Nicolas Hulot : "François Hollande doit
siffler la fin de la récré"
A quelques jours de la
conférence environnementale des 14 et 15 septembre, qui réunira autour du
gouvernement, ONG, syndicats, patronat et parlementaires, Nicolas Hulot
craint que l'environnement soit une fois de plus sacrifié à la crise économique
et sociale.
Il appelle François Hollande à donner
le cap de la transition écologique et à prendre en compte les propositions
concrètes de la société civile.
Lors de son
intervention télévisée, dimanche 9 septembre, François Hollande a surtout
évoqué la crise économique. Pensez-vous que la nouvelle majorité a la volonté
de mener à bien la transition écologique ?
La conférence
environnementale des 14 et 15 septembre sera un moment de vérité qui permettra
de juger si le gouvernement a une ambition à la hauteur des enjeux écologiques
qui sont aujourd'hui les nôtres. Un moment de vérité pour la gauche.
Cela dit, le président de
la République a tout de même dessiné quelques pistes lors de son entretien. A
commencer par la fiscalité. Nous plaidons depuis longtemps pour que la
fiscalité du travail se déplace vers deux autres assiettes. La première,
écologique, concerne les prélèvements opérés sur les ressources naturelles ; la
seconde vise à une meilleure prise en compte des revenus autres que le travail,
ceux du capital, notamment.
Dimanche, François
Hollande a ouvert ce débat. J'espère que nous allons vite y entrer de
plain-pied. La fiscalité écologique ne peut pas être abordée par la seule
création d'un impôt supplémentaire. Il est nécessaire de développer une vision
d'ensemble afin de convaincre les Français, et notamment les classes moyennes
et les plus défavorisées, qu'on ne chargera pas davantage leur barque.
Le président a également
évoqué la question du rôle à venir des banques publiques d'investissement,
l'une dédiée aux PME, l'autre aux collectivités territoriales. Mais reste à
savoir si le gouvernement est bien décidé à faire de la transition énergétique
et écologique l'axe prioritaire du développement économique de demain.
François Hollande
n'a rien dit de tout cela lors de son intervention...
Beaucoup de choses restent
à préciser, en effet. Va-t-on, une fois de plus, faire de l'écologie au prorata
des scores électoraux ? Ou va-t-on se décider à mener le combat contre la crise
environnementale qui peut nous aider à résoudre la crise sociale ?
Comment les fonds et les
prêts des banques publiques d'investissement vont-ils être attribués ? Est-ce
qu'on les affecte à une économie conventionnelle ? Ou est-ce qu'on impose à ces
banques des critères écologiques pour tenir compte de la rareté des ressources
et du changement climatique ?
Tout ne peut pas être fait
en deux jours. La preuve en est que le Grenelle, qui s'est déroulé sur une
période plus longue, est loin d'avoir tout réglé. Sauf que nous allons buter
très vite sur les financements. La question de savoir si le gouvernement va
décider la création d'une banque de la transition écologique sera fondamentale.
Je ne souhaite faire aucun
procès d'intention avant la tenue de la conférence environnementale, mais,
jusqu'à présent, il n'y a ni vision ni détermination. Il n'est pas exclu pour
autant que François Hollande trace un horizon et, comme il l'a fait dimanche
soir, un agenda et un calendrier.
En France, les enjeux
écologiques ont quasiment disparu du débat en raison de la crise économique,
des plans sociaux. Pour certains, ces questions sont même devenues un sujet
d'ironie. C'est un retour en arrière très grave. Il faut donc commencer par
réaffirmer l'importance cruciale de l'environnement. Et travailler ensuite sur
le comment. Je vois trois étapes : qu'est-ce que la France peut faire tout de
suite ? Qu'est-ce que la France peut faire toute seule pendant cinq ans ? Que
peut-elle exiger au niveau européen et international ? Ces trois niveaux
d'action sont nécessaires.
Mais ne
faudrait-il pas d'abord commencer par mettre les ministres à l'unisson ?
J'avais proposé à François
Hollande - cela n'a pas été suivi d'effet, pourtant il m'avait donné son accord
de principe - de tenir un séminaire intergouvernemental pour qu'aucun ministre
ne puisse douter des enjeux écologiques. J'ai compris, dimanche, en l'écoutant
- mais cela m'avait déjà été précisé par ailleurs - qu'il allait siffler la fin
de la récréation sur ces sujets. C'est une bonne chose.
Je peux comprendre
qu'Arnaud Montebourg explique par opportunisme que les gaz de schiste sont une
aubaine. Mais cette vision qui fait fi des conséquences sanitaires et
environnementales de leur exploitation est d'un tel court terme que ça en
devient désolant.
J'attends de lui qu'il
devienne plutôt le ministre de la "réindustrialisation verte".
J'attends que le président trace un cap pour l'ensemble de son équipe et il
peut le faire d'autant plus facilement que nombre de travaux scientifiques
récents montrent que nous sommes au bord d'un basculement planétaire. L'urgence
est là.
Etes-vous sûr que
François Hollande qui inaugurera vendredi la conférence environnementale va
"siffler la fin de la récréation" ?
On se parle comme j'ai
toujours parlé avec les présidents qui veulent bien dialoguer avec moi.
J'espère beaucoup de son intervention de vendredi, de sa définition des
responsabilités et de sa "planification" de la mutation écologique en
France, mais aussi dans sa dimension européenne et internationale.
La conférence
environnementale risque pourtant de déboucher sur de simples ouvertures de chantiers...
Il faut au moins espérer
que le cap sera fixé. On peut sans attendre faire des choses concrètes : la
limitation à 10 % de l'artificialisation des sols en France [nous sommes à 8,5 % aujourd'hui] ; la
mise en place d'un moratoire sur l'utilisation des énergies fossiles non
conventionnelles en attendant le débat à venir sur la transition énergétique...
