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samedi 30 novembre 2013

Avatar... ou la Planète consciente

Avatar ou la planète consciente 

Avatar – tree of souls
Voici un article sur le film Avatar qui date de 2010 et que j’ai trouvé sur le site Max Lane, un marxiste australien, spécialiste de l’histoire indonésienne et traducteur de l’écrivain Pramoedhya Ananta Toer (prononcez Tour), qui a passé des longues années dans un camp des généraux putschistes et génocidaires indonésiens de 1965. En voici la traduction.
Selon Miranda Devine, commentatrice australienne de la droite toquée, regarder Avatar c’est comme « recevoir une massue gauchiste sur la tête ». Il paraît qu’aux Etats-Unis la droite sonnée a été également fortement irritée par l’immense popularité du film de James Cameron, une épopée de science-fiction high-tech. Devine ôte son chapeau pour le talent visuel et la qualité technologique du film mais ne supporte pas son idéologie. Les réactions de la droite américaine relèvent du même syndrome. Devine nous donne une liste de ce qu’elle appelle des clichés gauchistes comme « Les humains mauvais », « Le capitalisme mauvais », « L’Amérique mauvaise » et « Les sauvages bons». Un exemple américain est fourni par le commentateur de droite toqué John Podhoretz, le critique cinéma du Weekly Standard, qui se plaint que la « conclusion demande à l’audience d’applaudir la défaite des soldats américains devant une rébellion. C’est donc l’expression profonde d’anti-américanisme. »
Je crois qu’il n’est pas difficile de comprendre pourquoi ce film est tellement populaire, et peut-être un des films les plus populaires de l’histoire. Il est mirobolant du point de vue de l’image, des couleurs, beau et réaliste malgré son aspect fantastique. Dans le contexte de l’impérialisme du XXIe siècle c’est une représentation fondamentalement réaliste de la manière dont opère le pouvoir et par quoi il est motivé. Certains critiques, même au sein de la gauche, ont remarqué comment la phrase « faire peur et imposer le respect » (shock and awe) lancé au moment que l’armée privée de la société minière décide d’attaquer l’habitat du peuple Na’vi de la planète Pandora peut sonner trop rude. Mais faire peur et imposer le respect – le déploiement d’une puissance de feux écrasante à tous les niveaux contre un ennemi – EST la caractéristique par excellence de l’impérialisme contemporain, même dans les jeux vidéo qui servent à conditionner les enfants.
Le film n’est pas une contestation directe bien qu’il contient des contestations indirectes camouflées. L’intrigue est familière : dans d’innombrables films l’entreprise corrompue et violente est le méchant, tout comme le héros renégat – quelqu’un qui déserte les rangs de l’oppresseur pour le combattre. La représentation de l’opprimé aussi fait partie de la romantisation compréhensive d’un peuple pré-technologique, toujours en union organique avec Mère Nature et (plus ou moins) avec ses individus. L’œuvre de Cameron sur le plan de l’intrigue ne surpasse que modestement les normes hollywoodiennes. C’est son imagerie qui le met sur un niveau supérieur.
En même temps le film contient quelques métaphores, ou plutôt une métaphore doublée, où sont situés les points idéologiques forts et faibles du film. Il ne s’agit pas de la partie de l’intrigue où le renégat humain prend le leadership des Na’vi, puisque cela n’est pas le résultat d’une qualité supérieure à celle des Na’vi, mais plutôt de sa découverte qu’il ne peut être réellement humain qu’en devenant réellement un des leurs, en lutte contre l’oppression et en défendant la solidarité. Sa conversion, sa prise de parti quand il devient physiquement un des leurs et qu’il n’y a pas de retour possible le confirment. De ce point de vue, le point avancé par Devine comme quoi les « humains sont mauvais » est à côté de la plaque. Dans le film de Cameron aussi bien les humains que les extraterrestres sont en fait humains – ce sont les humains assimilés par la culture capitaliste qui ont perdu leur humanité.
La métaphore plus contradictoire – et plus intéressante – est incarnée dans la matérialité de Pandora, équivalent de Gaia – une mère nature en tant que « divinité ». Je mets divinité entre guillemets parce que dans le film cette « divinité » n’est ni un esprit, ni une personne surnaturelle. La planète sortie de la fantaisie de Cameron est en effet physique, unifiée par un réseau de tendons et de fins tentacules qui ressemblent à des neurones. Tout est relié spirituellement parce que relié matériellement C’est une merveilleuse métaphore imaginée de la réelle réciprocité physique dans l’habitat humain terrestre. La nécessité d’une solidarité spirituelle parmi les humains et avec la Terre, qui ne peut se manifester dans une action collective de défense de l’habitat humain, sera détruite et l’humanité avec elle. Un monde naturel d’une grande beauté et sa capacité de conserver sa beauté, disparaîtra si les humains disparaissent ou sont réduits à la barbarie. À travers la métaphore visuelle d’un réseau physique unifié neural, Cameron donne une signification matérielle à la « Terre Mère ».
Simultanément, cette métaphore rend possible une logique qui fournit la solution du conflit entre la compagnie minière moins qu’humaine et les Pandoriens pleins d’humanité, qui contient un élément camouflé et dangereux. Les Na’vi unis se mettent en action, prennent les armes pour combattre leur ennemi quand celui-ci les attaque pour les anéantir définitivement. Le film se range du côté de la résistance unie, collective, militante et même armée (voilà pour l’idéologie bancale et lourdingue dont Divine et ses semblables accusent Avatar.)
Cependant, et malgré les scènes finales où l’audience savoure la satisfaction de voir les humains militaristes réduits à des entrepreneurs éconduits de la planète par les Na’vi et leurs alliés humains, le film montre vivement la rébellion des Na’vi et de quelques alliés humains comme une défaite. Il est important de ne pas manquer ce point. Les entrepreneurs militaristes étaient par leur puissance de feu et leur brutalité terrorisante sur le point de casser la résistance des Na’vi. La victoire n’est pas venue de cette résistance. A la dernière minute, c’est l’intervention de la planète elle-même qui a assuré la victoire quand elle a dirigé par sa conscience physique réelle la vie animale contre les mercenaires.
Dans notre XXIe siècle cependant, l’humanité ne sera pas sauvée par la nature – c’est bien le contraire. Le film de Cameron capte la réalité de surface d’un impérialisme « shock and awe » de notre temps et de la connexion entre la matérialité de l’habitat terrestre humain et de la spiritualité – humanité et solidarité – nécessaire à sa protection, aussi bien que la volonté de se battre. Mais on peut nier tout cela quand on représente la victoire finale comme dépendant de ce que nous appelons dans notre monde réel un miracle.
Max Lane
image du film Avatar de James Cameron

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