Les Ateliers / Neyrpic : Le communisme est-il
soluble dans les galeries commerciales ?
Voici un article paru dans Le Postillon,
n°15, avril 2012.
Le communisme
est-il soluble dans les galeries commerciales ?
Les soviets, plus
les magasins
« Elle habite quelque part, dans une
banlieue rouge, mais elle vit nulle part, y’a jamais rien qui bouge ».
Depuis l’écriture de cette chanson en 1981, les temps ont changé. Non seulement
la société a eu Renaud, qui a noyé sa plume dans l’alcool et la
dépression ; mais surtout, dans les banlieues rouges « y’a »
plein de choses qui bougent. En matière de banlieue rouge, l’agglomération
grenobloise est plutôt bien lotie avec trois communes dirigées par le parti
communiste totalisant près de 100 000 habitants. Loin de l’immobilisme, ces
communes sont en plein chambardement, à coups de projets urbains plus ou moins
démesurés. Le plus emblématique d’entre eux est certainement le projet de la
mairie de Saint-Martin-d’Hères d’une méga-galerie commerciale - d’une taille
comparable à celle de Grand’Place - à la place des anciennes usines Neyrpic. Au
niveau national, le parti communiste revient sur le devant de la scène
médiatique, porté par la vague Mélenchon pour qui « le torrent
révolutionnaire est sorti de son lit ». Au niveau local, les pouvoirs
communistes promeuvent des galeries commerciales. Frappé par ce paradoxe, notre
reporter a voulu en savoir plus et est parti à la rencontre des promoteurs, des
opposants et des voisins de ce futur gigantesque espace marchand.
« On va bientôt
déménager. Cela fait plusieurs années que tous les six mois on nous dit qu’on
va devoir partir. Bon aujourd’hui je crois que ça se rapproche et on devrait
dégager d’ici la fin de l’année ».
Bienvenue dans les locaux du « 2 CV Club Délire », une association
qui occupe pour l’instant, mais plus pour longtemps, une halle de l’ancienne
usine Neyrpic à Saint-Martin-d’Hères. Ici des milliers d’ouvriers ont pointé
entre 1899 et 1967 pour fabriquer divers composants de l’industrie électrique
et hydraulique. L’endroit a le charme des vieilles friches – grand espace,
omniprésence visuelle du passé ouvrier, originalité d’un tel lieu à moitié
abandonné en pleine ville. Ici et là, des 2 CV et autres « voitures de
légendes » sont entreposées en attente d’être réparées par les membres
passionnés de cette association. Ils prennent un peu de temps pour me
parler : « Nous on est content d’avoir été logé ici par la ville
pendant 10 ans. Ça arrangeait tout le monde parce que pour nous c’était
gratuit, le loyer, l’eau et l’électricité – mais on n’a pas de
subvention – et eux ça les arrangeait car on garde le bâtiment contre le
vol et le squat. C’est un super espace, qui n’est toujours pas détruit
contrairement aux bâtiments d’à côté car ce qui nous protège c’est la charpente
Eiffel : elle est classée et ne devrait pas être détruite. C’est une très
belle et vieille charpente. Alors forcément on est déçu de partir surtout qu’on
n’a pas d’autre endroit où aller ».
Cette charpente Eiffel est en effet remarquable mais elle va finalement
être détruite, selon la mairie. Hormis une façade – celle qui donne sur la
mairie – tout ce qui reste de ces anciennes usines sera rasé prochainement, y
compris le camp de Roms, installé au milieu des bâtiments délaissés. Cette
friche doit laisser la place à : « - 9 moyennes surfaces, 86
boutiques ;
- environ 15 restaurants ;
- des espaces de loisirs (salle d’escalade espace vertical, cinéma de 3 ou 4 salles, librairie...) » (1).
- environ 15 restaurants ;
- des espaces de loisirs (salle d’escalade espace vertical, cinéma de 3 ou 4 salles, librairie...) » (1).
