La pauvreté, une cause politique abandonnée ?
En dépit des objectifs de Bruxelles visant à diminuer la misère d'ici dix ans, le programme européen d'aide alimentaire aux plus démunis est menacé. La défense des plus pauvres n'intéresse-t-elle plus ? Elle s'est pourtant accrue dans la décennie 2000, explique Julien Damon. Et sortir 20 millions de personnes de l'exclusion d'ici à 2020 est une priorité de l'Union européenne rappelle László Andor. La politique sociale ne doit donc pas être sous-estimée, insiste Nicole Maestracci. Sauf que, lance Patrick Kanner, l'action de la majorité actuelle est choquante, puisqu'elle sanctionne les démunis au lieu de les aider… Il ne faut pas faire payer la crise aux pauvres, conclut Najat Vallaud-Belkacem.
REPERES
8,2 millions de pauvres en France. En août, l'Insee donne le chiffre pour l'année 2009. Il concerne les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté (avec moins de 954 euros mensuels). La hausse entre 2008 et 2009 est de 4 %.
Une situation sanitaire préoccupante. D'après un rapport publié par l'association Médecins du monde (MDM) à l'occasion de la Journée internationale du refus de la misère (le 17 octobre) sur l'accès aux soins des plus démunis, la recrudescence de la pauvreté mettrait la France au seuil d'un "krach sanitaire". On constate notamment une hausse de la tuberculose considérée comme une "maladie de la pauvreté".
4 millions de personnes sans complémentaire santé. 30 % des personnes non protégées par une complémentaire santé renoncent aux soins pour cette raison, d'après l'enquête "Santé protection sociale 2008".
Femmes enceintes et enfants. 8 % des femmes enceintes qui sont passées par les centres de MDM étaient sans domicile et 68 % n'avaient pas accès aux soins prénataux ordinaires. 12 % des patients reçus sont âgés de moins de 18 ans - la moitié ayant moins de 7 ans. Seulement un tiers des enfant de moins de 6 ans sont à jour dans leurs vaccinations. Les pourcentages sont calculés sur la base des 38 606 consultations effectuées par MDM en 2010.
Hébergement d'urgence. 133 000 personnes vivent actuellement dans la rue. Seuls 400 logements sont prévus pour les personnes en sortie de rue, dans quatre villes de France.
Demandeurs d'asile. En 2010, 20 % des demandeurs d'asile ont été déboutés, 30 % environ ont une place dans les logements prévus en Centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA).
REPERES
8,2 millions de pauvres en France. En août, l'Insee donne le chiffre pour l'année 2009. Il concerne les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté (avec moins de 954 euros mensuels). La hausse entre 2008 et 2009 est de 4 %.
Une situation sanitaire préoccupante. D'après un rapport publié par l'association Médecins du monde (MDM) à l'occasion de la Journée internationale du refus de la misère (le 17 octobre) sur l'accès aux soins des plus démunis, la recrudescence de la pauvreté mettrait la France au seuil d'un "krach sanitaire". On constate notamment une hausse de la tuberculose considérée comme une "maladie de la pauvreté".
4 millions de personnes sans complémentaire santé. 30 % des personnes non protégées par une complémentaire santé renoncent aux soins pour cette raison, d'après l'enquête "Santé protection sociale 2008".
Femmes enceintes et enfants. 8 % des femmes enceintes qui sont passées par les centres de MDM étaient sans domicile et 68 % n'avaient pas accès aux soins prénataux ordinaires. 12 % des patients reçus sont âgés de moins de 18 ans - la moitié ayant moins de 7 ans. Seulement un tiers des enfant de moins de 6 ans sont à jour dans leurs vaccinations. Les pourcentages sont calculés sur la base des 38 606 consultations effectuées par MDM en 2010.
Hébergement d'urgence. 133 000 personnes vivent actuellement dans la rue. Seuls 400 logements sont prévus pour les personnes en sortie de rue, dans quatre villes de France.
Demandeurs d'asile. En 2010, 20 % des demandeurs d'asile ont été déboutés, 30 % environ ont une place dans les logements prévus en Centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA).
La pauvreté s'est accrue dans la décennie 2000
Tous les ans ressurgit une dispute bien française sur la pauvreté. Sous une pluie d'informations chiffrées et de définitions sophistiquées, responsables et dirigeants associatifs polémiquent. 2011 est une bonne cuvée. A l'occasion du rapport annuel sur la pauvreté, rendu par le gouvernement au Parlement, des voix accusent le gouvernement de minimisation. Les spécialistes s'écharpent en coulisses. Les communications se contredisent. Le public s'y perd.
Tentons une clarification. La pauvreté relève au moins de trois possibles dimensions : dans les esprits (des représentations), dans les textes (des normes), dans les poches (des budgets). Une autre tripartition, plus technique, spécifie trois approches. Une première délimite une pauvreté "absolue" : un seuil de ressources, qui ne varie pas en fonction des évolutions de la richesse, au-dessous duquel on est compté comme pauvre. C'est l'option suivie aux Etats-Unis depuis la fin des années 1950.
C'est aussi l'option retenue pour le calcul, par les institutions internationales, du nombre de personnes en situation d'extrême pauvreté (disposant quotidiennement de moins de 1,25 dollar (0,89 euro) de pouvoir d'achat). Un deuxième genre porte sur la pauvreté "administrative". Sont pauvres les personnes qui bénéficient des prestations visant à atténuer la pauvreté.
