La République aux mains sales
Les égouts débordent. Deux tiers des Français croient déjà leurs politiques "plutôt corrompus". On peut souhaiter que chacun garde son calme et s'exprime avec discernement pour ne pas augmenter la défiance. Mais il faudra bien nettoyer les écuries des affaires, par principe, et pour ne pas laisser le balai à l'extrême droite.
Rien ne serait pire que de renforcer le sentiment d'impunité. Dans un pays où l'on parle beaucoup de sécurité pour lutter contre la petite délinquance et si peu pour lutter contre la délinquance financière. Que des hommes politiques fréquentent des émissaires peu ragoûtants n'est pas illégal. La France vend malheureusement des armes, ce qui suppose de composer avec des hommes de l'ombre. Est-ce une raison pour transformer cet affairisme en amitié, au point de passer des vacances aux frais de ces émissaires ? Terrible image. Défiance garantie envers des politiques déjà soupçonnés de ne pas prendre les bonnes décisions face à la crise à cause du lobbying des milieux de l'argent.
Bien sûr, il faut continuer à faire la part des choses. Entre les soupçons et les faits établis. Entre les commissions légales et les rétrocommissions. Entre les billets venant de fonds secrets et ceux qu'on va chercher en Suisse. Entre ceux qui ont peut-être contourné la loi pour financer la campagne d'Edouard Balladur et ce qui a causé la mort de Français à Karachi.
Le gouvernement le dira, le martèlera même. Il aura raison. Mais ce serait faire semblant de ne rien comprendre aux raisons du malaise. La question n'est pas tant de savoir si le nom du chef de l'Etat est cité, ou non, dans un dossier. La colère est ailleurs. Dans cette manie de concentrer tous les pouvoirs. De sembler prêt à tout pour s'en servir et se protéger. Tel un palais de l'Elysée qui n'a jamais renoncé à la Place Beauvau.
Des services de renseignements fusionnés et dirigés par des hommes dévoués à Nicolas Sarkozy. Un procureur Courroye, surnommé "Courroye-de-transmission", imposé malgré l'avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature. Qui n'a rien fait pour faciliter le travail de la juge Isabelle Prévost-Desprez dans son instruction sur l'affaire Bettencourt. Mais autorise le contrôle des fadettes d'un journaliste du Monde... Sans parler du nouveau coup de force pour imposer une procureure à Bordeaux, où s'instruit la même affaire. Ni du coup de fil de Brice Hortefeux révélant qu'on suit ces dossiers de près.
Il existe un contre-pouvoir : l'endurance de certains juges d'instruction. On a voulu les fragiliser, les entraver, les supprimer même. Ils ont survécu et le font savoir. Tant mieux. Sur leurs épaules repose le dernier fil de confiance qui relie les Français à leur Etat de droit. Ils ont besoin - nous avons tous besoin - d'être rassurés.
Rassurez-nous Monsieur le président, nous ne sommes ni à Palerme ni à Moscou ? La France ne serait pas devenue un immense territoire perdu de la République ? Ou plutôt ne dites rien. Prouvez-nous que la justice peut passer. Que l'Etat de droit est plus fort que les logiques de clan et de pouvoir. Réformez le statut du parquet pour garantir son indépendance. Mettez fin à l'inceste qui menotte notre séparation des pouvoirs.
Caroline Fourest
Essayiste et journaliste, rédactrice en chef de la revue "ProChoix", elle est l'auteure notamment de "La Dernière Utopie " (Grasset, 2009) et de "Marine Le Pen" avec Fiammetta Venner (Grasset, 400 p., 20 €).
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