En clair, cela s’appelle une galerie commerciale, en novlangue on dit un « pôle de
vie ». Neyrpic a été racheté par Alstom, qui n’a pas voulu que la
dénomination Neyrpic serve pour cet espace. Alors ce « projet urbain
d’une ampleur exceptionnelle » a été baptisé d’un nom mignon tout
plein : « Les Ateliers ». Ses promoteurs vantent à
longueur de documents de propagande « le shopping autrement, pour
toutes les envies… » sur « 42 000 m2 dédiés à la mode, au
bien-être de la personne, à la décoration et aux loisirs ». Bref, un
projet génial que les protecteurs de la nature peuvent applaudir car « le
projet se veut tout d’abord exemplaire en matière de développement durable
(norme RT2012, certifications HQE et BREAM) ». Même les
nostalgiques du monde ouvrier peuvent être rassurés car les bâtiments seront
reconstruits « en réinterprétant les codes architecturaux des halles
industrielles (volumétrie des constructions, toitures sheds,
matériaux...) ».
Bizarrement, il y en a
quelques-uns qui râlent un peu. Certains membres du « 2 CV Club
Délire » trouvent que « c’est dommage car il n’y en a que pour les
commerces. Ils auraient pu faire ici par exemple des locaux pour les
associations. Pour l’instant il n’y en a pas trop sur la commune ou alors ils
sont tous éparpillés. Là on aurait pu tout regrouper et ainsi faciliter
l’entraide entre les associations. Alors que les commerces disons qu’il y en a
déjà pas mal dans le coin et qu’on n’en a pas vraiment besoin ».
Effectivement, des commerces « il y en a déjà pas mal dans le
coin ». L’avenue Gabriel Péri qui desservira « Les
Ateliers » en est remplie jusqu’à ras bord. En remontant cette voie qui
rappelle le mythe de certaines grandes avenues américaines bordées de
publicité, on peut croiser entre autres les enseignes de la Maison de la
literie, Euromaster, Bosch, Atlantic OAK, Feu Vert, Géant Casino, Banque
Rhône-Alpes, Opel, Volkswagen, Mc Donald’s, Toyota, Planetalis, Selfcar,
Affairs $, Castorama, KFC Drive, Intersport, Kiaby, Gemo, HorizOn, Darty,
Michellin, Cuisinella, Dia, La Halle aux Chaussures, L’Entrepot du Bricolage,
Lapeyre, Espace Montagne, La Halle !, etc. Un endroit charmant où l’on
peut manger sur des terrasse-parkings en matant la bagnole de ses rêves, avant
d’atteindre le bout de l’avenue et de tomber sur le géant de l’ameublement et
de l’espionnage des salariés : Ikea (2).
Contrairement à ce que pourrait laisser croire
l’énumération de ces multinationales, la municipalité qui les accueille sur son
territoire est communiste.
Saint-Martin-d’Hères est un bastion rouge depuis 1945 et les dernières
municipales n’ont pas menacé le parti : avec seulement 9 143 votants sur
près de 17 000 inscrits et 35 000 habitants, la liste conduite par le
maire PCF René Proby, réunissant des membres du Parti socialiste et du Parti de
gauche, a recueilli 58 % des suffrages, ne laissant que 12 % à l’UMP,
14 % au Modem et 15 % aux Verts.
Europe-Ecologie-Les-Verts
est d’ailleurs la seule force politique locale qui s’oppose au projet des
Ateliers, la droite et le centre ne s’exprimant jamais publiquement sur ce
dossier. Pour un des conseillers municipaux Verts Georges Oudjaoudi, « ce
dossier est une vérole totale. (...) Nous pensons que ce sera une
catastrophe économique ou une catastrophe écologique. Soit ce qui est marqué
dans la promotion commerciale sera vrai, et on aura sur ce site une catastrophe
écologique : grand site minéralisé, brumisateurs pour lutter contre la
chaleur, 800 places de parking mais 35 000 personnes qui circulent
là-dedans. Ils attendent 7,5 millions de visiteurs dans l’année. Donc en
moyenne le régime bas c’est 15 000 personnes par jour, le régime haut
c’est 45 000. Ce sera le bordel complet avec des voitures partout. En plus
le parking gratuit contredira toute la politique de Grenoble qui veut éjecter
les voitures de la ville. Soit ce qui est dit est faux ou s’avèrera nul à cause
de la crise ou à cause du fait qu’il y a suffisamment de commerces à Grenoble.
Donc on aura une catastrophe économique car les commerces qui s’installeront
vont se planter ».
