Terre : Qu’elle est bio, ma vallée…
Entre Die et Loriol, le long de la Drôme, s’étend
sur 2 000 kilomètres carrés le territoire de «Biovallée». Ce
programme, doté de 10 millions d’euros, vise à faire de ce pays une
vitrine écolo.
(photo : Jean Serret , président de la Biovallée, oublié de l'article...)
La transition écologique existe,
on l’a sentie dans l’air de la Drôme où elle a un nom qui sonne comme un label
: Biovallée. Entre Loriol-sur-Drôme et Die, là où les fronts rocheux du Vercors
rivalisent de majesté, élus et citoyens tentent de façonner le premier labo
grandeur nature d’une société plus durable.
Biovallée est d’abord une
idée surgie en 2005 dans l’esprit frondeur de Didier Jouve, alors
vice-président de la région Rhône-Alpes, en charge de l’aménagement du
territoire. «Pour plusieurs coins de la
région, j’ai essayé d’imaginer ce qu’était le truc en plus», se
souvient cet élu à la tignasse blanche. Naissent alors plusieurs grands projets
: la cité du design à Saint-Etienne, le site Rovaltain consacré à
l’écotoxicologie, près de Valence, la grotte Chauvet en Ardèche. Et, enfin, la
Biovallée : un territoire préservé, vaste de 2 200 kilomètres
carrés, où s’égaillent 102 communes totalisant à peine 54
000 habitants, et qui enserre comme un écrin une centaine de kilomètres de
la Drôme.
«L’idée, note Didier Jouve, c’était de créer une sorte de version rurale de Fribourg-en-Brisgau
[ville allemande réputée pour son écoquartier Vauban, ndlr], de concrétiser les principes du développement
durable à l’échelle d’un territoire. Pour de vrai, pas pour amuser la galerie
ou faire mousser des élus.» Le projet s’est donné des objectifs
chiffrés : faire sortir de terre 15 écoquartiers d’ici à 2015 ;
puis stopper net l’artificialisation de la zone après 2015 ; assurer
l’autonomie énergétique du territoire d’ici à 2020 ; diviser par quatre
les consommations énergétiques de chaque habitant ; avoir 100 % des
déchets organiques compostés en 2014 ; 50 % des agriculteurs certifiés AB
en 2015… Bref, faire naître un paradis écolo.
L’esprit de résistance
Pas trop difficile, dans
ce territoire enclavé dans des cirques rocheux et dont la densité est
comparable à celle de la Creuse. Ici, l’écologie fait déjà partie du paysage.
Le soleil nourrit chauffe-eaux et panneaux photovoltaïques ; la terre est
travaillée en bio sur 15 % de la surface agricole utile (cinq fois plus
qu’au niveau national) ; l’air est celui des montagnes, peu vicié par les
industries et les transports ; et l’eau de la Drôme fait la fierté des élus du
coin qui annoncent, parfois un peu vite, qu’elle est «la plus propre de France», même si
elle a obtenu en 2005 le fameux River Prize décerné par l’Australie.
Elle attire de longue date un tourisme «nature» : quand les températures
caniculaires déploient leur chape de plomb, elle résonne des éclats de rire des
enfants qui se régalent de ses trous d’eau vive, couleur opaline.
Et puis, dans cette Drôme
dite «des montagnes», on aime
bien «faire autrement».
L’esprit de résistance et de solidarité hante les lieux. Terre d’accueil des
républicains espagnols durant la guerre civile, refuge du maquis durant la
Seconde Guerre mondiale sur le tout proche plateau du Vercors, le val de Drôme
et le Diois sont des territoires rebelles, épris d’autonomie. «Depuis de nombreuses années, les initiatives
foisonnent ici dans les domaines de l’écoconstruction, de l’économie sociale et
solidaire, des circuits courts, des énergies renouvelables et de l’agriculture
biologique», rappelle Corinne Morel-Darleux, conseillère régionale
(Front de gauche). Plus de 20 % des emplois sont dans l’économie sociale
et solidaire. Déjà, en 2006, plus de 6 % des logements de la vallée étaient
équipés d’une source d’énergie renouvelable (contre 1,5 % en Rhône-Alpes).
«Une phase de bouturage»
Alors, quoi de plus
normal, pour les élus locaux, que d’essayer de canaliser et afficher cette énergie
sous l’étiquette Biovallée, marque dûment déposée. Pour avoir le droit de s’en
prévaloir, les sociétés et associations doivent adhérer à une charte et choisir
parmi 55 actions (engagements écologiques) valant de 1 à 5 points
chacune, de façon à atteindre 30 points en trois ans.
Pour impulser les projets,
Biovallée dispose d’un budget conséquent : 10 millions d’euros à dépenser
en cinq ans, dont la grande majorité provient de la Région. En trois ans
d’existence, le projet a déjà débloqué 4,5 millions d’euros. Les
premiers investissements soutenus par le programme sont sortis de terre :
réhabilitation thermique du centre de vacances du Martouret à Die, aménagement
d’un écoquartier de 80 logements à Loriol. La réalisation la plus
visible reste l’écosite d’Eurre, sorte de campus bio géant flambant neuf -
étalé sur 9 hectares - avec salle de conférences et pépinière
d’entreprises écocompatibles. C’est d’ailleurs là que se tiendront les
prochaines portes ouvertes de Biovallée, les 28 et 29 septembre. Mais
«nous sommes dans une phase de
bouturage», prévient Didier Jouve.
