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samedi 29 septembre 2012

Histoire récente du monde agricole (1/8)

Le rural, une force tranquille ? 1981-1986 (Assemblée nationale) : rétro-débats - 1/8

Si le peuple de Paris se rend à la Bastille, ce n'est pas pour y mettre le feu, mais pour y écouter de la musique.
"La surprise de mai-juin 1981, écrit Serge SUR [i], tient dans la facilité de l'alternance. [...] Dès lors que l'alternance était possible, elle devenait facile, c'est-à-dire inévitable dans son déclenchement et irrésistible dans son aboutissement."

Si la France est paisible, le monde l'est moins.
Les Chinois viennent de condamner à mort la " bande des quatre " et le souvenir de ces accès de fanatisme s'estompe à peine que la révolution iranienne bouscule non seulement la vie quotidienne des Iraniens, mais aussi les rapports de force mondiaux : la guerre contre l'Irak provoque un deuxième choc pétrolier.
La prise des otages américains est ressentie aux USA comme une gifle . Comme pour se rassurer, les Américains élisent Reagan à la présidence. L'ambition de ce dernier est de mettre au pas l'Iran et de stopper l'expansion des Soviétiques.
Cela fait deux ans en effet que l'URSS occupe militairement l'Afghanistan et, si elle n'a pas eu besoin de rééditer le coup de force de Kaboul pour mettre au pas les syndicalistes polonais, l'été polonais débouche sur un hiver des plus sombres.
Dans ce contexte, les négociations sur le désarmement piétinent et l'OTAN a décidé de riposter au SS20 soviétiques en installant les fusées Pershing sur le continent européen.
L'Europe a de la peine à surmonter ses contradictions.
En avril 1980, le Conseil européen de Luxembourg, confronté à l'intransigeance britannique, s'est soldé par un échec. Pour que celui-ci ne soit pas irrémédiable, le Conseil a donné mandat à la Commission pour faire des propositions. Depuis lors, la relance de l'intégration européenne est à l'ordre du jour, ainsi que la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC).
En matière agricole, les perspectives ne sont pas bonnes : dès cette époque, la Commission fait état d'excédents et prévoit des mesures radicales ( il est question, en particulier – et nous en reparlerons - d’instaurer des quotas sur les produits laitiers.) ; mais il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !
Les préoccupations monétaires ont provoqué un rapprochement franco-allemand. Depuis 1978, un "serpent monétaire" lie entre elles les monnaies de plusieurs pays. C'est en quelque sorte un parapluie qui devrait protéger le franc, dont l'équilibre est fragile face à la "flambée du dollar" et à la hausse des taux d'intérêt qui ont atteint, aux Etats-Unis des taux "absurdes". Mais c'est aussi une contrainte car les décisions relatives à la monnaie doivent être concertées et, compte tenu du déséquilibre de l'économie française par rapport à l'Allemagne, la France, dès avant l'arrivée de la gauche, n'est pas du tout en position de force.
En effet, les indicateurs économiques, en ce début d'année 1981, ne sont pas bons : la hausse des prix a été de +13 % en 1980; le nombre des demandeurs d'emploi dépasse le million et demi et l'INSEE "prévoit une forte augmentation des demandeurs d'emploi au premier semestre 1981".
Cet environnement contraste avec le ton assez morne de la campagne électorale. "Partie de trop loin avec des candidats trop connus, la campagne présidentielle de 1981 s'est déroulé sans passion, voire dans un certain climat de lassitude. Tout semblait avoir été dit, et même le résultat apparaissait, aux yeux de la plupart des commentateurs, joué d'avance" ( Thierry PFISTER [ii])

 la situation de l’agriculture française en 1981 (Source : " Rapport de la Commission du bilan ")
Quelques chiffres,d'abord :
l'agriculture occupe 8 p.100 de la population active . Si l'on prend en compte les chefs d'exploitation, les conjoints, les aides familiaux et les salariés, cela représente 7 à 8 millions d'habitants, soit environ 15 p.100 de la population française.
L'ensemble de la filière agricole et agro-alimentaire représente 22 p.100 de la population active.
Mais les agriculteurs ne sont plus majoritaires en milieu rural : un rural sur trois seulement est agriculteur. Il faut dire qu'une exploitation sur trois a disparu depuis la loi d'orientation de 1960.
Les points forts :
la capacité d'adaptation des exploitations familiales;
le haut niveau d'organisation de la profession agricole;
les mécanismes de financement et de garantie des prix qui ont été accordés aux agriculteurs dans le cadre national, puis dans le cadre européen;
l'ouverture des marchés sur les 260 millions de consommateurs de la CEE. "Cette ouverture s'est traduite en une contribution substantielle , supérieure de nos jours à vingt milliards de francs, à l'équilibre des comptes extérieurs de la France" ( L’excédent de la balance commerciale agricole revindra comme un leitmotiv et servira à justifier les aides à l’agriculture productiviste).
Les problèmes :
la baisse des revenus bruts d'exploitation, qui a été constante depuis huit ans;
l'endettement des agriculteurs ;
l'inégalité des revenus ;
"les difficultés d'adaptation des règles du marché commun agricole";
l'absence de moyens suffisamment fins de connaissance de l'agriculture française .
Il y a bien eu la loi d’orientation de 1980 – loi dont le président sortant, V.Giscard d’Estaing, est très fier. Mais les rapporteurs voient en elle "surtout un catalogue de bonnes intentions" et dressent, a contrario, un inventaire des grandes questions du moment :
"Cette loi n'a abordé ni les problèmes de la fiscalité et de la couverture sociale,
ni ceux de l'aide aux revenus et de la pluriactivité ,
ni ceux de a nécessaire liaison entre recherche, développement et enseignement.
Elle ne s'est pas préoccupée de l'adaptation de notre agriculture à l'élargissement de l'Europe au Sud Méditerranéen" .
Et encore, il n’est question jusqu’ici que des problèmes spécifiquement agricoles - il y aurait tant à dire sur les problèmes globaux d'aménagement du territoire rural.
C’est dire si la majorité nouvellement élue va avoir du pain sur la planche.

