Afterres 2050 : le scénario qui imagine l’autre modèle agricole de demain
Imaginez un pays où chacun mange
sainement, avec une eau de qualité, un usage réduit des pesticides, des
émissions de gaz à effet de serre divisées par quatre... Science
fiction ? Pour le moment, sans aucun doute. Mais en 2050, pas forcément,
si l’on en croit Afterres, un scénario d’utilisation des terres
agricoles résolument novateur, imaginé par l’association Solagro, et
actuellement à l’étude dans plusieurs régions de France. En modélisant
les besoins alimentaires et les pratiques agricoles, Afterres dessine un
autre paysage agricole français pour 2050. Et les changements
nécessaires pour y parvenir.
Pays de la Loire, 2050. Dans les champs, le maïs a cédé la place aux prairies, avec des légumineuses (comme les haricots, les lentilles, le trèfle ou la luzerne) [1]. Les vaches qui y pâturent sont de race « mixte » : ce sont de bonnes laitières et elles peuvent aussi fournir de très bons steaks. Le nombre de haies dans les champs a doublé, entourant des parcelles agricoles couvertes en permanence par l’une ou l’autre culture, ce qui ralentit l’érosion. La moitié des terres sont cultivées selon le cahier des charges de l’agriculture biologique (contre 4,4% dans les années 2000). L’eau qui coule dans les rivières, et se niche dans les nappes phréatiques, est redevenue « propre », les pesticides ayant quasiment disparus. Et les agriculteurs sont plus nombreux.
À Notre-dame-des-Landes, définitivement débarrassée du projet d’aéroport, les végétariens de la zone à défendre (ZAD), et autres adeptes de la sobriété heureuse, ont fait des émules. Dans toute la région, la consommation de viande a diminué de moitié. Idem pour les produits laitiers. Personne n’a pour autant de carence en calcium. Le lait de vache (avant tout adapté à la croissance des veaux) n’ayant pas le monopole des apports en calcium, contrairement aux croyances répandues au début du 21ème siècle ! Épinards, brocolis, noix, amandes, dattes, sardines, notamment, sont d’excellentes sources de calcium, de même que l’eau.
+ 600% de légumes en 40 ans
Dans les cantines scolaires, au restaurant ou à la maison, les seules denrées venues de loin sont les épices et certains produits de la mer. Oubliées les tomates d’hiver, ou les fraises du mois d’avril. Bienvenue aux fruits et légumes de saison ! Ils permettent de renouveler les saveurs au fil de l’année et de faire d’importantes économies d’énergies, en cessant de chauffer des milliers d’hectares de serres maraîchères. La quantité de légumes cultivés a néanmoins beaucoup augmenté : + 600 % en quarante ans ! On compte également 25% de vergers en plus, et le nombre de vignes a plus que doublé. De quoi embaucher les salariés mis sur le carreau par le secteur agro-alimentaire ou automobile chez les voisins de la péninsule bretonne. Mais qu’est-il donc arrivé ?
Retour en 2013. Le thermomètre s’emballe, le nombre d’affamés et de personnes malades de ce qu’elles mangent augmente, tandis que celui des agriculteurs ne cesse de diminuer. Ces derniers étant de plus en plus nombreux à ne plus vivre de leur métier. La raréfaction des ressources fossiles et les crises climatiques risquent de faire grimper les prix des aliments indéfiniment, les inégalités entre riches et pauvres se creusent... Serions-nous condamnés ? Pas forcément. A condition d’engager dès aujourd’hui un changement radical de nos pratiques agricoles et alimentaires. C’est ce que propose le « scénario de transition » sur lequel a planché Solagro, une association spécialisée dans la réalisation d’éco-bilans et d’études sur les énergies renouvelables. Baptisé Afterres2050, leur réjouissant programme s’étale sur les 40 prochaines années.
Les Pays de la Loire, région test
Afterres2050 décrit l’utilisation possibles des terres en 2050 en France. Ce scénario est le fruit de plusieurs années de recherche, pour modéliser les besoins et comportements alimentaires, les pratiques et les systèmes agricoles, avec leurs multiples variables... L’objectif : montrer « de manière chiffrée » qu’il est possible de nourrir la population française en 2050 (71 millions de personnes), tout luttant contre le changement climatique et en respectant la fertilité des sols, la qualité des eaux, la biodiversité. A condition d’amorcer les changements dès maintenant. L’association s’est appuyé sur une modélisation mathématique (intitulée MoSUT) qui permet de croiser de nombreuses données et hypothèses : « des tonnes de céréales, de foin, des rendements, des hectares, des assolements, des vaches, des poules, des cochons, des protéines, des glucides, des lipides, des habitants, des tonnes équivalent pétrole, des flux d’import-import, pour ne citer que les paramètres les plus évidents ».