Une troisième famille s'intéresse à la pauvreté "relative". Les pauvres vivent avec des revenus et/ou dans des conditions de vie au-dessous d'un certain seuil défini en fonction de la distribution des revenus et/ou des conditions sociales. Le seuil monétaire le plus souvent utilisé est à 60 % de la médiane des niveaux de vie. Relevons que ce seuil atteint un niveau élevé : plus de 950 euros mensuels pour une personne seule, plus de 2 000 euros pour un couple avec deux enfants. Un décalage peut s'établir avec l'image générale de la pauvreté, qui, dans l'opinion, se rapporte plus à des niveaux de grand dénuement.
Une approche alternative, relative, serait de définir les pauvres comme les 10 % les moins aisés (ou les 15 %, ou les 5 %). Par construction, il serait impossible de diminuer la pauvreté et inutile de s'écharper sur les évolutions du nombre de pauvres.
En revanche, il serait possible de concentrer l'attention sur les meilleurs moyens d'améliorer les conditions de vie des plus défavorisés ainsi délimités. D'autres méthodes sont encore possibles, par exemple en faisant état de la pression sur les services sociaux, ou du sentiment d'être soi-même pauvre (ce que déclarent environ 20 % des Français).
Insistant sur les multiples dimensions du phénomène, les innombrables rapports ont abouti à des dizaines d'indicateurs. Le plus commun est celui de la pauvreté monétaire relative. Un autre, maintenant très regardé, est dit de "pauvreté ancrée dans le temps". On prend le seuil de pauvreté une année, et on ne le corrige ensuite que de l'inflation. On a ainsi un outil hybride permettant l'analyse des progrès par rapport à une situation précise de pauvreté repérée dans le temps.
Cette borne dans le temps est la grande question. La pauvreté augmente-t-elle ? Tout dépend de la période de référence. Par rapport au Moyen Age, la pauvreté a été éliminée. Si on se réfère aux années 1980, avant l'introduction du RMI, la situation des plus pauvres n'a plus grand-chose à voir. Si on s'intéresse aux années 2000, alors on compte - avec le seuil habituel de pauvreté monétaire relative - 13,6 % de pauvres en 2000, 13,5 % en 2009.
Tout dépend des points d'observation. En 2008, on recensait 13 % de pauvres contre 13,4 % en 2007. Sur une décennie, les choses ne semblent donc pas beaucoup bouger. Les proportions masquent toutefois les volumes. En 2000, l'Insee recensait 7,8 millions de pauvres. Ils sont 8,2 millions en 2009. Il y a donc une légère crue de la pauvreté, mais pas de déflagration. Pour la période 2008 à 2009, soulignons que la pauvreté ancrée dans le temps a aussi augmenté (passant de 11,6 % à 11,8 %). Cette poussée est à mettre en perspective.
De fait, les mouvements récents, sous forme de yo-yo, sont de petite amplitude. La tendance depuis les années 1970 est, elle, à une forte baisse puis à une stabilisation du taux de pauvreté. Cette évolution moyenne déguise cinq transformations : rajeunissement ; concentration urbaine ; accentuation des problèmes liés à la monoparentalité ; croissance du travail pauvre ; dépendance alourdie aux transferts sociaux.
Le sujet rebondit au plan européen. L'UE s'est engagée, dans sa stratégie "Europe 2020", à réduire, d'ici dix ans, d'au moins 20 millions le nombre de personnes "confrontées au risque de pauvreté ou d'exclusion sociale". Les progrès sont évalués à partir d'une combinaison de trois indicateurs : pauvreté monétaire relative ; "privation matérielle grave" (personnes ne disposant pas d'un certain nombre de services et d'équipements) ; personnes vivant dans des ménages ayant une "très faible intensité de travail".
Un grand thème est de savoir si l'on doit porter un regard inclusif (on est pauvre selon au moins une de ces trois dimensions) ou un regard cumulatif (on est pauvre selon ces trois dimensions). En France, la pauvreté monétaire relative affecte un peu plus de 8 millions de personnes, 3 millions connaissent des privations matérielles graves, 4 millions vivent dans des ménages "à faible intensité de travail". Dans une optique inclusive, 11,3 millions de personnes (19 % de la population) sont en situation de pauvreté et/ou d'exclusion ; avec une orientation cumulative, 829 000 personnes "seulement". La marge est immense.
Il ne faut pas verser dans des compétitions de démagogie. Les chiffres sont là. Le rapport annuel du gouvernement au Parlement contient un tableau de bord dont il ne sert à rien de rediscuter les fondements et le contenu. Rappelons, pour finir, que la discussion française porte, globalement, sur des chiffres 2009. Dans d'autres contextes, aux Etats-Unis mais aussi dans les enquêtes européennes, la donnée est plus fraîche. Moins fine, elle autorise une discussion d'actualité et non des bagarres sur le passé.
Dans le pays qui figure au premier rang mondial pour la part de son PIB affecté à la protection sociale et où les pouvoirs publics n'ont jamais tant dépensé pour la lutte contre la pauvreté, on doit pouvoir faire mieux. Non pas seulement pour mieux mesurer, mais surtout pour continuer à réduire les situations indignes.
Julien Damon, professeur associé à Sciences Po (master urbanisme)
Ouvrage : "Eliminer la pauvreté : zéro pauvre, c'est possible ?" (PUF, 2010).
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