Afin de donner le signal qu'il y a une logique économique d'hier et une logique
économique d'aujourd'hui, le gouvernement pourrait très bien décider, ce
week-end, de ne pas donner suite au projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
C'est un dossier local mais il est très symbolique d'une planification du
passé.
Concernant le nucléaire,
je ne suis pas sûr que nous ayons le choix d'en sortir immédiatement.
Commençons par travailler sur l'efficacité énergétique qui est le vrai gisement
dont nous disposons pour limiter notre consommation, et au passage nos
importations de pétrole et de gaz. Une fois ce chantier bien avancé, nous
aurons une meilleure visibilité pour aborder sereinement le débat sur la place
du nucléaire en France. Quoi qu'il en soit, le gouvernement pourrait d'ores et
déjà proposer de lancer un audit économique sur la filière de l'EPR : je crois
que beaucoup pourraient être surpris du résultat...
Un autre chantier
important à ouvrir qui permettrait de faire entrer le long terme dans notre
démocratie, concerne le Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Il faut donner à cette assemblée la capacité d'imposer la vision du long terme
dans la démocratie avec un droit de veto suspensif - ce qui demande une
révision constitutionnelle. Car de deux choses l'une : soit on conserve le CESE
et on lui donne un poids politique. Soit on le ferme parce que c'est beaucoup
de dépenses. Il y a énormément d'intelligence au CESE, mais qui reste lettre
morte malheureusement.
Maintenant, je ne suis pas
naïf. Je sais bien que ni François Hollande ni Jean-Marc Ayrault ne vont faire
vendredi et samedi leur conversion à l'écologie qu'ils n'ont pas faite ces cinq
dernières années. Mais qu'ils écoutent au moins la société civile. Nous ne
sommes pas dans l'incantation. Nous avons travaillé sur le comment. Nous avons
des modèles économiques, nous avons des plans de financement à leur proposer.
Nous n'arrivons pas les mains dans les poches.
Vous heurtez-vous
à des lobbyings puissants ?
Oh oui ! Sur les gaz de
schiste, nous sommes cernés. Sur la filière nucléaire, c'est extraordinaire de
voir comment le lobbying industriel s'efforce d'effacer de la mémoire collective
les événements de Fukushima. C'est le pot de fer contre le pot de terre. Pour
autant, ces gens-là ne sont puissants que parce que les hommes politiques sont
faibles. Ce n'est pas une fatalité. Et il faut que la science nous aide.
A ce propos, je pense
qu'il serait important de modifier en profondeur l'Académie des sciences, en
France. Sur les sujets écologiques, cette institution s'est montrée pour le
moins sceptique et réactionnaire. Les sciences humaines et sociales et la
biodiversité doivent y faire leur entrée afin que le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif puissent s'appuyer sur une autorité plus en harmonie avec la réalité
scientifique d'aujourd'hui.
Marie-Béatrice Baudet et Laurence Caramel
Depuis le Grenelle, une France est à la traîne…
Cinq ans après le Grenelle
de l'environnement, 268 engagements ambitieux et deux lois, la France trie
mieux ses déchets et consomme moins d'énergie mais reste loin de ses objectifs
en matière d'éolien, d'agriculture biologique ou d'artificialisation des sols.
En matière de déchets, par
exemple, les Français produisent de moins en moins d'ordures ménagères et
trient mieux. Bon point également dans le logement, avec une baisse de la
consommation d'énergie primaire des bâtiments résidentiels en ligne avec
l'objectif de réduction de 38 % d'ici à 2020 par rapport à 2006 adopté à
l'issue du Grenelle. En matière d'emplois, ce bilan met en exergue une
croissance des emplois supérieure dans les activités "vertes" que
dans l'économie en général.
LES ÉNERGIES
RENOUVELABLES : 13,1 % DE LA CONSOMMATION
Pour autant, nombreux sont
les objectifs nés des tables rondes du Grenelle de l'environnement, en 2007,
puis mis en musique dans les lois Grenelle 1 et 2, qui nécessitent un sérieux
coup d'accélérateur. Ainsi, pour la consommation globale d'énergie ou de
construction de bâtiments basse consommation, le rapport note des progrès mais
insuffisants au regard des ambitions affichées il y a cinq ans.
Idem en ce qui concerne
les énergies renouvelables, qui représentaient 13,1 % de l'énergie consommée en
2011 (contre 10 % en 2006) pour un objectif de 23 % en 2020. Un retard
symbolisé par les difficultés de l'éolien, avec 7 000 MW environ de capacité
terrestre installée mi-2012 pour un objectif de 19 000 en 2020.
LES RETARDS DE
L'AGRICULTURE BIOLOGIQUE
Le retard est plus
conséquent encore dans la mise en place de zones protégées sur terre ou en mer
et sur l'agriculture biologique. Le "bio" représentait 3,9 % de la
surface agricole en 2011 pour un objectif de 6 % en 2012 et de 20 % en 2020.
Plus inquiétant, les
objectifs semblent carrément hors d'atteinte dans certains domaines, et
notamment pour l'un des principaux : diviser par quatre nos émissions de gaz à
effet de serre d'ici à 2050 pour lutter contre le changement climatique. Les
émissions de CO2 sont en baisse mais à un rythme beaucoup trop lent.
De même,
l'artificialisation des sols, loin d'être stabilisée au niveau de 2006,
continue à croître. C'est aussi le cas de l'utilisation des pesticides dans
l'agriculture, en hausse alors que la France a pris l'engagement de diviser par
deux sa consommation d'ici à 2018.
MCD-APL
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