Information Participative

Médias Citoyens Diois continu !

Retrouvez-nous sur notre nouveau site :

http://mediascitoyens-diois.info

mardi 19 novembre 2013

Les gaz de schiste ne sont pas rentables...



Des méfaits économiques du gaz de schiste
INTERVIEW : Afin de dépasser un débat polarisé entre environnement et économie, le chercheur français Thomas Porcher démontre que le gaz de schiste n’est pas viable d’un point de vue économique.
Le gaz de schiste n’est qu’un mirage, loin du miracle économique que font miroiter les lobbies. C’est ce que démontre l’économiste français Thomas Porcher, spécialiste de l’énergie, dans un petit ouvrage paru en début d’année1 et dans lequel il démonte, un à un, les arguments, principalement économiques, des défenseurs du gaz non conventionnel. Interview.
- En contredisant les arguments économiques des partisans du gaz de schiste, vous leur coupez l’herbe sous les pieds?
En France, le deuxième acte du combat contre le gaz de schiste s’est beaucoup porté sur les aspects économiques. Le premier acte a été la mobilisation citoyenne de collectifs qui a permis d’obtenir la loi interdisant la fracturation hydraulique. Pour faire tomber ce mouvement, les lobbies ont tenté de convaincre l’opinion publique que les gains économiques du gaz de schiste devaient être mis en balance avec les dégâts dus à cette technique.
On nous parlait d’emplois et de baisse du prix de l’énergie qui permettrait d’améliorer la compétitivité. Le débat opposait des personnes mettant en avant, d’un côté, le coût environnemental et, de l’autre, les retombées économiques. Même des opposants au gaz de schiste étaient persuadés qu’il y avait probablement des avantages pécuniaires, mais que la nature ne devait pas être sacrifiée au nom du profit.
J’ai donc repris les arguments des lobbies pour montrer qu’en Europe et en France, les bénéfices avaient été largement surévalués.
- Sur quoi les lobbies se sont-ils basés pour annoncer ces retombées positives?
Sur la situation américaine, qu’ils ont répliquée sans l’adapter au contexte européen. Le gaz de schiste a créé 600 000 emplois aux Etats-Unis et le prix du gaz y a été divisé par trois, ce qui a permis un gain de compétitivité et une réindustrialisation. Ils ont estimé que la même chose se passerait en Europe. Mais quand on s’intéresse aux spécificités du prix du gaz européen et au nombre de puits qu’il faudrait forer pour créer beaucoup d’emplois, on se rend compte que ce n’est pas aussi simple...
- Le gaz de schiste n’aurait donc que peu d’effet sur l’emploi?
Le cabinet de conseil SIA a annoncé la création de 100 000 emplois en France, sans dire combien de puits cela nécessiterait. Aujourd’hui, même la compagnie pétrolière Total parle de 2000 à 10 000 nouveaux postes. Tout le monde a admis que pour créer du travail, il faudra forer en continu: 90 000 puits pour 100 000 emplois, soit environ un emploi direct et indirect par puits.
Une étude de l’Université du Colorado a montré qu’un million de dollars de production ne crée que deux emplois. Il n’y a aucune commune mesure entre la valeur engendrée pour la compagnie et les effets en termes d’emplois. Ce n’est pas pour rien que les spécialistes parlent de rente gazière.
- Selon vous, le prix du gaz ne baissera pas. Pourquoi?
Aux Etats-Unis, le prix du gaz est passé de 10 à 3 dollars. En Europe, il est à 10 dollars et les prix sont liés à des contrats de longue durée avec les pays exportateurs, eux-mêmes indexés au prix du pétrole, en hausse depuis 2004. Une étude de Bloomberg a montré que le coût d’extraction du gaz de schiste en Angleterre se situait entre 8 et 12 dollars. Cela signifie que le prix ne baissera pas, voire peu, en Europe. Les impacts de compétitivité risquent donc d’être nuls, voire marginaux. Aujourd’hui, même les partisans du gaz de schiste l’admettent.
Il n’y a aucune raison d’exploiter une ressource qu’on peut importer à un prix plus faible, sans en avoir les externalités négatives. Et il faut tenter la transition énergétique car on est parti dans cette direction.
- Vous estimez que les rentrées fiscales ne seraient pas intéressantes et que, paradoxalement, les habitants des zones riches en gaz de schiste s’appauvriraient...
En France, il y a eu un débat sur les redevances gazières censées financer la transition énergétique. Aux Etats-Unis, une étude portant sur 24 comtés du Texas a montré que le contribuable a dépensé plus d’argent pour rénover les routes devant soudain absorber une intense activité qu’il n’a reçu de redevances gazières.
Pour ce qui est de l’appauvrissement des populations, une étude du National Bureau of Economic Research (USA) relève que dans un rayon de 2000 mètres autour d’un puits, l’immobilier perd 24% de sa valeur. Le sous-sol appartenant au propriétaire aux Etats-Unis, les maisons sur le site de forage peuvent prendre 10% de leur valeur, mais toutes les autres en perdent.
En France et en Suisse, le sous-sol appartient à l’Etat. Il ne peut donc y avoir que des pertes, d’autant que l’on parle de milliers de puits. Au Colorado, il y en a 60 000, davantage que dans tout le Moyen-Orient. En Angleterre, à Blackpool, les premières prévisions sont à 3000 puits.
- Vous pointez du doigt l’absence d’études d’impact sur la santé des populations. Qu’en est-il?
Quand le Québec a voulu se lancer dans le gaz de schiste, ils s’est rendu compte qu’il n’y avait quasiment pas d’études sur les impacts directs ou indirects sur les populations, alors qu’elles vivent des travaux constants, subissent des émissions de CO2, de particules fines, etc.