Il faut dire que les Verts
s’y connaissent en matière de galerie commerciale car leurs homologues
grenoblois – et notamment Pierre Kermen, alors adjoint à l’urbanisme - ont été
parmi les promoteurs de la Caserne de Bonne, la galerie commerciale où, en un
an et demi d’existence, sept commerces ont déjà fermés. À la question de savoir
si leur opposition à Saint-Martin-d’Hères n’est qu’opportunisme – vu que pour
ce projet ils ne sont pas au pouvoir - , Oudjaoudi admet que sur Grenoble « ça
a été une erreur de mettre cette zone commerciale qui n’arrive pas à démarrer.
La galerie commerciale de Bonne, ça fait partie de ces trucs chez les Verts où
on avale un peu le compromis car on avait accepté cette galerie en échange de
logements sociaux ».
Si les Verts martinérois s’activent depuis plusieurs années contre le
projet des Ateliers-Neyrpic à coups de tracts et de pétitions, ils ont bien du
mal à mobiliser la population. « Régulièrement on va tracter devant les
écoles, et très souvent les gens ne sont pas du tout ou très peu au courant du
projet...ou alors naturellement ils sont pour les commerces. On leur dit ‘‘ça
va être un Grand Place 2’’, et ils disent ‘‘ah c’est bien’’. C’est vraiment
difficile de convaincre les gens, qu’ils aient un avis critique
là-dessus. »
Il est vrai que le sujet ne passionne pas les
foules. Lors de l’enquête publique
de janvier 2012, seulement vingt-quatre observations et trente-cinq courriers
ou pétitions ont été remis au commissaire enquêteur, ce qui ne fait pas lourd
pour une ville de trente-sept mille habitants. Aux abords de la future galerie
ou sur le petit marché de la place de la République, la plupart des personnes
rencontrées ne connaissent qu’à peine le projet et balancent entre
l’indifférence (« on verra bien »), l’enthousiasme (« ça
me fera moins loin que Grand’Place pour faire mes courses ») et le
fatalisme (« on peut rien contre ça, c’est l’évolution, de toute façon
c’est dingue comment ça construit ici, tous les espaces vides ou les anciens
champs sont urbanisés »). Les petits commerçants de l’avenue Ambroise
Croizat, plus concernés, sont partagés. La tenancière du PMU constate que « les
gens râlent beaucoup parce que ça va faire plein de commerces. Mais moi je
pense que c’est bien parce que toute nouveauté attire du monde, qui profite à
tous les commerces ».
Sylvie est moins
optimiste. Elle tient le bar d’en face, le Clos des Marroniers, un « lieu
historique », « ancien relais de poste » et bar-resto
depuis au moins soixante ans : « Avec un peu de chance on sera
assez solide pour passer l’averse. Parce qu’à chaque nouveauté les gens vont
voir, c’est obligé, mais après souvent ils reviennent. C’est ce qu’on espère.
Ils disent que ça va nous amener du monde mais les gens que ça va amener ne
vont jamais venir ici. Ils disaient pareil pour Ikea mais il n’y a jamais eu de
clients d’Ikea qui sont venus ici : il y a une cafeteria là-bas. Et même
quand t’es adhérent là-bas, le café est gratuit alors j’ai des clients qui vont
là-bas juste pour boire le café, même s’ils n’achètent rien. Pour les anciennes
usines, il faut bien en faire quelque chose mais bon il y avait peut-être mieux
à faire qu’une galerie commerciale. (…) On n’a pas du tout été consulté, ils
s’en foutent de notre avis. De toute façon ils ont décidé de faire ça et ils le
feront. Il y a eu des pétitions, on les a signées mais ça ne changera rien, ça
ne change jamais rien. Ils s’en foutent si les petits commerces meurent. Alors
que nous on se bat pour garder notre identité, pour que cela soit un lieu
unique, pour que ça ne ressemble pas à tous les autres. »
Le sujet divise aussi les autorités compétentes à donner des « avis » -
ceux qu’on écoute plus que les simples habitants. Si la commission de sécurité
publique et la commission nationale d’aménagement commercial ont rendu des avis
favorables, l’autorité environnementale, dépendante du préfet de la région Rhône-Alpes,
a émis un avis négatif en avril 2011, à la fois car le projet « présente
de nombreuses insuffisances en matière de prévision de trafics, de gestion des
stationnements ainsi qu’en matière de prise en compte des problématiques de
pollution des sols et de risques naturels ». Mais aussi car la future
galerie commerciale est jugée « incompatible avec le Schéma directeur
de l’agglomération grenobloise » car ce dernier préconisait « un
maintien des grandes surfaces à leur niveau actuel et un renforcement,
‘‘notamment sur le plan qualitatif’’ des pôles urbains ». Ces
critiques techniques n’ont pas empêché le projet de se développer : les
promoteurs immobiliers ne manquent jamais de ficelles pour contourner les avis
négatifs. D’autant que le commissaire-enquêteur a visiblement été séduit par le
projet et a bien pris soin dans le rendu de l’enquête publique de contrecarrer
ou minimiser toutes les critiques émises par l’autorité environnementale ou par
les habitants. Il émet juste quelques réserves et recommandations, notamment
sur l’état des sols - qui fait relativiser la beauté de l’héritage
industriel : « Une partie des sols du site des halles Neyrpic est
polluée par des métaux lourds, des hydrocarbures, des PCB, des HAP, des COV,
des COHU et des phénols. Ces substances ont été retrouvées dans le sol, les gaz
du sol, ou les eaux souterraines et rendent localement l’état actuel des sols
incompatible avec l’usage futur du site. Ainsi d’importants travaux de
dépollution seront nécessaires préalablement à l’aménagement du site.
