conclut Clamadieu.
« Neutralité écologique »
En revanche, tous rêvent à haute voix des États-Unis, et de leurs forages de gaz et d’huile de schiste, qui font baisser les prix de l’énergie et remplissent les carnets de commandes industriels. D’ailleurs, Gérard Mestrallet en profite pour annoncer un projet de site de liquéfaction de gaz de schiste en Louisiane.
Cette plaidoirie collective pour la compétitivité se trouvait déjà au cœur des propositions du « groupe de contact » des entreprises pour le débat sur l’énergie. Cette contribution a provoqué une véritable levée de boucliers des ONG mais aussi, derrière une forme plus onctueuse, entraîné des réprimandes de l’État :l’option de l’exploitation des gaz et huile de schiste est toujours clairement écartée par l’Élysée, en l’absence d’alternative à la technique de la fracturation hydraulique. 
Près d’un mois plus tard, à l’occasion de ce colloque, l’Afep et le cercle de l’industrie confirment non seulement leur demande mais durcissent le ton : « Les énergies non conventionnelles telles que le gaz de schiste devraient être considérées comme un enjeu de compétitivité », et non, donc, comme une question environnementale ; « la neutralité technologique de l’intervention publique doit également être érigée en principe : aucune option ne doit être fermée, ni aujourd’hui, ni sur le long terme » ; le « principal enjeu sera de rééquilibrer les politiques énergétiques et climatiques de l’Union européenne en faveur de la compétitivité – interne et externe – des entreprises européennes ». Et encore : « Il faut retenir le ou les scénarios énergétiques dont les effets sur la croissance et l’emploi sont les plus favorables. »
Pourtant, du crédit d’impôts de 20 milliards d’euros accordé aux entreprises dès l’automne dernier, en passant par l’assouplissement continue du cadre du marché européen du carbone depuis sa création, ou plus récemment par la réduction de l’ampleur de la directive européenne sur l’écoconception, contester la prise en compte de la compétitivité industrielle dans les politiques publiques relève de la mauvaise foi. Alors pourquoi cette imploration chorale ? Interrogé lors de la pause, vendredi matin, Gérard Mestrallet est assez évasif : « Ce n’est pas une mesure ponctuelle, c’est un ensemble de choses, intégrer la question de la compétitivité dans chaque décision. »
Le débat sur l’énergie va-t-il se fracasser sur la compétitivité des entreprises ? Pour le Medef, Clamadieu place ses pions. Leur vision de la conclusion idéale du débat est très nette : oui au renforcement de l’efficacité énergétique, oui à la rénovation thermique des bâtiments. Mais prudence sur l’évolution du mix de production énergétique : « Il est illusoire d’imaginer une évolution massive d’ici 2025. » Et aussi, et c’est plus surprenant, alors que tous les grands groupes énergétiques en développent, modération sur l’essor des renouvelables.
Face à cela, Delphine Batho, présente au début et à la fin du colloque, propose, comme Sarkozy en son temps, un « new deal écologiste ». Pourtant jusqu’ici, rien ne laisse croire que François Hollande prétende réellement devenir le Roosevelt de la transition énergétique. 

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