Aujourd’hui, des études commencent à être publiées. En 2012, l’Université du Colorado a révélé que sur 800 mètres autour d’un puits, les risques de développer des cancers sont plus importants que si vous vivez au-delà de cette limite. Un article de l’Université de Duke a montré que les nappes phréatiques ont été polluées en Pennsylvanie. On voit qu’on n’a donc aucun intérêt à se précipiter.
- Comment votre ouvrage a-t-il été reçu par les lobbies du gaz de schiste?
J’ai participé à beaucoup de débats avec des experts pour et contre le gaz de schiste. En général, on était assez d’accord sur le fait que les emplois créés n’allaient pas être aussi nombreux qu’annoncé. Aujourd’hui, la plupart des économistes – y compris ceux qui sont pour – reconnaissent que tout a été surévalué au départ, quand bien même il s’agit pour eux d’une ressource à explorer.
- Pensez-vous que le boom du gaz de schiste va perdurer aux Etats-Unis?
Ces dernières années ont été marquées par une forte production et un coût du gaz bas. Mais les Etats-Unis ne pourront pas forer indéfiniment à ce rythme. Je pense qu’ils vont droit dans le mur. La production commence à fléchir, avec une stagnation cette année, ce qui indique probablement un retournement. Reste à savoir quand il se produira.
1. Thomas Porcher, Le mirage du gaz de schiste, Editions Max Milo, Paris, 2013.
- «En France, le dossier n’est pas clos»
- La décision du Conseil constitutionnel défavorable à Schuepbach Energie – qui estimait que l’annulation de ses permis d’exploration violait la Constitution – clôt-elle le dossier?
En théorie, oui, comme il n’y a pas d’autres techniques. Il reste cependant plusieurs chevaux de bataille, dont la recherche.
Beaucoup de gens pensent que si le président change, la situation ne sera pas tenable pour la France car presque tous les pays européens s’engagent dans le gaz de schiste. En attendant, les compagnies cherchent à requalifier leurs permis pour du gaz ou du pétrole conventionnel, car partout où il y en a, il y a aussi des ressources non conventionnelles. Mais on ne sait pas ce qu’elles ont en tête. Elles peuvent aller voir dans la roche mère sans faire de fracturation hydraulique. Cela explique pourquoi il y a des achats spéculatifs de permis. Même si la fracturation est aujourd’hui interdite, les compagnies attendent que la situation se retourne.
- Pourquoi, faute de pouvoir exploiter le gaz de schiste en France, les compagnies cherchent-elles à explorer le sous-sol?
L’exploration ou la recherche sera le troisième épisode de la bataille contre le gaz de schiste. Beaucoup de gens font de grands discours sur la nécessité de développer la recherche et d’évaluer nos réserves. Mais concrètement, qui va payer? Les compagnies? Si elles explorent sans exploiter, elles perdent de l’argent. Elles n’investiront donc pas à fonds perdus, à moins qu’elles ne le fassent, comme en Pologne, pour annoncer des réserves énormes, séduire la force politique et accélérer les processus de décision.
Si elles refusent d’assumer ces coûts, elles demanderont à l’Etat de s’en charger, à la charge du contribuable. Beaucoup demandent que l’Etat fasse une évaluation du sous-sol français pour connaître les réserves de gaz de schiste. Il y a pourtant mieux à faire en termes d’investissements générateurs d’emplois et d’impact social.
- Quid de l’exploration du sous-sol pour la géothermie?
Je pense qu’il faut bien dissocier le gaz et la géothermie. Le gain n’est pas le même, les opérateurs non plus. Il y a beaucoup de géologues en France, même des Universités publiques, qui se sont engouffrés dans le débat du gaz de schiste, sans donner vraiment d’avis mais qui encouragent la recherche pour avoir des contrats et relancer leur activité. Sans parler de théorie du complot, on constate qu’il y a convergence d’intérêts entre le débat sur le gaz de schiste et la géothermie.
Si on ouvre l’exploration, il y a de fortes chances que ce soit in fine pour rechercher du gaz et du pétrole non conventionnel. L’exploration est forcément un cheval de Troie pour l’exploitation.
Pour la géothermie, il faudrait bien dissocier les choses en chargeant un institut public de s’occuper de la recherche.
- Les lobbies semblent tabler sur le TAFTA (TransAtlantic Free Trade Agreement), négocié en secret par la Commission européenne, pour imposer le gaz de schiste. Qu’en est-il?
Dans tous les accords de libre-échange, le gagnant est toujours celui qui a la réglementation la plus faible. Ce traité ne va pas arranger la souveraineté des Etats, car les compagnies pourraient demander, au nom du libre-échange, que la loi interdisant la fracturation hydraulique saute car il n’y a pas de raison qu’elle soit interdite en France et pas ailleurs. Il y a là un véritable danger dans tous les domaines, pas seulement pour le gaz de schiste.
On a déjà vécu cela en France avec Schuepbach qui a attaqué l’Etat et l’attaquera probablement à nouveau pour demander des indemnisations. Il y a une agressivité des compagnies envers les Etats que les accords de libre échange légitimeront et décupleront.
- «Gaz de schiste, on en parle», table ronde jeudi 21 novembre à 20h, salle Point Favre à Chêne-Bourg (av. François-A. Grison 6). Avec Andrea Moscariello, professeur à l’Université de Genève, Werner Leu, responsable du projet de Noville, Jacques Cambon, co-président de l’association «Non au gaz de schiste - Pays de Savoie et de l’Ain» et Thomas Porcher, professeur à l’Ecole supérieure de management à Paris.
Claude Grimm

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire