Une centaine de sièges, et assis dessus, une
centaine de costumes anthracite et de cravates : bienvenue dans un club
d’hommes blancs aux cheveux gris, où les visages féminins se comptent sur les
doigts de la main. L’association française des
entreprises privées (Afep), le lobby des grandes sociétés, et le cercle de l’industrie,
un lobby industriel dirigé par le président de PSA, Philippe Varin,
tenaient colloque vendredi matin pour débattre de la transition énergétique. Ou
plutôt, selon leur terminologie, de « défis énergétiques et
compétitivité des entreprises ». L’événement est organisé en
collaboration avec Le Monde, qui en fait la publicité dans son édition
de la veille. Et profite de la réunion pour promouvoir son nouveau cahier sur
l’économie et les entreprises.
Pour les dirigeants de
grands groupes qui défilent sur l’estrade, la cause semble entendue : le
changement climatique est une réalité et un ennemi à combattre. « Ceux
qui pensent que les entreprises sont climatosceptiques se trompent : la
réduction des émissions de CO2 est au cœur de nos stratégies »,
affirme Jean-Pierre Clamadieu, président de la commission développement durable
du Medef. Pendant les quatre heures de débat, pas un patron ne dément le rôle
de l’activité humaine dans les dérèglements du climat – même si Alstom
soutient par ailleurs la fondation de Claude Allègre. Pour Gérard
Mestrallet, le patron de GDF-Suez, le monde connaît même un tournant
énergétique d’ampleur historique : « Le monde ancien, avec des
centrales de plus en plus grosses, disparaît progressivement. Il s’efface au
profit de nouvelles formes de production et de consommation :
digitalisation, compteurs intelligents, smart grid, stockage, efficacité
énergétique, baisse de la demande. On doit devenir des fournisseurs de
solutions énergétiques. Cette évolution est irréversible. »
Et chacun se plaît à citer
« le climat » parmi ses grands sujets de préoccupation.
Seulement, il est secondaire. La cause première, la mère des batailles, c’est
la compétitivité. « La croissance et l’emploi doivent être les principaux
critères de décision », explique la contribution écrite des groupes, « le
soutien à la compétitivité industrielle doit être une priorité ». PDG
de Lafarge, géant du ciment et des matériaux de construction, Bruno Lafont
martèle : « La compétitivité doit être prioritaire, pas
secondaire. » La stratégie européenne de réduction des gaz à effet de
serre et d’essor des renouvelables ? « Un triple échec »
assassine Gérard Mestrallet. « L’Europe s’est présentée en championne
de la lutte contre le changement climatique avec la baisse de ses émissions de
CO2, or aujourd’hui cette politique donne des signes de fragilité ou même de
marginalisation par rapport au reste du monde » analyse Pierre
Gadonneix, président du conseil mondial de l’énergie et ancien PDG d’EDF. Même
le représentant de la commission européenne invité au débat, Éric Mamer, chef
de cabinet adjoint du commissaire européen à l’énergie, Günther Oettinger,
abonde dans leur sens : « Le sommet européen du 22 mai sur
l’énergie va montrer que le débat est en train de se déplacer. La compétitivité
et la sécurité de l’approvisionnement sont au centre des débats ».
Dans le collimateur des
capitaines français d’industrie, l’energiewende, la transition
énergétique allemande, jugée trop brutale, trop coûteuse, trop émettrice de gaz
carbonique, trop impopulaire. « L’énergie est à l’Allemagne ce que les
35 heures sont à la France », lance Patrick Kron, le PDG d’Alstom. Sur
« l’ampleur de la transition, il faut être réaliste dans les objectifs
que l’on se donne. L’Allemagne n’est pas un modèle », conclut
Clamadieu.
« Neutralité écologique »
En revanche, tous rêvent à
haute voix des États-Unis, et de leurs forages de gaz et d’huile de schiste,
qui font baisser les prix de l’énergie et remplissent les carnets de commandes
industriels. D’ailleurs, Gérard Mestrallet en profite pour annoncer un projet de site de liquéfaction de gaz de schiste en
Louisiane.
Cette plaidoirie
collective pour la compétitivité se trouvait déjà au cœur des propositions du « groupe
de contact » des entreprises pour le débat sur l’énergie. Cette
contribution a provoqué une véritable levée de boucliers des ONG mais aussi,
derrière une forme plus onctueuse, entraîné des réprimandes de l’État :l’option
de l’exploitation des gaz et huile de schiste est toujours clairement écartée
par l’Élysée, en l’absence d’alternative à la technique de la fracturation
hydraulique.
Près d’un mois plus tard,
à l’occasion de ce colloque, l’Afep et le cercle de l’industrie confirment non
seulement leur demande mais durcissent le ton : « Les énergies non
conventionnelles telles que le gaz de schiste devraient être considérées comme
un enjeu de compétitivité », et non, donc, comme une question
environnementale ; « la neutralité technologique de l’intervention
publique doit également être érigée en principe : aucune option ne doit
être fermée, ni aujourd’hui, ni sur le long terme » ; le
« principal enjeu sera de rééquilibrer les politiques énergétiques et
climatiques de l’Union européenne en faveur de la compétitivité – interne
et externe – des entreprises européennes ». Et encore : « Il
faut retenir le ou les scénarios énergétiques dont les effets sur la croissance
et l’emploi sont les plus favorables. »
Pourtant, du crédit d’impôts de 20 milliards d’euros accordé aux
entreprises dès l’automne dernier, en passant par l’assouplissement continue du
cadre du marché européen du carbone depuis sa création, ou plus récemment par la réduction de l’ampleur de la directive européenne sur
l’écoconception, contester la prise en compte de la compétitivité
industrielle dans les politiques publiques relève de la mauvaise foi. Alors
pourquoi cette imploration chorale ? Interrogé lors de la pause, vendredi
matin, Gérard Mestrallet est assez évasif : « Ce n’est pas une
mesure ponctuelle, c’est un ensemble de choses, intégrer la question de la
compétitivité dans chaque décision. »
Le débat sur l’énergie
va-t-il se fracasser sur la compétitivité des entreprises ? Pour le Medef,
Clamadieu place ses pions. Leur vision de la conclusion idéale du débat est
très nette : oui au renforcement de l’efficacité énergétique, oui à la
rénovation thermique des bâtiments. Mais prudence sur l’évolution du mix de
production énergétique : « Il est illusoire d’imaginer une
évolution massive d’ici 2025. » Et aussi, et c’est plus surprenant,
alors que tous les grands groupes énergétiques en développent, modération sur
l’essor des renouvelables.
Face à cela, Delphine
Batho, présente au début et à la fin du colloque, propose, comme Sarkozy en son
temps, un « new deal écologiste ». Pourtant jusqu’ici, rien ne
laisse croire que François Hollande prétende réellement devenir le Roosevelt de
la transition énergétique.
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