Quatre conseils régionaux prévoient pour le moment de décliner le scénario national à l’échelon local. Dans les pays de la Loire, c’est une association, Virage énergie climat, qui s’est lancée. Deuxième région agricole de France en termes de production, avec notamment 51% de la production de viande, les Pays de la Loire, c’est un peu la France agricole en modèle réduit. A ceci près que l’agriculture biologique y est un peu plus développée. Reste que pour parvenir aux objectifs d’autonomie imaginés par Afterres, qui permettent une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole, cette terre d’élevage va devoir traverser de grands chamboulements. Le cheptel global de bovins sera divisé par deux. Celui des vaches à viande par six !
« Le fait de privilégier les races à viande est très récent dans l’histoire de l’agriculture, et directement lié à l’agriculture industrielle d’après-guerre », explique Mathieu Doray, de Virage énergie climat. « Les races anciennes qui servaient à tracter les engins ont été sélectionnées pour cela, puisqu’elles étaient robustes et pleines de muscles, ajoute Christian Couturier, l’un des co-penseurs du scénario Afterres. Mais c’est une production de luxe, qui consomme énormément de ressources et d’espaces. C’est donc une parenthèse qui doit se refermer. Il faut revenir à des races mixtes, qui donnent du lait, et que l’on peut manger. » Et pour rendre l’élevage bovin moins dépendant du prix des céréales, il faut les remettre au régime herbager. Des vaches qui mangent de l’herbe, donc.
Des besoins nutritionnels au paysage agricole
Cette diminution du bétail est une conséquence directe du changement de régime alimentaire. « Nous sommes partis des besoins nutritionnels (les nôtres et ceux des cheptels) avant d’envisager les moyens de production », détaille Christian Couturier. Et de prévenir : « Il sera impossible de nourrir et d’alimenter en énergie et en matériaux les 70 millions de français(es) prévu(e)s en 2050, en conservant nos habitudes de consommation actuelles ».
Est-ce problématique ? Pas forcément, si l’on en croit l’Organisation mondiale de la santé, qui estime que notre alimentation, trop riche, joue un rôle clé dans l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques telles que l’obésité [2], le diabète, les maladies cardiovasculaires, certains cancers et l’ostéoporose [3]. Sans oublier les méfaits sanitaires liés aux pesticides, épandus dans les champs puis ingérés.
Dans l’assiette de 2050, la consommation journalière de protéines passerait de 90 à 55 grammes pour un adulte, selon le scénario Afterres. Un chiffre proche de celui recommandé par les nutritionnistes [4]. En plus de diminuer, les apports en protéines seront diversifiés. Ils ne proviennent plus exclusivement des animaux, mais aussi de sources végétales (à 62 %), telles que les fèves, pois et lentilles. Et le sucre diminuerait de 14 à 11% de nos apports énergétiques quotidiens, soit l’équivalent de 4 morceaux de sucre par jour en moins sur les 20 ingérés aujourd’hui.
Manger, mais pas seulement
Afterres2050 considère l’agriculture comme une source d’alimentation, mais aussi d’énergie et de matériaux. C’est pourquoi les scénarios Afterres et négaWatt – scénario de transition énergétique – fonctionnent ensemble. « Ils sont imbriqués l’un dans l’autre », explique Christian Couturier. En 2050, une grande partie des déjections animales sera transformée par la méthanisation, ce qui permet à l’agriculture de produire l’énergie dont elle a besoin pour fonctionner, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Un processus de méthanisation qui peut commencer dès à présent.
Toutes ces évolutions permettront, selon le scénario, de « libérer » 5 à 8 millions d’hectares de terres, qui pourront être utilisées, dès 2025, pour d’autres usages que la production d’aliments. En Pays de la Loire, environ 14 000 ha de terres arables seraient ainsi alloués à la production de matériaux bio-sourcés (chanvre, lin...), afin d’alimenter les filières bâtiment et textile. La production d’agro-carburants (sur environ 25 000 hectares) commencerait sur des terres arables libérées en 2035, lorsque la triple transition – nutritionnelle, agricole et énergétique – « sera suffisamment engagée pour rendre à nouveau légitime l’utilisation de terres arables pour des productions non alimentaires ». Afterres2050 s’est par ailleurs penché sur une gestion alternative de la forêt française, source importante d’énergie.
