Alia Magda Ehmahdy, nue contre les salafistes
(Photo : Alia Magda Ehmahdy a posté cette photo sur son blog fin octobre, avec celles d'autres militants).
Une militante égyptienne pose nue sur son blog pour dénoncer l'obscurantisme, mais certains s'inquiètent que l'effet soit plus négatif que positif.
La photo est en noir et blanc avec des petites pointes de rouge. Elle porte des bas, des ballerines et un chouchou, rien de plus. Elle est nue et pose face à l'appareil. Pas de manière langoureuse ou provocante, non, juste nue. Le cliché n'est pas incroyable, il tente vaguement d'être artistique, comme des centaines d'autres milliers d'images que l'on peut voir sur Internet.
Sauf que la jeune femme qui pose, Alia Magda Ehmahdy, est égyptienne, bloggeuse et militante féministe. Elle a diffusé ce cliché, et d'autres, sur son blog, fin octobre, revendiquant sa condition de femme libre. Sur cet espace, intitulé «Confessions calmes», elle dénonce l'obscurantisme.
Ballerines rouges
Elle se présente comme une étudiante en médias et communication, athée depuis l'âge de 16 ans et «individualiste», et déclare militer«contre une société de violence, de racisme, de sexisme, de harcèlement sexuel et d'hypocrisie», comme le traduit Le Monde. Sur la page du blog, elle montre également des photos érotiques d'autres militants, comme celle de cet homme qui pose nu, assis sur une chaise, une guitare à la main. D'autres artistes semblent avoir joué avec son image, tel un certain Cheb Makhlouf qui, en référence aux singes de la sagesse japonais, reproduit trois fois l'image de la jeune fille aux ballerines rouges, avec à chaque fois un bandeau jaune sur une partie différente de son corps: le sexe, la bouche, puis les yeux.
Alia Magda Ehmahdy, utilise sur Twitter un nouveau hastag,#NudePhotoRevolutionary? et reçoit de très nombreux messages de soutiens, d'Egyptiens et d'étrangers. Twittant alternativement en anglais et en arabe, elle explique qu'elle s'exprime sous son vrai nom et qu'elle a pris ces photos elle-même, chez ses parents, quelques mois avant de rencontrer son compagnon actuel, Kareem Amer, qui a fait trois ans de prison pour «insulte au président» et «blasphème» sous le régime de Moubarak.
Contacté , ce militant explique qu'Alia Magda Ehmahdy «fait ce qu'elle veut. Je ne suis pas là pour la critiquer. Elle utilise la photo pour délivrer un message aux salafistes et aux Egyptiens : "Mon corps n'est pas honteux."» Très fier d'elle, il juge qu'elle réalise «quelque chose que personne n'a encore jamais fait dans le monde arabe.»
Dans un pays très religieux, à la veille des élections le 28 novembre, sa démarche interroge et provoque. Pour l'instant, elle continue de s'exprimer sur les réseaux sociaux, comme ce jeudi sur Twitter où elle a posté des vidéos pour la protection des enfants. Mais dans la blogosphère et les médias égyptiens et, au-delà, dans le monde arabe, certains l'accusent de ne pas respecter la charia et la menacent.
«Ça aurait été pareil si c'était un homme»
Même chez les plus ouverts, on s'inquiète des potentielles répercussions. «J'ai peur que cela ait un impact plus négatif que positif», s'interroge ainsi Amira Yahyaoui (@Mira404 sur Twitter), bloggeuse tunisienne et militante des droits de l'homme, engagée dans le parti indépendant Sawt Mostakel. «Pour l'Egypte, je pense que c'est beaucoup trop fort. Les gens ne vont pas comprendre. Ils vont se dire "les féministes, leur combat c'est de se foutre à poil".»
Sarah Ben Hamadi (@Sarah_bh) est également bloggeuse et tunisienne. Elle estime que «les réactions hostiles ne sont pas une surprise, et d'ailleurs, je pense que ça aurait été pareil si c'était un homme. Si un corps nu est un argument de vente en Occident, il est regardé autrement dans une société arabo-musulmane encore pudique, où liberté ne rime pas forcément avec nudité. Il faut vivre dans une société conservatrice comme l'Egypte pour pouvoir comprendre ces réactions.»
Elle pense que ce n'est pas la meilleure des tactiques : «Il y a d'autre moyens de s'exprimer beaucoup plus efficaces et, surtout, mobilisateurs. Une action comme celle-là aura du mal à avoir le soutien même des plus modérés.»
Mais toutes deux reconnaissent que les combats féministes vont devenir un enjeux dans le monde arabe ces prochains mois. Parlant du parti islamiste Ennahda en Tunisie, Sarah Ben Hamadi avoue que «c'est vrai que leur nouvelle et forte présence sur la scène politique suscite aujourd'hui l'inquiétude des femmes qui ont peur de vivre une régression à un moment où elles pensaient demander plus de droits». Amira Yahyaoui pense, elle, qu'il va falloir «multiplier les actions féministes».
En Egypte, Kareem Amer juge que sa petite amie, Alia Magda Ehmahdy, va «continuer». «Elle n'est pas effrayée par ce qui peut arriver».
QUENTIN GIRARD
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