L’EXTREME DROITE, UNE NEBULEUSE MULTIFORME QUI S’ORGANISE
À l’échelle du monde,
l’extrême droite prend ses marques et s’enracine au travers d’une nébuleuse
multiforme. Ses singularités diffèrent d’un continent à l’autre et reflètent
l’histoire et la spécificité des sociétés. Quel que soit son visage, l’extrême
droite, presque toujours xénophobe, se nourrit des peurs, des frustrations et
des précarités générées et alimentées par la crise. Elle progresse sur des
sociétés fragilisées dont les repères et les valeurs sont heurtés. Les gros
bataillons ne viennent plus en Europe des groupuscules violents ou
paramilitaires et souvent nostalgiques du nazisme qui, tolérés ou non,
perdurent encore de façon marginale et folklorique dans la vie politique.
Certes, des filiations idéologiques avec cette famille politique peuvent être
objectivées pour quelques dirigeants, mais pour l’essentiel le discours, les
formes d’action, les milieux influencés se sont tellement modifiés qu’ils
inclinent plutôt à penser en termes de ruptures que de continuités.
Le monde arabo-musulman,
du Sénégal au Pakistan, soit largement plus d’un milliard d’hommes, a vu se
développer en une trentaine d’années des formes d’intégrisme religieux qui
s’apparentent à un fascisme vert prenant partout violemment pour cible les
forces progressistes et démocratiques et ayant le projet d’imposer la
prééminence de principes théocratiques sur l’espace social et politique. En
Afrique noire, les sectes évangélistes prospèrent et véhiculent des valeurs
rétrogradent, tandis qu’en Amérique latine elles ont toujours été associées aux
formes extrêmes des dictatures militaires.
Partout, ces mouvements,
surfant sur l’air du temps, ont su tout à la fois faire coaguler des
aspirations diverses, utiliser les techniques les plus modernes de la
communication de masse et se retrouver à l’aise dans une mondialisation qu’ils
leur arrivent parfois de pourfendre. Selon les pays et les situations, les
thèmes seront simplifiés et caricaturés par des leaders qui ne s’embarrasseront
pas de complexité et chercheront avant tout à déstabiliser le système politique
en présentant ses élites comme incompétentes, corrompues, complices de forces
obscures menaçant l’intérêt national et insensibles aux besoins du peuple. Les
boucs émissaires seront vite trouvés. Ici l’immigré, là le profiteur de
l’État-providence ou le fonctionnaire, sauf s’il est policier, douanier ou
soldat, car l’ordre musclé n’est jamais rejeté. Ou encore, la région pauvre et
paresseuse parasitant la région riche et besogneuse sera montrée du doigt et
invitée à se séparer. L’anti-fiscalisme et le rejet de l’Etat-providence seront
mis en avant, notamment dans un continent comme l’Europe où l’Etat a toujours
été affirmé et tenu pour responsable des solidarités nécessaires. Ailleurs, la
présence d’une forte immigration habilement associée à une montée de
l’insécurité, vraie ou fantasmée, sera un effet d’aubaine. On assiste même
aujourd’hui à des tentatives de réhabilitation de la colonisation en exaltant
ses soi-disant bienfaits, suggérant par là qu’il ne s’agissait que de civiliser
des « barbares » qui devraient nous en être reconnaissants. Des
sentiments identitaires caractériseront souvent cette mouvance. Flattés à
l’échelon national, ils nourriront une forme nationaliste d’opposition à
l’Europe et à la mondialisation ainsi qu’à l’idéologie qui l’accompagne, le
mondialisme. Mais déclinés sur un mode régionaliste voire séparatiste, ils
remettront en cause le modèle national en se jouant de l’Europe flattant les
régions.
À l’évidence, ce fonds de
commerce prospère. Mais centré sur des identités et des particularismes, il
peine à se constituer en internationale effective à l’échelle du monde et
arrive difficilement à tisser des réseaux de relations efficaces au-delà de
l’horizon continental, comme c’est le cas au Parlement européen. On imagine en
effet mal des intégrismes religieux se mettre à coopérer, même s’ils
s’alimentent l’un l’autre.
L’idéologie de l’extrême
droite est finalement assez simple : il faut préserver. Qu’il s’agisse de
la race, de la nation ou de la civilisation face au « barbare » qui
est aux portes ou déjà à demeure ; ou bien des valeurs ancestrales
menacées - travail, famille, religion -, de l’ordre établi bousculé par
toute évolution de société. Il faut défendre tout cela parce qu’on s’est
persuadé que c’était ce qu’il y avait de meilleur, donc de supérieur aux
autres. Il faudra même lutter contre la science si elle en vient à contredire
nos convictions profondes, notamment religieuses. Au cœur de cette idéologie se
niche la haine de l’autre et la conviction que l’homme est un loup pour
l’homme. Le recours à l’affrontement, à la tension, voire à la guerre, ou la
construction de dangers, de menaces ou d’ennemis, seront systématiquement
recherchés pour entretenir une cohésion sociale ou communautaire contre
« les autres ». On comprend combien ces « idées », ces
phobies ou ces croyances rentrent en totale opposition avec toute avancée
progressiste porteuse de valeurs de solidarité et de progrès. Le choc ne peut
être que frontal et sans concessions.