Que vont dire les paysans ?
Comment les professionnels du secteur vont-ils accepter ce nécessaire changement de pratiques ? « Il est évident que le dossier que l’on pose sur la table est plutôt lourd, concède Mathieu Doray. Dans une région laitière telle que la nôtre, on a d’emblée un désaccord avec les producteurs de lait intensifs. Moins avec les éleveurs bio qui sont déjà une logique de désintensification ». Afterres2050 peut aussi être pris comme une occasion unique de sortir par le haut d’une crise du secteur laitier qui n’en finit pas de ruiner les agriculteurs, et de susciter leur colère. « Les éleveurs laitiers veulent avoir des perspectives. Ils voient bien que le fait de taper sur la grande distribution ne va pas suffire », rebondit Christian Couturier.
« La diminution du nombre d’animaux ne signifie pas que l’on va réduire le nombre d’agriculteurs », précise Mathieu Doray. Côté emploi, Afterres2050 n’a encore rien défini. Tout reste à chiffrer. « Dans notre scénario, on a 50% d’agriculture bio et 50% d’agriculture intégrée. Si cette méthode ne supprime pas totalement le recours aux pesticides de synthèse, elle en réduit fortement l’utilisation, en les utilisant uniquement en derniers recours, explique Mathieu Doray. Ces deux systèmes demandent plus de main d’œuvre que l’agriculture intensive. Donc, on suppose que globalement, on va plutôt créer des emplois. On a aussi chez nous une grosse industrie agroalimentaire, notamment en Mayenne. Mais on peut très bien imaginer transformer des protéines végétales... » Ou de mettre en route des filières de conserves sans pesticides ni bisphénol A...
« Plusieurs secteurs agricoles sont en crise, et ce n’est pas le scénario Afterres qui a provoqué ces crises, poursuit Christian Couturier. L’agriculture va de toute façon être obligée de se réorganiser. Et les mutations à venir vont être sévères. Il nous faut définir de nouvelles perspectives, en fonction du changement climatique et de ses impacts. En tenant compte des nécessités de stockage du CO2 (dans la biomasse, ndlr), et de production d’énergie à partir de ressources renouvelables. La question, c’est donc : comment on accompagne ce changement ? Avec une fuite en avant, et des marchés mondiaux de plus en plus compétitifs totalement incertains ? Ou en imaginant un autre modèle de développement agricole ? » Un modèle dont Afterres veut poser les bases. Et montrer que des changements sont possibles.
Nolwenn Weiler
Photo : CC Lars Heidemann / CC Charles Knowles
Infographies : Association virage énergie Climat
Le scénario Afterres2050
Pays de la Loire, 2050. Dans les champs, le maïs a cédé la place aux prairies, avec des légumineuses (comme les haricots, les lentilles, le trèfle ou la luzerne) [1]. Les vaches qui y pâturent sont de race « mixte » : ce sont de bonnes laitières et elles peuvent aussi fournir de très bons steaks. Le nombre de haies dans les champs a doublé, entourant des parcelles agricoles couvertes en permanence par l’une ou l’autre culture, ce qui ralentit l’érosion. La moitié des terres sont cultivées selon le cahier des charges de l’agriculture biologique (contre 4,4% dans les années 2000). L’eau qui coule dans les rivières, et se niche dans les nappes phréatiques, est redevenue « propre », les pesticides ayant quasiment disparus. Et les agriculteurs sont plus nombreux.
À Notre-dame-des-Landes, définitivement débarrassée du projet d’aéroport, les végétariens de la zone à défendre (ZAD), et autres adeptes de la sobriété heureuse, ont fait des émules. Dans toute la région, la consommation de viande a diminué de moitié. Idem pour les produits laitiers. Personne n’a pour autant de carence en calcium. Le lait de vache (avant tout adapté à la croissance des veaux) n’ayant pas le monopole des apports en calcium, contrairement aux croyances répandues au début du 21ème siècle ! Épinards, brocolis, noix, amandes, dattes, sardines, notamment, sont d’excellentes sources de calcium, de même que l’eau.
+ 600% de légumes en 40 ans
Dans les cantines scolaires, au restaurant ou à la maison, les seules denrées venues de loin sont les épices et certains produits de la mer. Oubliées les tomates d’hiver, ou les fraises du mois d’avril. Bienvenue aux fruits et légumes de saison ! Ils permettent de renouveler les saveurs au fil de l’année et de faire d’importantes économies d’énergies, en cessant de chauffer des milliers d’hectares de serres maraîchères. La quantité de légumes cultivés a néanmoins beaucoup augmenté : + 600 % en quarante ans ! On compte également 25% de vergers en plus, et le nombre de vignes a plus que doublé. De quoi embaucher les salariés mis sur le carreau par le secteur agro-alimentaire ou automobile chez les voisins de la péninsule bretonne. Mais qu’est-il donc arrivé ?