L’enlèvement des terres polluées à excaver implique plusieurs milliers de
mètres cube (de l’ordre de 11 000) ».
Sur les critiques plus politiques émanant d’habitants, comme celles d’Andrée et
Roger (« Stupéfaction de cette abondance de commerces... provocation
vis-à-vis de la population ouvrière de Saint-Martin-d’Hères... n’a-t-on pas
d’autres choses à proposer aux jeunes qu’une société de
consommation ? »), le commissaire enquêteur reprend
l’argumentaire de la mairie : « (…) Ces espaces doivent donc être
perçus comme un équipement public s’inscrivant dans une dynamique de
renforcement du lien social. C’est pourquoi depuis la création de la ZAC, le
secteur des halles, aujourd’hui appelé ‘‘Les Ateliers’’, a été dénommé ‘’pôle
de vie’’ ».
Une galerie commerciale
comme centre-ville et comme centre de la vie, quoi de plus normal ? Au
temps du christianisme triomphant, les églises et leurs places structuraient
les villages. De nos jours, sous le règne du capitalisme, il est logique que
les magasins et leurs parvis organisent la vie de la cité. Ce qui est plus
surprenant, pour l’observateur naïf que je suis, c’est que cet idéal soit porté
par une mairie communiste. Il y a 160 ans Marx posait les bases de sa théorie
en critiquant le « fétichisme de la marchandise » et en
déplorant le fait que l’échange marchand masque les rapports sociaux entre les
individus. Aujourd’hui, le parti ne s’aventure plus dans des considérations
philosophiques de cette hauteur. Mais à l’occasion de la campagne présidentielle,
le Front de gauche - dont il fait partie - prend position « pour
l’émancipation humaine », « pour une planification écologique »,
« pour le partage des richesses », etc. En quoi une galerie
commerciale a-t-elle à voir avec ces idéaux ?
Interloqué et curieux, j’ai voulu poser la question
à des membres locaux du Front de gauche. Un conseiller municipal du Parti de gauche n’a pas voulu me recevoir,
m’expliquant que lui et ses collègues étaient débordés par la campagne
présidentielle et qu’ils n’avaient donc pas de temps à consacrer à ce sujet
secondaire. Stéphane, par contre, a accepté de discuter avec moi. Il est
militant à la Jeunesse communiste de Saint-Martin-d’Hères, la plus grosse
section du département, qui se présente comme « un groupe de jeunes qui
croit en ses idées et en un monde meilleur » comme l’indique son site
internet. Il m’a donné son « point de vue personnel » bien
qu’il ne « maîtrise pas le sujet » : « Je sais
pas si t’as remarqué mais on vit dans le système capitaliste. Il y a une réalité
nationale, Saint-Martin-d’Hères ne peut pas aller à l’encontre, donc oui c’est
capitaliste, c’est le règne de la marchandise, mais c’est un moindre mal. Les
entreprises qui vont s’installer ici sont capitalistes, mais il y a d’autres
choses dans le projet : il y aura une bibliothèque, un cinéma, la clinique
sera étendue, ce n’est pas que pour le commerce. Et puis c’est mille emplois,
bordel, on peut pas cracher dessus, car on est dans une ville où beaucoup de
personnes sont au chômage. »
J’ai ensuite pris
rendez-vous avec David Queiros, qui est au maire René Proby ce que Jérôme Safar
est à Michel Destot : un premier adjoint consciencieux, un défenseur zélé,
et donc un probable successeur. « - Le communisme aujourd’hui est-il
soluble dans les galeries commerciales ?