Les stratégies seront
diverses. Pour certains une posture d’alliance avec la droite conservatrice
sera privilégiée et permettra une participation au pouvoir (Autriche, Italie,
Pays-Bas, Portugal). Pour d’autres, faute d’avoir réussi à se rendre
fréquentable, la perspective tracée sera celle de la déstabilisation du système
politique perçu comme obstacle à toute avancée vers le pouvoir. Mais, dans tous
les cas de figure, posture d’affrontement ou participation, l’effet sera le même,
celui d’une droitisation de la société et du recul des valeurs progressistes.
Montée des égoïsmes, repli individuel, abandon des acquis sociaux, recul des
solidarités, refus des différences, recherche de boucs émissaires, traduiront
le déplacement du curseur idéologique.
C’est dans la violence que
la mondialisation a imposée aux peuples et aux Etats que réside probablement la
cause principale de ce bouleversement du paysage politique. Ses effets
délétères ont ravagé les souverainetés nationales garantes des protections que
l’Etat devait à ses populations, et de la préservation des identités de chaque
pays. Le spectacle de gouvernements successifs incapables d’agir efficacement
sur des problèmes considérés comme essentiels et se retranchant derrière la contrainte
externe pour se disculper de leur inaction ou de leur incapacité à obtenir des
résultats, a créé le terreau sur lequel a germé ces postures xénophobes et
identitaires. La précarité et le chômage se sont développés sur une grande
échelle touchant d’abord les plus démunis et les plus exposés et affolant des
classes moyennes craignant d’être happées dans le désastre. Ces dernières
catégories constituent le socle le plus fidèle de cette droite extrême car
elles reprochent à ceux d’en haut de donner à ceux d’en bas avec leur argent,
au risque de les déstabiliser. C’est pourquoi toute solidarité et assistance
sont bannies de leur horizon mental.
Bien qu’embarrassant à la
fois la droite traditionnelle et la gauche, cette montée identitaire et
xénophobe lance un défi particulier à cette dernière qui n’a pas su offrir une
alternative crédible à ces bataillons ouvriers et populaires qui l’ont
abandonnée. L’absence de vraies réponses de la part de la gauche, au programme
peu audible car insuffisamment différencié de celui de la droite et suggérant
un consensus mou sur la mondialisation, la construction européenne, le social,
la réponse à la crise, ont favorisé l’illusion d’un système pipé dont il
fallait sortir par l’extrême droite. Celle-ci a su accueillir ces ruisseaux de
mécontents et transformer leur démarche protestataire en vote de conviction et
d’adhésion par définition moins versatile. Regagner ces voix, voire arrêter
l’hémorragie, ne sera donc pas tâche facile. Redonner sens au clivage
gauche/droite, ne pas confondre social avec sociétal, être clair sur les
couches dont on défend les intérêts et intransigeants sur toute dérive
xénophobe deviendront très vite des postures incontournables pour les forces
politiques se réclamant de la transformation sociale.
Michel Rogalski
Michel Rogalski est économiste (CNRS) et Directeur
de la revue Recherches internationales
Extrême-droite : une inquiétante nébuleuse
(Photo du Haut : Les nostalgiques du IIIe
Reich se glissent de plus en plus souvent dans les rassemblements de
l’ultra-droite, comme ici à Lyon).
L’affaire Gabriac, du nom de ce candidat grenoblois du Front national exclu de ce parti après la publication d’une photo le montrant en train de faire le salut nazi, suscite de nombreuses interrogations sur les milieux de l’ultra-droite en Rhône-Alpes et Paca. Parmi eux apparaissent des groupuscules néonazis, de plus en plus visibles et décomplexés.
L’affaire Gabriac, du nom de ce candidat grenoblois du Front national exclu de ce parti après la publication d’une photo le montrant en train de faire le salut nazi, suscite de nombreuses interrogations sur les milieux de l’ultra-droite en Rhône-Alpes et Paca. Parmi eux apparaissent des groupuscules néonazis, de plus en plus visibles et décomplexés.
Des nostalgiques
du III e Reich
Au sens strict du terme,
les néonazis se réclament du national-socialisme et du III e Reich.
Selon une source policière spécialisée dans le renseignement, la mouvance
représente quelques dizaines de personnes dans la région (et plusieurs
centaines de militants pour l’ensemble de l’ultra-droite). Jean-Yves Camus,
chercheur à l’ Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et
spécialiste de l’extrême droite, confirme cette évaluation.