Au nombre des
subventionnés figurent aussi les rencontres «Ecologie au quotidien»,
rassemblement qui se déroule fin janvier depuis dix ans ; de
nombreuses études pour de futurs écoquartiers et aussi la pépinière
d’agriculteurs les Compagnons de la Terre. «On
aide des gens qui n’ont pas de foncier, pas de moyens et peu d’expérience à
devenir cultivateurs, raconte Thierry Mignot, un des animateurs du
programme. Durant trois ans, on leur
fournit des terres, du matériel, ce qui leur permet de mettre leur projet et
leur détermination à l’épreuve.» 8,5 hectares situés près
d’Eurre s’apprêtent ainsi à accueillir un boulanger-paysan, un éleveur, des
cultivateurs de fruits…
La rumeur du milliard d’euros
Biovallée a aussi aidé la
coopérative Jaillance et ses 220 producteurs de clairette de Die, un
vin pétillant légèrement sucré, à faire des économies d’énergie en installant
du photovoltaïque sur les hangars des viticulteurs. Avec 8 000 m2
de panneaux déjà raccordés et 4 000 m2 rien que sur son
toit, Jaillance produit 60 % de sa consommation électrique. «Biovallée a débloqué 30 000 euros pour
financer l’animation du programme», signale Vincent Lefort,
vice-président de la coopérative installée à Barnave.
Pour certains, ces
investissements sont bien loin d’être à la hauteur des ambitions affichées,
d’autant que, dans la vallée, le bruit court que Biovallée dispose d’un
milliard d’euros de budget… «Les cabinets
d’étude, les experts, ceux-là, oui, ils empochent le pactole. Nous, moins»,
peste un entrepreneur en écoconstruction. «C’est
normal de ne pas voir grand-chose de concret, explique Corinne
Morel-Darleux, parce que Biovallée
finance beaucoup d’actions immatérielles et très incitatives, comme du conseil
en économies d’énergie, par exemple, ou de la rénovation thermique.»
Pour remédier à ce déficit
de com, Biovallée s’est offert une émission hebdomadaire, Biotop, dans la
grille de programmes de la radio locale RDWA (prononcer «Air Diois»), qui fait
la promo des initiatives locales, y compris celles, nombreuses, qui existaient
depuis des décennies. Car Biovallée capitalise d’abord et avant tout sur un
réseau d’associations et d’entreprises très fertile en matière d’écologie. «Notre rôle consiste aussi à recenser, fédérer et
mettre en valeur ce qui existe déjà, parfois depuis trente ans»,
relève Philippe Méjean, qui pilote les initiatives Biovallée. Dans son
catalogue, on compte pêle-mêle des structures pionnières tel le centre
d’agroécologie des Amanins (cofondé par Pierre Rabhi), le gîte la Lune en
bouche - un des premiers labélisés écolos, il y a dix ans, bio jusqu’au
bout du gargantuesque petit-déj et qui invite à des «vacances sans voiture» en
offrant une nuitée par semaine à ceux venus en train dans la région - et la
société de plantes aromatiques l’Herbier du Diois.
Success story écolo de la
région, l’Herbier du Diois a été créé par Ton Vink, un Hollandais venu dans les
années 80 cultiver de la lavande et élever quelques chèvres. Trente ans
plus tard, l’herbier vend 800 à 1 000 tonnes de plantes, fournies
par 300 producteurs locaux, pour un chiffre d’affaires annuel
de 4,7 millions d’euros, et c’est le fils de Ton, Tijlbert, qui a
repris le flambeau. L’usine de Châtillon-en-Diois transforme, conditionne et
conserve des tonnes de mélisse, menthe poivrée, citronnelle, chiendent et
aubépine, à l’abri d’un toit couvert de 2 000 m2 de
panneaux photovoltaïques. Ici, l’écologie n’est pas une stratégie marketing,
c’est une philosophie : les plantes sont cultivées en bio, les salariés
bénéficient de la semaine de quatre jours, et ceux qui viennent à vélo, à
pied ou en voiture électrique plus de 20 fois par mois
touchent 100 euros de prime. Pour le jeune patron, Biovallée est un
jeu gagnant-gagnant dont il serait idiot de se priver : «Sans les pionniers, il n’y aurait pas de Biovallée
et, sans ce type d’initiatives, on aurait
du mal à démocratiser l’agriculture biologique.» S’il n’a pas
touché un centime du dispositif Biovallée, il n’en a cure. «C’est une des seules régions de France où l’on
trouve autant d’acteurs, de producteurs, d’entrepreneurs qui respectent
vraiment l’environnement. Mettre cela en valeur profite à tout le monde.»
«On ne sera pas de trop»
«C’est aussi à nous de
nous organiser pour faire Biovallée»,
estime Yann Louvel, coordonnateur de la campagne «Climat-énergie» du réseau
international d’ONG BankTrack. Pragmatique, il préfère mettre les mains dans le
cambouis, au plus vite, plutôt que de critiquer : «Ce coin est idéal pour faire un territoire exemplaire, mais nos deux
faiblesses majeures sont les transports et l’énergie : ici, sans voiture, on
est mal, et le nombre de bâtiments qui sont des épaves énergétiques est
colossal. Donc, on ne sera pas de trop à aller dans le même sens, citoyens et
élus. Le temps presse.»
LAURE NOUALHAT, Envoyée
spéciale dans la Drôme
Photos Eléonore
Henry de Frahan. Argos
29 août 2012 à 19:06 dans Libération
Laure Noualhat : je travaille sur les sujets environnementaux
depuis 2003, date de la création de la page Terre à Libé.
Depuis, impossible de faire autre chose. Ayant l'étrange sensation d'être à bord d'un bolide polluant, face à un mur, je tente d'alléger chaque jour mon «empreinte écologique»...
Arriverons-nous à freiner à temps?
Depuis, impossible de faire autre chose. Ayant l'étrange sensation d'être à bord d'un bolide polluant, face à un mur, je tente d'alléger chaque jour mon «empreinte écologique»...
Arriverons-nous à freiner à temps?
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