Les pollueurs payés, un vrai gisement
Analyse Pour renflouer l’Etat, le Réseau
Action Climat propose d’arrêter de subventionner certains industriels.
Le gouvernement cherche
10 milliards d’euros ? Fastoche, rétorquent les ONG écolos : il n’a qu’à
réviser sa fiscalité en cessant d’exonérer ou de subventionner des activités
polluantes. Il fera ainsi d’une pierre deux ou trois coups : trouver des
milliards (4 à 5 la première année), minimiser la pollution et préserver
la biodiversité.
Nicolas Hulot et des ONG regroupées
au sein du Réseau Action Climat ont présenté hier une jolie boîte à outils
fiscale, verte, histoire de tuyauter le gouvernement à la veille du projet de
loi de finances rectificative. D’après eux, il serait judicieux de s’en
inspirer au plus vite, d’autant que la France fait figure de cancre de l’UE en
matière de fiscalité écologique. Après analyse du programme de stabilité
transmis par l’ex-gouvernement Fillon, Bruxelles a pointé du doigt la faiblesse
de la part de fiscalité verte dans les recettes de l’Hexagone. «La France occupe l’avant-dernière place dans
l’Union européenne, ce qui lui laisse une sérieuse marge pour augmenter ce type
de taxes», a taclé la Commission. «Ni fiscaliste ni économiste» mais fin analyste, Nicolas
Hulot résume ainsi l’affaire : «Il faut
taxer plus ce que l’on veut moins, et taxer moins ce que l’on veut plus.»
Donc, taxer plus fortement l’énergie qui va se raréfier et dont la consommation
pollue, et moins le travail.
Aberration. Ces aides publiques qui augmentent les émissions
de CO2, la pollution de l’eau et de l’air et qui nuisent à la
biodiversité sont un peu partout. «Dans
les domaines des transports, de l’énergie, du bâtiment ou de l’agriculture, les
subventions et les exonérations fiscales dommageables à l’environnement
s’élèvent à environ 50 milliards d’euros», calcule Guillaume
Sainteny, auteur d’un livre sur le sujet (1). Le consultant a épluché les
annexes au projet de loi de finances 2010 et passé au crible vert toutes
les niches fiscales, ainsi que les subventions publiques. Ainsi, conclut-il,
l’Etat soutient le secteur énergétique à hauteur de 22,7 milliards
d’euros chaque année, et les transports carburant aux énergies fossiles
pour 8,8 milliards. La prime à la cuve coûte ainsi 190 millions
d’euros aux contribuables, tandis que la facture de gaz et de pétrole destinés
aux centrales électriques d’appoint s’élève à 568 millions. En
appliquant des taux de TVA réduits sur les carburants tels que le fioul
domestique ou le gazole, l’Etat se prive de 8,8 et 6,9 milliards
d’euros. «Ce faisant, la France dispose
d’un parc de véhicules avec 60% de diesel, fortement émetteur de particules. Un
cas unique», précise Sainteny.
Les recettes potentielles
se logent aussi dans le secteur des transports, qui se fait rembourser une
partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques
(TICPE, ex-TIPP). Manque à gagner : 300 millions d’euros. Idem en
agriculture, où la politique de soutien aux agrocarburants sur la
période 2005-2010 a coûté 820 millions à l’Etat.
Selon les ONG, qui lancent
un appel pour l’arrêt des subventions à la pollution (2), c’est une
aberration, en 2012, d’exonérer de toute taxe ou de subventionner des
activités ayant des effets nocifs avérés sur l’environnement. L’exemple le plus
criant reste celui de l’aviation. Gros émetteur de CO2 (+110%
d’émissions entre 1990 et aujourd’hui) et glouton énergétique, ce secteur
bénéficie d’un régime privilégié hérité d’une autre époque. Depuis les
années 40, le carburant destiné aux vols internationaux est exempt de
toute taxe. Au niveau national, le kérosène est totalement exonéré de TICPE ou
de TVA, ce qui représente 3,5 milliards d’euros non perçus. Et pourquoi
les billets d’avion bénéficient-ils d’un taux réduit de TVA (0% pour les vols
internationaux et 7%pour les vols nationaux) ? «Au niveau de l’UE, cela représente un manque à gagner
de 10 milliards d’euros», souligne Morgane Créach, du
Réseau Action Climat.
Mutation. Avec cet appel, les ONG et Hulot espèrent que le
gouvernement mettra en place des outils fiscaux facilitant une mutation vers
des comportements et activités moins énergivores et polluants. «Sans alourdir la barque fiscale des Français»,
prévient Hulot. «Pour cela, il faut
planifier une fiscalité différente sur le long terme, redessiner les
subventions, réorienter les aides publiques… plaide Sainteny. L’Allemagne, qui a augmenté le gazole et le fioul
de 3,7 centimes d’euro le litre chaque année, a diminué la
consommation de ces carburants de 8% entre 2003 et 2008.»
Pour les ONG, la fenêtre de
tir pour engager le verdissement de la fiscalité, c’est maintenant. Mais ils
redoutent d’avoir perdu, lors du remaniement de la semaine dernière, une
avocate de choix pour plaider leur cause. «Avant
le changement d’affectation de [la ministre] Nicole Bricq, toutes ces
propositions avaient une chance d’être entendues, note un
observateur. Elle avait même nommé un
conseiller fiscal à son cabinet, une première au ministère de l’Ecologie.»
Il faudra faire sans.
LAURE NOUALHAT
(1) «Plaidoyer pour
l’écofiscalité», éd. Buchet Chastel, 2012,., 20 €.
20 milliards d’euros de subventions à la pollution
20 milliards
d’euros : c’est le montant annuel des niches fiscales grises – qui
favorisent directement ou indirectement la pollution. Parmi leurs heureux
bénéficiaires : le secteur de l’aviation, avec l’exonération de taxe
intérieure sur l’énergie pour l’aviation (3,5 milliards d’euros dont 1,3 pour
les vols intérieurs) ; le transport routier, avec le remboursement partiel
de la taxe intérieure sur l’énergie (300 millions d’euros) ou encore les
agrocarburants (196 millions d’euros).
« Aujourd’hui en
France, on subventionne trois fois plus le problème climatique que sa solution », s’insurgent la Fondation Nicolas-Hulot pour la
nature et l’homme (FNH) et le Réseau action climat (RAC-F), dans un courrier
adressé au président de la République et aux parlementaires. Soutenues par de
nombreuses associations et personnalités, les deux organisations appellent à la
fin des « subventions à la pollution ».
Elles plaident également
pour la mise en place d’une véritable fiscalité écologique. Avec, par exemple,
l’écotaxe poids lourds, ou encore l’indemnisation kilométrique vélo, qui existe
en Belgique. Le gouvernement, qui prépare actuellement le budget 2013, ferait
bien de piocher des idées dans cet appel. Les ministres et élus de la majorité
présidentielle peuvent aussi jeter un œil à un rapport du Sénat sur les
prélèvements obligatoires et leur évolution. Publié en octobre 2011, et
dirigé par une certaine Nicole Bricq, ce rapport titrait un de ses
chapitres : « Incohérence, le rendez-vous manqué de la fiscalité
écologique ». Subira-t-il la même « promotion » que
l’ancienne ministre de l’Écologie ?
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