 Les programmes agricoles des candidats à l’élection présidentielle
en matière de revenu :

La question du revenu est au coeur des préoccupations des quatre candidats. De plus l'idée selon laquelle "ce revenu doit être assuré par le prix de vente des produits" est admise par tous, ce qui ne manque pas d'être surprenant, compte-tenu de l'importance quantitative et subjective des aides diverses accordées à l'agriculture.
Mais la définition du revenu n'est pas la même pour tous.
François Mitterand veut "garantir des prix aux agriculteurs qui tiennent compte du prix de revient et de la rémunération du travail".
Tout le monde est d'accord pour tenir compte du prix de revient (il faut "agir sur les coûts").
Mais parler de la "rémunération du travail", c'est sous-entendre que les agriculteurs sont des "travailleurs" plus proches des salariés que des "indépendants". Cela sent le soufre, surtout lorsque ce même Mitterand ajoute qu'il faut "arrêter la course au productivisme".
Sur la question de l'Europe :
Les réponses portent plus sur la forme que sur le fond. Giscard d'Estaing veut utiliser "le langage de la fermeté" mais sans compromettre la "crédibilité" de la France et en maintenant un "climat de confiance".
Les points de vue de Jacques Chirac et de Georges Marchais ne sont pas très éloignés : il faut "avoir une volonté politique plus affirmée dans les négociations et refuser les compromis où nos intérêts sont particulièrement menacés" (J.Chirac), "se montrer très ferme et aller jusqu'au blocage des négociations" (G.Marchais).
Mais ce sont surtout les propos de F.Mitterand qui étonnent. Il faut,dit-il, "renégocier le traité de Rome", "frapper du poing sur la table" et, " pourquoi pas, pratiquer la politique de la chaise vide en cas de désaccord", "créer des précédents en France quitte à être "hors-la-loi".
Mitterand-Thatcher : non pas même combat, mais mêmes méthodes ? En tout cas, on est bien loin de l'image d'un Mitterand sauveur de l'Europe. Et de tels propos n'éclairent en rien la question de savoir ce que l'agriculture française deviendrait sans l'Europe. 

L'installation des jeunes agriculteurs : Ce point fait consensus.
J.Chirac, F.Mitterand et G.Marchais promettent de doubler la Dotation aux Jeunes Agriculteurs (DJA), ce pactole gratuit que l'Etat distribue à ceux qui remplissent un certain nombre de conditions.
G.Marchais et F.Mitterand mettent l'accent sur la réforme du crédit. Reproduisant le modèle économique de la gauche, ils veulent aussi réduire la durée du travail , "ce qui créera des emplois agricoles".
Mais le consensus repose sur un non-dit : aucun des candidats ne définit le type d'exploitation sur lequel le jeune doit s'installer.
Aucun ne répond à la question : combien d'exploitations pour la France ? 