- Je ne comprends pas la question.
- C’est surprenant qu’une mairie communiste réputée très à gauche défende un projet de ce type qui fait très ‘‘capitaliste’’ ?
- Le capitalisme c’est surtout la finance, la finance internationale. Après je dirais que les besoins de la population sont aussi d’aller s’acheter des produits de première nécessité, des vêtements... On développe une politique où on met l’accent sur beaucoup de politiques publiques : l’aide aux associations, aux plus modestes, les mixités... On a un projet qui s’articule bien dans l’aménagement de la ville : c’est surtout ça qu’on veut mettre en avant ».
- Je ne comprends pas la question.
- C’est surprenant qu’une mairie communiste réputée très à gauche défende un projet de ce type qui fait très ‘‘capitaliste’’ ?
- Le capitalisme c’est surtout la finance, la finance internationale. Après je dirais que les besoins de la population sont aussi d’aller s’acheter des produits de première nécessité, des vêtements... On développe une politique où on met l’accent sur beaucoup de politiques publiques : l’aide aux associations, aux plus modestes, les mixités... On a un projet qui s’articule bien dans l’aménagement de la ville : c’est surtout ça qu’on veut mettre en avant ».
Des « produits de première nécessité » ? Ce n’est pas vraiment le créneau de la future
galerie commerciale dont « la programmation sera centrée selon quatre
thématiques : loisirs, montagnes, technologie, restauration »
selon le commissaire-enquêteur pour qui « l’offre commerciale (…)
relève de ‘‘l’achat plaisir’’ » alors que le promoteur Apsys insiste
beaucoup sur le côté « mode/tendance ». D’ailleurs, pour
rassurer les petits commerçants, la mairie elle-même répète que « les
commerces implantés dans Les Ateliers ne sont pas positionnés sur le même
créneau de produits et de clientèle que les commerces de proximité
voisins ». On n’en saura pas plus car pour l’instant, seulement quatre
enseignes sont annoncées : chocolat De Neuville, Espace Montagne, Acuitis
(optique / solaire / audition), Ayako Sushi.
Il y a par contre bien un
cinéma de cinq salles prévu dans les documents de présentation du projet. Si sa
présence n’est pas encore confirmée par la mairie, et qu’aucun nom d’exploitant
n’est annoncé, il inquiète déjà certains salariés de Mon Ciné, la salle
municipale art et essai. Un multiplex à moins de 500 mètres de cette véritable
« institution » martinéroise signifierait sûrement la fin de ce lieu
atypique. Quant à la clinique Belledonne, située juste à côté de la future
galerie commerciale, elle sera effectivement agrandie à l’occasion de ce
réaménagement urbain, pour le plus grand bonheur de ses propriétaires...
privés. Cela mérite bien une question à David Queiros : « - Cela
ne vous dérange pas de favoriser une clinique privée alors que vous défendez le
service public ?
- On défend le service public mais il y a des décisions qui ne sont pas de notre ressort. Avec la clinique Belledonne les habitants peuvent aller faire des radios quand ils le souhaitent à côté de chez eux. L’offre existe et même si elle est effectivement privée on préfère qu’elle existe au plus près des habitants plutôt qu’elle soit reportée ailleurs. C’est en ce sens que nous avons souhaité conforter ces activités-là, qui existent sur ce site. »
- On défend le service public mais il y a des décisions qui ne sont pas de notre ressort. Avec la clinique Belledonne les habitants peuvent aller faire des radios quand ils le souhaitent à côté de chez eux. L’offre existe et même si elle est effectivement privée on préfère qu’elle existe au plus près des habitants plutôt qu’elle soit reportée ailleurs. C’est en ce sens que nous avons souhaité conforter ces activités-là, qui existent sur ce site. »
À écouter le communiste David Queiros, le capitalisme se cantonnerait à la « finance
internationale » et n’aurait rien à voir avec un centre commercial,
les modes de production qu’il implique et les rapports sociaux d’exploitation
qui l’accompagnent. Loin des centres boursiers, la future galerie commerciale
« Les Ateliers » serait donc faite uniquement pour le bien être des
habitants. Consommateurs de tous les pays, unissez-vous !
