Pourquoi les arbres ont la
taille qu'ils ont ? Peut-on faire des arbres sans bois ? Pourquoi les feuilles
sont plates ? Les arbres sont-ils sensibles ? Font-ils du bruit ? Ces questions
pourraient sortir de la bouche d'enfants. Mais non, c'est dans les couloirs et
les exposés d'un congrès international de biomécanique des plantes, à
Clermont-Ferrand, qu'on les a entendues entre le 20 et le 24 août. C'était même
la septième rencontre de ce type depuis 1994, organisée cette fois par la
France avec le soutien de l'INRA, de l'université locale Blaise-Pascal et des
écoles AgroParisTech.
"Le monde du
végétal est un monde qu'on n'apprécie pas assez. On ne se pose pas assez de
questions sur lui", indique
George Jeronimidis, de l'université de Reading, en Grande-Bretagne. Il est l'un
des "vétérans" de cette communauté de biomécanique fascinée par les
prouesses "physiques" des arbres, des lianes, des vignes ou des
simples plants de tomates.
A bien y regarder, ces
végétaux ne laissent pas de surprendre. Elles n'ont pas de muscles mais
redressent leurs branches ou leur tronc si la neige ou les tempêtes les ont
fait fléchir. Elles n'ont pas de doigts mais ont le sens du toucher, sentant
quand on les pince ou quand il faut s'agripper à un support. Elles n'ont pas de
cerveau mais savent repérer la gravité, s'adapter aux vents ou aux courants.
Elles peuvent même changer de forme. Et ne pas faire n'importe quoi.
"On ne se rend
pas compte de toute cette dynamique, car la plupart des processus en jeu sont lents.
Mais quand on voit des films en accéléré, le mouvement est évident !", constate Arezki Boudaoud, du laboratoire de
biologie de l'Ecole normale de Lyon.
Tout le monde connaît
l'exemple du mimosa pudique (ou sensible) qui recroqueville ses feuilles dès
qu'on les touche. Ou bien la rapacité des plantes carnivores, qui, en un rien
de temps, ferment leurs mâchoires pour gober les insectes. "Ces exemples ne sont pas des exceptions.
Petit à petit, la communauté s'est convaincue qu'il y avait des mécanismes universels
en jeu. Ce n'était pas totalement intuitif au départ", résume
Bruno Moulia, de l'INRA à Clermont-Ferrand et coorganisateur de ce congrès.
Pour faire parler les
plantes, les chercheurs font preuve d'imagination. Ames sensibles s'abstenir. "Aucun capteur de douleur n'a été identifié
chez les plantes. "Sentir" une pression, le vent, un poids ne veut
pas dire "avoir mal"", précise Bruno Moulia. Prenez
une Arabidopsis (arabette),
une plante proche du colza ou de la moutarde dont les biologistes sont particulièrement
friands pour leurs expériences. Donnez-lui quelques petites tapes sur la tête
une ou deux fois par jour, et, après plusieurs semaines, comparez-le avec des
congénères n'ayant pas subi ce traitement. Le groupe témoin a des tiges plus
hautes et moins larges. Leur floraison et leurs racines sont plus abondantes
que celles des Arabidopsis
ayant été frappées...
Plus "brutale",
au laboratoire de l'INRA à Clermont-Ferrand, Nathalie Leblanc-Fournier a tordu
les troncs de très jeunes peupliers une à deux fois par jour. Des effets sur le
diamètre ont été observés, ainsi que des surexpressions génétiques. Mais, au
bout de trois jours successifs, il était inutile de poursuivre le traitement,
comme si la plante était désensibilisée. La laisser au repos lui redonne
heureusement toutes ses sensations.
Sara Puijalon, au
laboratoire LEHA de l'université de Lyon et du CNRS, a forcé des algues à
pousser dans des courants de vitesse variables. Conclusion : les unes
raccourcissent pour limiter leur traînée dans les courants forts. D'autres font
moins de feuilles. D'autres encore préfèrent augmenter leur quantité de
cellulose pour mieux résister à la casse. Inversement, ces plantes aquatiques,
en période de sécheresse, augmentent la dureté de leurs feuilles pour dégoûter
les herbivores. Wendy Silk, de l'université de Californie, s'est intéressée à
une autre stratégie, le changement de forme. Les longs rubans de Nereocystis luetkeana sont plats dans
les forts courants et se gondolent en eaux calmes.
Même les racines réagissent
au stress. Richard Whalley a ainsi fait pousser des riz dans des terres plus ou
moins dures. Selon lui, ce n'est pas le manque d'eau qui influence le plus la
croissance des racines, mais les propriétés mécaniques du sol.
Et nous passerons sur les
tortures habituelles des biologistes qui inhibent des gènes, font des mutants,
détruisent des cellules...
Comment toutes ces
réponses au toucher, aux torsions, à l'eau sont-elles possibles ? Beaucoup
reste à comprendre, mais, depuis vingt ans, d'importants progrès ont été
effectués. Notamment parce que les chercheurs se sont organisés en groupe
interdisciplinaire mêlant bien entendu les biologistes, les agronomes ou les
techniciens du bois, mais aussi des physiciens, des mathématiciens, des
mécaniciens ou des ingénieurs. Les concepts classiques de gènes, protéines ou
cellules se mêlent à des mots nouveaux en biologie, comme force, pression,
déformation, tension, gravité, élasticité, viscosité ou vitesse...