Lyon, base
régionale des néonazis
Ironie de l’Histoire,
Lyon, capitale de la Résistance, est devenue la base des groupuscules néonazis
du sud-est. Essentiellement constitués de skinheads, ces groupes ont intégré
les rangs de certaines sections de hooligans de l’Olympique lyonnais. Ils se retrouvent
également dans l’association musicale “Rock‘n’Gones”, émanation “culturelle”
officielle du groupe Lyon dissident qui organise des concerts de groupes de la
scène Rac (Rock again communism). Certains de ces événements sont donnés dans
le local de “Rock’n’Gones” – au nom évocateur de “Bunker Korps Lyon” et situé
dans le quartier de Gerland. Les images de ces concerts diffusés sur le web par
les sites néonazis sont à se faire dresser les cheveux sur la tête : saluts
nazis, déferlement de haine raciste et antisémite, appel aux ratonnades, etc.
Certains concerts et rassemblements sont “délocalisés” dans les environs de
Lyon, plus particulièrement dans le Nord-Isère (lire par ailleurs l’affaire de
Chozeau) pour tenter d’échapper à la surveillance de la police.
Nomad 88, comme
“Heil Hitler”
Les néonazis rhônalpins
s’inspirent du mouvement international “Blood & Honor”, traduction de la
devise des jeunesses hitlériennes “Blut und Ehre” (sang et honneur) et du
groupe aujourd’hui dissous Nomad 88 : le “8” fait référence à la huitième
lettre de l’alphabet, le “H”. 88 comme “Heil Hitler”… Nomad 88, qui a
entretenu des liens avec un autre groupe néonazi intitulé “Droite socialiste”,
avait, selon Jean-Yves Camus, ouvert une antenne en Rhône-Alpes en 2008, et
organisé une réunion dont le point de rendez-vous était la Tour-du-Pin. C’est
probablement cette même mouvance qui a organisé le congrès clandestin de
Chozeau en octobre 2008.
De Brunerie aux
skinheads
En 2002, la tentative
d’assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie _ un hooligan parisien
sympathisant des thèses néonazies et membre du MNR de Bruno Mégret _ a
poussé les services secrets français à surveiller et infiltrer l’ultra-droite.
Neuf ans plus tard, deux sources concordantes liées aux services spécialisés
évoquent une menace opérationnelle très limitée actuellement. « Nous avons
affaire à quelques illuminés dont la plupart sont très jeunes, et heureusement
sans aucune structure armée. Derrière la petite dizaine d’idéologues,
animateurs de blogs, il y a une troupe de gros bras, des skinheads vivant dans
le mythe du nazisme qu’ils connaissent très mal en réalité », confie un
policier.
Des connexions
avec la nébuleuse de l’ultra-droite
Inoffensifs, les néonazis
? Pas vraiment. Grands amateurs de débordements aux abords des stades et de
“fights” entre hooligans, les skinheads s’agrègent volontiers aux
manifestations ou aux rassemblements organisés par les autres mouvements de
l’ultra-droite, participant, à l’occasion, au lynchage d’un passant à la peau
basanée ou de militants antifascistes (lire ci-dessous). C’est avec l’Œuvre
française _ un mouvement antisémite dont les références sont le fascisme,
le pétainisme et les phalanges espagnoles de Franco _ que les connexions
semblent les plus apparentes. À l’approche de l’élection présidentielle à
laquelle il a participé, Le Bloc identitaire, implanté dans le
Vaucluse notamment, a quant à lui pris ses distances avec l’ultra-droite
antisémite.
Savoie et
Haute-Savoie et chez nous : des identitaires radicaux
Dans la nébuleuse de
l’ultra-droite, une autre organisation aux frontières de la nostalgie néonazie
retient l’attention des spécialistes : l’Union nationaliste et identitaire
française (Unif), a fondé récemment une section Savoie/Haute-Savoie. Pour
Jean-Yves Camus, il s’agit « d’identitaires radicaux hors Bloc, qui n’ont aucun
souci de modération ». Cette droite extrême se glisse, y compris dans la Vallée
de la Drôme, sous des couverts divers : droite populaire de Labeaume,
réseau de nostalgiques (de la résistance du Vercors) de la Droite aristo-militariste de l’époque
1942-45, entraînement de fascistes sur le Terrain militaire des Haut plateaux
du Vercors, vieux réac du catholicisme anti-protestant, médecins dits des
médecines naturelles, éducateurs antirépublicains, remugles du PCF doriotistes, etc.…Nous reviendrons
sur cette nébuleuse aussi active que discrète.
Claude Veyret
Président de la Ligue des Droits de l’Homme de la 3ème
Circonscription de la Drôme.
Chastel, 26150 Die
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