Retour en 2013. Le thermomètre s’emballe, le nombre d’affamés et de personnes malades de ce qu’elles mangent augmente, tandis que celui des agriculteurs ne cesse de diminuer. Ces derniers étant de plus en plus nombreux à ne plus vivre de leur métier. La raréfaction des ressources fossiles et les crises climatiques risquent de faire grimper les prix des aliments indéfiniment, les inégalités entre riches et pauvres se creusent... Serions-nous condamnés ? Pas forcément. A condition d’engager dès aujourd’hui un changement radical de nos pratiques agricoles et alimentaires. C’est ce que propose le « scénario de transition » sur lequel a planché Solagro, une association spécialisée dans la réalisation d’éco-bilans et d’études sur les énergies renouvelables. Baptisé Afterres2050, leur réjouissant programme s’étale sur les 40 prochaines années.
Les Pays de la Loire, région test
Afterres2050 décrit l’utilisation possibles des terres en 2050 en France. Ce scénario est le fruit de plusieurs années de recherche, pour modéliser les besoins et comportements alimentaires, les pratiques et les systèmes agricoles, avec leurs multiples variables... L’objectif : montrer « de manière chiffrée » qu’il est possible de nourrir la population française en 2050 (71 millions de personnes), tout luttant contre le changement climatique et en respectant la fertilité des sols, la qualité des eaux, la biodiversité. A condition d’amorcer les changements dès maintenant. L’association s’est appuyé sur une modélisation mathématique (intitulée MoSUT) qui permet de croiser de nombreuses données et hypothèses : « des tonnes de céréales, de foin, des rendements, des hectares, des assolements, des vaches, des poules, des cochons, des protéines, des glucides, des lipides, des habitants, des tonnes équivalent pétrole, des flux d’import-import, pour ne citer que les paramètres les plus évidents ».
Quatre conseils régionaux prévoient pour le moment de décliner le scénario national à l’échelon local. Dans les pays de la Loire, c’est une association, Virage énergie climat, qui s’est lancée. Deuxième région agricole de France en termes de production, avec notamment 51% de la production de viande, les Pays de la Loire, c’est un peu la France agricole en modèle réduit. A ceci près que l’agriculture biologique y est un peu plus développée. Reste que pour parvenir aux objectifs d’autonomie imaginés par Afterres, qui permettent une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole, cette terre d’élevage va devoir traverser de grands chamboulements. Le cheptel global de bovins sera divisé par deux. Celui des vaches à viande par six !
« Le fait de privilégier les races à viande est très récent dans l’histoire de l’agriculture, et directement lié à l’agriculture industrielle d’après-guerre », explique Mathieu Doray, de Virage énergie climat. « Les races anciennes qui servaient à tracter les engins ont été sélectionnées pour cela, puisqu’elles étaient robustes et pleines de muscles, ajoute Christian Couturier, l’un des co-penseurs du scénario Afterres. Mais c’est une production de luxe, qui consomme énormément de ressources et d’espaces. C’est donc une parenthèse qui doit se refermer. Il faut revenir à des races mixtes, qui donnent du lait, et que l’on peut manger. » Et pour rendre l’élevage bovin moins dépendant du prix des céréales, il faut les remettre au régime herbager. Des vaches qui mangent de l’herbe, donc.
Des besoins nutritionnels au paysage agricole
Cette diminution du bétail est une conséquence directe du changement de régime alimentaire. « Nous sommes partis des besoins nutritionnels (les nôtres et ceux des cheptels) avant d’envisager les moyens de production », détaille Christian Couturier. Et de prévenir : « Il sera impossible de nourrir et d’alimenter en énergie et en matériaux les 70 millions de français(es) prévu(e)s en 2050, en conservant nos habitudes de consommation actuelles ».
Est-ce problématique ? Pas forcément, si l’on en croit l’Organisation mondiale de la santé, qui estime que notre alimentation, trop riche, joue un rôle clé dans l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques telles que l’obésité [2], le diabète, les maladies cardiovasculaires, certains cancers et l’ostéoporose [3]. Sans oublier les méfaits sanitaires liés aux pesticides, épandus dans les champs puis ingérés.