Les chercheurs savent
maintenant comment une plante détecte la gravité et son inclinaison. Certaines
cellules, les statocystes, possèdent de petits granules d'amidon, jouant le
rôle du niveau pour maçon. Si la plante s'incline, ces grains roulent et
touchent les parois cellulaires, déclenchant le signal de réaction.
Celui-ci peut déboucher
sur une croissance asymétrique des cellules. Par exemple, pour redresser une
tige, plus de cellules vont pousser sur la paroi inférieure que sur la paroi
supérieure. Dans le cas d'un arbre, la technique est différente. C'est plutôt
la forme des cellules qui change. Plus ou moins allongées dans un sens, la
cellule et ses voisines jouent le rôle de vérins ou de haubans pour tirer
l'arbre (on parle de bois de tension) ou pour le maintenir (on parle de bois de
compression). "C'est comme le papier
peint que vous collez sur un mur et que vous laissez sécher : il va être en
tension", explique Bernard Thibaut (CNRS), du Laboratoire de
mécanique et génie civil à Montpellier.
A une échelle encore plus
petite, dans les années 2000, les chercheurs, dont Elizabeth Haswell
(université de Washington), ont identifié et caractérisé des canaux
mécanosensibles impliqués dans ces réactions en chaîne moléculaires. Seulement
il y en a plusieurs familles, et on ne sait pas exactement comment ces cellules
réagissent à la pression.
Bien des détails manquent
donc encore pour écrire un scénario complet, depuis le stress ressenti sur une
feuille jusqu'à la réaction globale de la plante, en passant par toutes les
échelles intermédiaires.
Ainsi on cherche encore la
manière dont un arbre sent le vent et la flexion de ses tiges. Par hasard, une
équipe clermontoise a trouvé une piste, comme elle l'a expliqué au congrès. Un
truc de plombier ! En fléchissant une tige (qui n'est qu'un tuyau pour un
physicien), une impulsion hydraulique se propagerait à longue distance,
informant la plante de l'existence d'un stress. A charge pour de minibaromètres
cellulaires de la détecter...
Frank Telewski, de
l'université du Michigan, voudrait, lui, résoudre le mystère des arbres
drapeaux, qui semblent figés dans une posture élancée même sans vent. Est-ce un
effet physique ou physiologique ? Est-ce que l'arbre se comporte comme une pâte
visqueuse que le vent modèle à force de patience, ou bien est-ce que l'arbre
s'adapte activement à cette contrainte ? Dans son laboratoire, le professeur
vient de lancer une expérience pour trancher.
D'autres s'intéressent au
risque d'embolie chez les arbres. En cas de sécheresse, l'eau contenue dans les
cellules du bois s'évapore. Cela crée au sein de la cellule une tension qui
s'accompagne de l'apparition de bulles d'air. Si ces bulles grossissent et
emplissent les "veines" qui apportent l'eau aux feuilles, la
circulation est interrompue : c'est l'embolie. Mais comment les bulles se propagent-elles
? Quelle stratégie l'arbre adopte-t-il pour se protéger ? Mystère. En passant,
qui dit apparition/disparition de bulles dit cavitation, donc bruit, qu'il ne
serait pas impossible de détecter, histoire peut-être de diagnostiquer la santé
d'un arbre...
Si la compréhension
fondamentale suffit largement au bonheur des chercheurs, ils ne rechignent pas
à quelques applications. L'expérience des "claques" sur l'Arabidopsis a donné à Bruno Moulia
l'idée de développer un système pour taper sur la tête des rosiers en serre
afin de renforcer leur tige. Histoire d'éviter un affaissement du plus mauvais
effet au moment de les offrir.
Hanns-Christof Spatz, de
l'université de Fribourg, tente, lui, d'évangéliser les arboriculteurs urbains.
"Certains m'ont confié avoir fait
des erreurs en élaguant les arbres, ce qui a causé des dégâts",
explique-t-il en préconisant de couper tout en préservant le plus possible la
forme générale de l'arbre. Plus que le tronc, le feuillage et les branches
jouent beaucoup dans la résistance au vent. Thierry Fourcaud (Cirad
Montpellier) a ainsi expliqué que l'amortissement est réduit de 60 % en
l'absence de feuillage et de 25 % encore en ôtant des branches.
Bernard Thibaut, à
l'origine de ce congrès il y a vingt ans, préfère, lui, évoquer les applications
dans l'industrie du bois. La technique du déroulage, par exemple, qui consiste
à "éplucher" un tronc d'arbre pour en faire des lames, doit tenir
compte de la température, de l'humidité et de temps de repos bien particuliers
pour éviter les problèmes.
Enfin, il y a le riche
vivier de la biomimétique, c'est-à-dire l'art d'imiter la nature pour en faire
de nouveaux matériaux ou de nouvelles structures. Dernier exemple en date :
dans le journal Science du 31
août, une équipe d'Harvard explique comment la vrille des concombres pourrait
inspirer les ingénieurs pour fabriquer des ressorts de raideur variable. Devant
tant de beauté, George Jeronimidis s'incline : "Lorsque l'on voit toutes ces recherches, idées ou applications
tirées de la nature, on se dit que ça vaut le coup de préserver ce patrimoine.
C'est comme une bibliothèque avec plein de richesses dans lesquelles nous
pourrons puiser."
David Larousserie
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