DÉCOLONISONS LES IMAGINAIRES : UN COLLOQUE SUR LES ENJEUX DES CARRÉS MUSULMANS EN France
Pourquoi et comment est né ce colloque annuel au titre ambitieux "Décolonisons les imaginaires" ?
Yamina Benguigui : La délégation aux Droits de l'Homme et à la lutte contre les discriminations a été créée par le maire de Paris, Bertrand Delanoë, en 2008. Il a osé le faire et cela symbolise sa modernité. C'est une délégation à part entière dédiée à ces questions.
Notre travail lutte à la fois contre les formes de discriminations frontales mais aussi contre celles qui sont plus pernicieuses et demeurent invisibles. C'est le fameux plafond de verre dont j'ai fait un film. (1)
Ce colloque s'intitule Décolonisons les imaginaires car il entend participer à la déconstruction de schémas coloniaux qui continuent de fonctionner tacitement dans notre société.
Longtemps les responsables politiques ont pensé que les immigrés originaires des anciennes colonies françaises étaient en transit. Il n'y a donc pas eu de véritable volonté politique de les intégrer. Aujourd'hui, on ne peut que constater l'enracinement d'une population. Il faut donc travailler sur cette signification, cette mémoire et analyser pourquoi, malgré ce que postule l'article 1 de la Constitution française, cette population est victime de discriminations.
Le colloque a cette ambition à la fois philosophique et sociétale. Nous parlons de Paris mais nous avons envie que cette réflexion touche également d'autres grandes villes telles Bordeaux ou Strasbourg.
Cette année, le colloque s'organise autour d'une question fondamentale : "Quand la terre des morts enracine les vivants. Enjeux des carrés musulmans pour la France." Pourquoi ce thème ?
La dernière image de mon film Mémoire d'immigrés en 1996 renvoie déjà à cette question. La France métropolitaine comptait alors soixante carrés et un seul cimetière musulmans ! Or, des millions de Français de culture musulmane sont d'ici aujourd'hui et de nulle part ailleurs. Il existe bien trop peu de carrés pour qu'ils puissent être inhumés en France. Comment peut-on parler d'intégration si les morts ne peuvent être enterrés sur cette terre, s'il faut les renvoyer ailleurs ? On ne peut se poser sereinement dans un pays que lorsqu'on sait que, le moment venu, on pourra y reposer. L'enracinement physique conditionne l'enracinement intellectuel et symbolique.
Tandis que la question de la pratique religieuse dans l'espace public est abondamment traitée, voire instrumentalisée, le sujet des carrés musulmans est peu abordé dans les médias et le débat public. Pourquoi ce décalage selon vous ?
L'insuffisance du nombre de carrés musulmans est un problème françaisque peu de responsables politiques ont le courage d'affronter. Le gouvernement de Nicolas Sarkozy préfère se focaliser sur la question des lieux de culte. Car aménager les cimetières pour créer de nouveaux carrés suppose de donner quelques coups de canif à notre laïcité. Pour que la situation évolue, l'engagement des maires, sous l'autorité desquels sont placés les cimetières, est essentiel.
Comment cette insuffisance de carrés et de cimetières est-elle vécue par les communautés musulmanes ?
Elle touche des milliers de familles qui sont pour certaines françaises depuis plusieurs générations. C'est terrible de devoir renvoyer un proche décédé - père, mère, enfant… - dans un pays où parfois l'on ne retourne plus. Pour beaucoup d'entre elles, c'est un drame, une déchirure. Même si elles ne pratiquent pas, il faut que ces familles aient le choix de pouvoir enterrer leurs défunts en France ou dans le pays d'origine. Or aujourd'hui, ce choix n'existe pas.
Depuis Paris, je veux donc poser à la France entière cette question de l'enracinement et de la non-discrimination dans la mort. Là où il existe des cimetières, on se doit d'aborder la question de créer des carrés musulmans. Il faut que les mentalités évoluent sur ce sujet. C'est indispensable.
En tant que maire adjointe, avez-vous pu contribuer à créer de nouveaux carrés à Paris ?
J'ai rencontré Bertrand Delanoë autour de cette question il y a dix ans. Il en a tout de suite saisi les enjeux et m'a soutenu dans cet engagement. La situation a peu changé depuis car de nombreux problèmes se posent. Mais le colloque va permettre de relancer ce grand débat. L'Association des maires de l'Ile-de-France (AMIF) en est partenaire. Nos travaux vont donc être diffusés auprès des élus locaux franciliens et au-delà des frontières de la région. Car la question d'un modèle se pose.
Comment pourra-t-on suivre le déroulement et les suites éventuelles de ce colloque ?
Les actes du colloque seront mis en ligne sur le site de la mairie de Paris : paris.fr. (2) Nous allons proposer aux maires de se saisir de cette question pour continuer à la porter après le colloque. Car, à travers la création des carrés, l'enjeu de l'enracinement est fondamental. Si les musulmans peuvent enterrer dignement leurs morts sur le sol français, cela représentera une évolution capitale pour eux comme pour les non musulmans. On n'imagine pas à quel point on peut se poser sereinement sur une terre lorsqu'on peut y enterrer les siens
Notre travail lutte à la fois contre les formes de discriminations frontales mais aussi contre celles qui sont plus pernicieuses et demeurent invisibles. C'est le fameux plafond de verre dont j'ai fait un film. (1)
Ce colloque s'intitule Décolonisons les imaginaires car il entend participer à la déconstruction de schémas coloniaux qui continuent de fonctionner tacitement dans notre société.