Le foncier :
Sur ce chapitre , chacun va de sa solution.
Partant de ce qui existe, G.Marchais veut "démocratiser" les SAFER. Il s'agit de sociétés, crées par la loi d'orientation de 1960, qui achètent des terres mises en vente à seule fin de les revendre aux agriculteurs qui en ont besoin pour s'installer ou s'agrandir.
V.Giscard d'Estaing est convaincu que "sa" loi d'orientation apporte des réponses "novatrices" au problème : la solution-miracle, c'est le Groupement Foncier Agricole (GFA). Il s'agit d'une société dont les membres achètent en commun des parts foncières de façon à les louer à des exploitants; ces derniers n'ont donc plus besoin de s'endetter pour acheter la terre.
J.Chirac entend utiliser aussi bien les SAFER que les GFA.
Quant à F.Mitterand, il met en avant ce qui constitue la pièce maîtresse de l'artillerie du Parti Socialiste en matière agricole : les Offices fonciers cantonaux.
Comme les SAFER,ces offices pourraient acheter les terres qui ne trouvent pas de preneurs. Mais il ne s'agirait plus de les revendre. Ces terres seraient louées sur de longues périodes (baux de carrière). La principale originalité de ce projet - et c'est cela surtout qui fait peur - réside dans le fait que les offices auront pour mission de "déterminer qui sera l'attributaire après un débat public et collectif".
Derrière les solutions techniques retenues par les uns ou les autres, se profile une ligne de fraction fondamentale entre la droite et la gauche : pour les uns, la terre est un outil de travail; pour les autres, elle représente un capital et, dans cette perspective, l'objectif de tout agriculteur est de devenir propriétaire. J.Chirac n'affirme-t-il pas que le problème du foncier "sera largement résolu par le revenu".
La protection sociale :
La protection sociale des agriculteurs relève de procédures et d’organismes spécifiques.
Tous parlent d’"harmonisation" avec les autres catégories socio-professionnelles. (A ce mot, G.Marchais préfère l'appellation qui a servi de ralliement pour les élites montantes des années 1960 : la "parité".)
Qu'il s'agisse de retraite, d'indemnité de maladie ou de maternité, les agriculteurs doivent toucher autant que les autres catégories socio-professionnelles.
Mais qui doit payer? Il faut améliorer la "contribution" des agriculteurs en améliorant tout à la fois leur revenu (J.Chirac) et la connaissance de leur revenu (J.Chirac/ F.Mitterand). Cependant l'aide de l'Etat demeure nécessaire (J.Chirac /G.Marchais).
Pour réduire les inégalités, il faudra alléger les charges payées par les agriculteurs les plus modestes ( V.Giscard d'Estaing / F.Mitterand).
Mais la protection sociale des agriculteurs devra continuer à être gérée par la Mutualité Sociale Agricole (MSA), parce que cette institution est représentative de la population agricole (J.Chirac/ G.Marchais).
Comme on le voit, sur cette question, les clivages partisans sont très diffus. Mais, là encore, le consensus repose sur un non-dit, celui de la spécificité : comment peut-on, en même temps, affirmer que les agriculteurs sont des citoyens "comme les autres" et défendre le particularisme de leurs organismes sociaux ?

Au Palais Bourbon
De tels arguments ont-ils pesé dans la "campagne" ( et lors de la "campagne" (électorale) ! puisque’il est de coutume d’utiliser le même terme pour évoquer ces deux réalités, pourtant fort distinctes / voir, sur mon autre blog, La ballade des gens élus / IV : Il y a «campagne» … et « campagne »)

A peine un agriculteur sur trois a voté pour Mitterand au deuxième tour . (Mais ces 32 p.100 représentent un gain de quatre points par rapport à 1974 ).
Le nombre de députés ayant déclaré la profession d’exploitant agricole va même baisser dans la nouvelle Assemblée : ils étaient 17, ils ne sont plus que 10.
Hors agriculture, il est une caractéristique de cette nouvelle Assemblée qui ne sera pas sans influence sur les débats : sur cinq nouveaux députés socialistes, deux n'étaient pas membres de l'appareil (75); un sur cinq est devenu directement député, le plus souvent après avoir été militant d'un syndicat ou d'une association. Ces non-professionnels de la politique auront du mal à accepter les compromis et les revirements stratégiques par rapport au programme électoral et cela sera particulièrement vrai en matière de "nouvelle politique agricole" (NPA)
( Beaucoup de ces députés seront sans doute complètement inconnus du lecteur, d’autant plus que la plupart d’entre eux seront éliminés en 1986 ; certains – bien que très actifs à l’Assemblée, ne seront même pas reconduits comme candidats !)
Le décor est planté. Les acteurs sont en place.
Nous allons voir entrer en scène – il s’agit de la séance dite d’installation de la nouvelle Assemblée - le doyen des élus, Marcel Dassault : "Mesdames,messieurs les ministres,mes collègues, le chômage étant toujours à l'ordre du jour, je vais vous parler du chômage (Sourires).
Je suggère différentes solutions pour y remédier."
Et c’est ainsi que , dès les premières envolées, la ruralité sera présente ( dans sa version « force tranquille !) : face à " l'armada des motos japonaises ou allemandes " – dira M.Dassault - "les chênes de la forêt de Compiègne" symboliseront la force tranquille de la France rurale.
Citons encore – pour le plaisir ! – dans le même registre :
François d'AUBERT : "Le solstice d'été est déjà loin, et déjà s'amorce le solstice d'hiver, avec ses ombres et ses brumes budgétaires [...] "
Maurice CORNETTE (lors d’un débat sur l’énergie) : "Voici, Monsieur le ministre, du soleil en sachet ! ( et le Compte rendu de préciser qu’effectivement, il exhibe un sachet de grains) Chaque année, le soleil fait mûrir et lever dans nos champs des moissons de céréales. La récolte consiste à séparer le grain de la paille [...]".

Denis Meriau
à suivre :la « nouvelle politique agricole »
Les socialistes à l’épreuve du pouvoir : l’exemple de l’agriculture_1981-1986 (Assemblée nationale) : rétro-débats 0
le contexte :
1981-1986 : éléments de contexte 


[i]Encyclopédia Universalis 1982
[ii] idem.

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