Dans l’assiette de 2050, la consommation journalière de protéines passerait de 90 à 55 grammes pour un adulte, selon le scénario Afterres. Un chiffre proche de celui recommandé par les nutritionnistes [4]. En plus de diminuer, les apports en protéines seront diversifiés. Ils ne proviennent plus exclusivement des animaux, mais aussi de sources végétales (à 62 %), telles que les fèves, pois et lentilles. Et le sucre diminuerait de 14 à 11% de nos apports énergétiques quotidiens, soit l’équivalent de 4 morceaux de sucre par jour en moins sur les 20 ingérés aujourd’hui.
Manger, mais pas seulement
Afterres2050 considère l’agriculture comme une source d’alimentation, mais aussi d’énergie et de matériaux. C’est pourquoi les scénarios Afterres et négaWatt – scénario de transition énergétique – fonctionnent ensemble. « Ils sont imbriqués l’un dans l’autre », explique Christian Couturier. En 2050, une grande partie des déjections animales sera transformée par la méthanisation, ce qui permet à l’agriculture de produire l’énergie dont elle a besoin pour fonctionner, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Un processus de méthanisation qui peut commencer dès à présent.
Toutes ces évolutions permettront, selon le scénario, de « libérer » 5 à 8 millions d’hectares de terres, qui pourront être utilisées, dès 2025, pour d’autres usages que la production d’aliments. En Pays de la Loire, environ 14 000 ha de terres arables seraient ainsi alloués à la production de matériaux bio-sourcés (chanvre, lin...), afin d’alimenter les filières bâtiment et textile. La production d’agro-carburants (sur environ 25 000 hectares) commencerait sur des terres arables libérées en 2035, lorsque la triple transition – nutritionnelle, agricole et énergétique – « sera suffisamment engagée pour rendre à nouveau légitime l’utilisation de terres arables pour des productions non alimentaires ». Afterres2050 s’est par ailleurs penché sur une gestion alternative de la forêt française, source importante d’énergie.
Que vont dire les paysans ?
Comment les professionnels du secteur vont-ils accepter ce nécessaire changement de pratiques ? « Il est évident que le dossier que l’on pose sur la table est plutôt lourd, concède Mathieu Doray. Dans une région laitière telle que la nôtre, on a d’emblée un désaccord avec les producteurs de lait intensifs. Moins avec les éleveurs bio qui sont déjà une logique de désintensification ». Afterres2050 peut aussi être pris comme une occasion unique de sortir par le haut d’une crise du secteur laitier qui n’en finit pas de ruiner les agriculteurs, et de susciter leur colère. « Les éleveurs laitiers veulent avoir des perspectives. Ils voient bien que le fait de taper sur la grande distribution ne va pas suffire », rebondit Christian Couturier.
« La diminution du nombre d’animaux ne signifie pas que l’on va réduire le nombre d’agriculteurs », précise Mathieu Doray. Côté emploi, Afterres2050 n’a encore rien défini. Tout reste à chiffrer. « Dans notre scénario, on a 50% d’agriculture bio et 50% d’agriculture intégrée. Si cette méthode ne supprime pas totalement le recours aux pesticides de synthèse, elle en réduit fortement l’utilisation, en les utilisant uniquement en derniers recours, explique Mathieu Doray. Ces deux systèmes demandent plus de main d’œuvre que l’agriculture intensive. Donc, on suppose que globalement, on va plutôt créer des emplois. On a aussi chez nous une grosse industrie agroalimentaire, notamment en Mayenne. Mais on peut très bien imaginer transformer des protéines végétales... » Ou de mettre en route des filières de conserves sans pesticides ni bisphénol A...
« Plusieurs secteurs agricoles sont en crise, et ce n’est pas le scénario Afterres qui a provoqué ces crises, poursuit Christian Couturier. L’agriculture va de toute façon être obligée de se réorganiser. Et les mutations à venir vont être sévères. Il nous faut définir de nouvelles perspectives, en fonction du changement climatique et de ses impacts. En tenant compte des nécessités de stockage du CO2 (dans la biomasse, ndlr), et de production d’énergie à partir de ressources renouvelables. La question, c’est donc : comment on accompagne ce changement ? Avec une fuite en avant, et des marchés mondiaux de plus en plus compétitifs totalement incertains ? Ou en imaginant un autre modèle de développement agricole ? » Un modèle dont Afterres veut poser les bases. Et montrer que des changements sont possibles.
Nolwenn Weiler
Photo : CC Lars Heidemann / CC Charles Knowles
Infographies : Association virage énergie Climat
Le scénario Afterres2050
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