Il y a pourtant des enjeux
d’une autre importance. Pour la municipalité, « ce projet inscrit
durablement ce territoire au cœur de la polarité Est en cours de développement,
permettant ainsi à Saint-Martin-d’Hères de jouer un rôle moteur dans la
structuration de l’agglomération ». En clair, Saint-Martin-d’Hères
veut rentrer dans la course avec les autres communes de l’agglomération et
tenter d’attirer plus de « visiteurs », de « clients », en
profitant au passage pour s’attirer les faveurs de la communication et
augmenter son référencement Google. Et ça marche : avant même que le
chantier n’ait commencé, la commune fait parler d’elle jusque dans les salons
chics de la capitale : « À l’invitation d’Apsys, plus de 60
enseignes se sont retrouvées les 6 et 7 avril 2011, dans le cadre prestigieux
du pavillon Elysée Le Nôtre à Paris pour le lancement officiel de la
commercialisation de ce très beau projet. »
La guerre économique et la compétition entre les
territoires – à l’intérieur même de l’agglomération : voilà donc les réelles motivations d’un
aménagement démesuré pour les seuls martinérois. Le maire René Proby se vante
ainsi dans Saint-Martin-d’Hères mensuel d’octobre 2010 que le projet
« représente l’avant-garde du développement économique de la région
urbaine grenobloise ».
Mais il y a aussi des
enjeux d’ordre plus symbolique. Pour l’élu Vert Oudjaoudi, « ce projet
a toujours été vu par l’équipe municipale comme étant d’abord un renforcement
de l’idée d’un Saint-Martin-d’Hères qui sortirait de son paupérisme, car tout
le monde a l’idée que cette commune c’est d’abord des logements sociaux et des
quartiers un peu pauvres ». Ce constat d’une commune historiquement
assez « pauvre » est une réalité, et même le nom de la commune le
rappelle – Hères venant probablement de hère (le pauvre) ou de hèra (le
marécage), ce qui n’est guère plus vendeur. Mais pourquoi mettre tant d’énergie
à vouloir effacer cette image ? Une image modeste serait-elle honteuse
pour la municipalité PCF ? Pourquoi vouloir cacher le passé et la réalité
derrière une vitrine ? En quoi la présence d’une galerie commerciale avec
des magasins « Mode/tendance » et une « zone de chalandise de
515 000 personnes » améliorera-t-elle le quotidien des martinérois ?
Changement d’époque. Le
précédent maire de Saint-Martin-d’Hères, Jo Blanchon, était un ancien ouvrier
de chez Neyrpic. L’actuel premier magistrat René Proby est médecin. À travers
le projet des Ateliers, la municipalité de Saint-Martin-d’Hères désire-t-elle
définitivement « tuer le père », c’est-à-dire tourner la page
avec son passé ouvrier ? Matériellement, en détruisant les dernières
halles industrielles de la commune, mais aussi symboliquement en changeant
l’image de la commune, en attirant des personnes aisées et en essayant de la
rendre clinquante et scintillante ?
À l’époque de la construction du centre commercial
de Grand’Place, dans les années
1970, la municipalité grenobloise d’Hubert Dubedout (regroupant des socialistes
et des non-affiliés) avait fait peindre une fresque, aujourd’hui disparue,
illustrant les dérives de la société de consommation - fresque assez pathétique
devant ce temple de la consommation mais indiquant quand même un doute, une
réflexion, une réserve autour de cette nouvelle civilisation en expansion.
Aujourd’hui une mairie communiste développe une galerie commerciale sans aucun
signe de remise en cause de cette société de consommation. Cette dernière
a-t-elle définitivement gagné ?
1 - Toutes les citations
non référencées proviennent du site de la mairie de Saint-Martin-d’Hères, du
site du promoteur Apsys ou du compte-rendu de l’enquête publique, consultable à
la mairie. 2 - Depuis début mars, de nombreuses révélations, notamment du
Canard Enchaîné, ont démontré que la société Ikéa a payé des cabinets privés
pour espionner ses salariés dans toute la France.
« Le Postillon » avril 2012
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