Longtemps les responsables politiques ont pensé que les immigrés originaires des anciennes colonies françaises étaient en transit. Il n'y a donc pas eu de véritable volonté politique de les intégrer. Aujourd'hui, on ne peut que constater l'enracinement d'une population. Il faut donc travailler sur cette signification, cette mémoire et analyser pourquoi, malgré ce que postule l'article 1 de la Constitution française, cette population est victime de discriminations.
Le colloque a cette ambition à la fois philosophique et sociétale. Nous parlons de Paris mais nous avons envie que cette réflexion touche également d'autres grandes villes telles Bordeaux ou Strasbourg.
Cette année, le colloque s'organise autour d'une question fondamentale : "Quand la terre des morts enracine les vivants. Enjeux des carrés musulmans pour la France." Pourquoi ce thème ?
La dernière image de mon film Mémoire d'immigrés en 1996 renvoie déjà à cette question. La France métropolitaine comptait alors soixante carrés et un seul cimetière musulmans ! Or, des millions de Français de culture musulmane sont d'ici aujourd'hui et de nulle part ailleurs. Il existe bien trop peu de carrés pour qu'ils puissent être inhumés en France. Comment peut-on parler d'intégration si les morts ne peuvent être enterrés sur cette terre, s'il faut les renvoyer ailleurs ? On ne peut se poser sereinement dans un pays que lorsqu'on sait que, le moment venu, on pourra y reposer. L'enracinement physique conditionne l'enracinement intellectuel et symbolique.
Tandis que la question de la pratique religieuse dans l'espace public est abondamment traitée, voire instrumentalisée, le sujet des carrés musulmans est peu abordé dans les médias et le débat public. Pourquoi ce décalage selon vous ?
L'insuffisance du nombre de carrés musulmans est un problème françaisque peu de responsables politiques ont le courage d'affronter. Le gouvernement de Nicolas Sarkozy préfère se focaliser sur la question des lieux de culte. Car aménager les cimetières pour créer de nouveaux carrés suppose de donner quelques coups de canif à notre laïcité. Pour que la situation évolue, l'engagement des maires, sous l'autorité desquels sont placés les cimetières, est essentiel.
Comment cette insuffisance de carrés et de cimetières est-elle vécue par les communautés musulmanes ?
Elle touche des milliers de familles qui sont pour certaines françaises depuis plusieurs générations. C'est terrible de devoir renvoyer un proche décédé - père, mère, enfant… - dans un pays où parfois l'on ne retourne plus. Pour beaucoup d'entre elles, c'est un drame, une déchirure. Même si elles ne pratiquent pas, il faut que ces familles aient le choix de pouvoir enterrer leurs défunts en France ou dans le pays d'origine. Or aujourd'hui, ce choix n'existe pas.
Depuis Paris, je veux donc poser à la France entière cette question de l'enracinement et de la non-discrimination dans la mort. Là où il existe des cimetières, on se doit d'aborder la question de créer des carrés musulmans. Il faut que les mentalités évoluent sur ce sujet. C'est indispensable.
En tant que maire adjointe, avez-vous pu contribuer à créer de nouveaux carrés à Paris ?
J'ai rencontré Bertrand Delanoë autour de cette question il y a dix ans. Il en a tout de suite saisi les enjeux et m'a soutenu dans cet engagement. La situation a peu changé depuis car de nombreux problèmes se posent. Mais le colloque va permettre de relancer ce grand débat. L'Association des maires de l'Ile-de-France (AMIF) en est partenaire. Nos travaux vont donc être diffusés auprès des élus locaux franciliens et au-delà des frontières de la région. Car la question d'un modèle se pose.
Comment pourra-t-on suivre le déroulement et les suites éventuelles de ce colloque ?
Les actes du colloque seront mis en ligne sur le site de la mairie de Paris : paris.fr. (2) Nous allons proposer aux maires de se saisir de cette question pour continuer à la porter après le colloque. Car, à travers la création des carrés, l'enjeu de l'enracinement est fondamental. Si les musulmans peuvent enterrer dignement leurs morts sur le sol français, cela représentera une évolution capitale pour eux comme pour les non musulmans. On n'imagine pas à quel point on peut se poser sereinement sur une terre lorsqu'on peut y enterrer les siens
Ayoko Mensah
decolonisons@paris.fr
1. Le Plafond de verre, film documentaire de Yamina Benguigui, 2006.
2. Un compte-rendu du colloque sera publié dans le numéro 24 d'Afriscope(janvier-février 2012) et sur le site africultures.com
decolonisons@paris.fr
1. Le Plafond de verre, film documentaire de Yamina Benguigui, 2006.
2. Un compte-rendu du colloque sera publié dans le numéro 24 d'Afriscope(janvier-février 2012) et sur le site africultures.com
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