Crise en Bretagne dans
l’agro-alimentaire : c’est le modèle de l’agriculture productiviste qui est en
cause
De très importantes
difficultés dans plusieurs grosses entreprises de l’agro-alimentaire breton
amènent à une forte crise, associant la protestation de ceux qui perdent leur
travail et de ceux qui craignent que l’instauration de l’”écotaxe” sur les
poids lourds alourdissante les coûts dans une région excentrée par rapport à
l’Europe.
Le gouvernement, où les
Bretons sont fortement représentés, a bien compris le danger dans une région
ayant dans l’histoire montré une capacité à de fortes mobilisations, n’excluant
pas une certaine dose de violence, et pris dans l’urgence des premières
mesures, insuffisantes certes, mais montrant une conscience de la nécessité
d’une grande attention à une situation explosive, Bernard Poignant, maire de
Quimper et conseiller à l’Elysée n’hésitant pas à parler de “colère bretonne”.
Mais il est probable que,
malgré cette attention, la mobilisation va se poursuivre pour construire
un rapport de force avec le gouvernement, avec Paris, avec l’Europe, avec le
monde…, dans la mentalité de péninsule assiégée qui va si bien à la Bretagne.
Cela est d’autant plus probable que les acteurs principaux de cette
mobilisation, les organisations
professionnelles agricoles, en premier rang desquelles se range la
FNSEA, ont tout intérêt à être en première ligne dans une mobilisation
contre les responsabilités gouvernementales qui évite toute
réelle interrogation sur le modèle de développement agricole dont ils sont
les acteurs et les laudateurs
L’agriculture bretonne
s’est en effet développée, avec une efficacité certaine, sur des
productions de masse, le porc, la volaille et le lait, où la quantité a
été, en règle générale, privilégiée à la qualité. Ce développement a été
fortement soutenu par les banques, avec bien sur au premier rang le Crédit
Agricole et de puissantes coopératives agricoles n’hésitant pas à acheter
des entreprises privées, à l’exemple de la CECAB achetant l’entreprise Gad à Lampaul-Guimiliau,
qui est aujourd’hui liquidée
Ce développement s’est
accompagné d’une prise en compte que l’on peut, pour rester dans l’euphémisme,
insuffisante de l’environnement, dont la multiplication des algues vertes est
le révélateur (voir De
quoi sont morts les sangliers costarmoricains ? et Les
sangliers costarmoricains ont intérêt à gagner des contrées plus hospitalières),
et d’une forte propension, (voir L’agriculture
productiviste ne désarme jamais) relayée par l’appareil d’Etat, à nier la
réalité de la dégradation des milieux, malgré les mises en cause européennes
Il n’est que temps qu’un autre modèle de
développement agricole, fondé sur
la qualité, se construise en Bretagne, qui a toutes les potentialités pour
cela : un savoir-faire remarquable tant dans la production que dans la
transformation, le niveau de formation le plus élévé de toute la France, un
terroir qui garde des spécificités, un maillage très dense de PME attachés à
leur territoire, des centres de recherches et des organisations
professionnelles puissantes, une pratique de l’exportation et, malgré sa
dégradation, une image encore préservée, comme le révèle le succès dans la
durée de l’opération “Produit en Bretagne” (voir Produit en Bretagne : 15 ans de logo et de
charte)
Des produits véhiculant
une forte image, comme le pâté Hénaff à Pouldreuzic, la gamme de produits
laitiers de la coopérative Even à Ploudaniel ou de la Sill à Plouvien, les
gavottes à Dinan les Traou Mad de Pont l’Abbé…, et bien d’autres, préfigurent
cet avenir, fondé sur une adaptation de la tradition au contexte de demain. Car il est quand même paradoxal que dans
une région maîtrisant la transformation, une très grande partie de la
production soit exportée à l’état brut ce qui fait que la valeur
ajoutée est produite ailleurs, en Corse ou à Parme par exemple.
Souhaitons que les acteurs
acceptent de travailler à la révision de leur modèle de développement et
d’adapter les mécanismes de soutien à l’accompagnement de la reconversion
de la quantité vers la qualité, ce qui supposera une certaine lucidité sur les
excès de la recherche exacerbée d’une productivité maximum
Mais c’est tellement plus facile, en s’appuyant
sur un désespoir compréhensible, de mobiliser contre le mythe de Paris que de travailler à un autre mode de développement
qu’il est à craindre que les manifestations, barrages de routes et autres
attaques de bâtiments symboliques remplacent la réflexion sur d’autres modèles
de développement, qui sont pourtant l’avenir de la Bretagne.
Michel ABHERVE
AJOUT 1
Comme on pouvait s’y
attendre, les chambres d’agriculture persistent dans leur fuite en avant vers
une agriculture de plus en plus productiviste et et signent dans un communiqué
révélateur leur rejet de toute mesure environnementale
“Les pouvoirs publics
doivent prendre conscience que le meilleur soutien de l’activité économique,
c’est d’abord la production. Or toutes les décisions en matière d’agriculture –
normes, réglementations environnementales… - ont conduit à la
fragilisation des productions.”
AJOUT 2
De Romain Pasquier,
chercheur, dans Rue 89
“La seule solution est de
monter en gamme en termes de label ou en termes de transformation du produit,
ce qui n’a pas été suffisamment fait en Bretagne.”
Michel ABHERVE
“Crise en Bretagne dans l’agro-alimentaire : c’est
le modèle de l’agriculture productiviste qui est en cause”
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