UMP-FN : quelques centimètres avant l'alliance
En n'appelant pas
à faire barrage aux candidats du Front national dans les circonscriptions où
ils seront présents au second tour des législatives, l'UMP poursuit
tranquillement son rapprochement avec l'extrême droite, constate le quotidien
Le Temps. Un pas de plus, et c'est le mariage !
Hervé Mariton,
maire UMP de Crest, compte bien profiter de cet électorat frontiste pour
conserver la 3ème circonscription de la Drôme ce 17 Juin 2012.
(Photo : Candidat
malheureux à la députation dans les Bouches-du-Rhône, l'UMP Roland Chassain a
choisi de se désister au profit du Front National d’Extrême Droite).
Un pas de plus. L'UMP a
avancé d'une petite foulée en direction du Front national et de la
normalisation - le mot est à la mode - de ce parti sur l'échiquier politique
français. [Le 11 juin], la formation de droite a arrêté sa stratégie pour le
second round des élections législatives. Elle n'appelle pas à faire barrage au
Front national (FN). Ses dirigeants ont choisi la tactique dite du "ni,
ni", une abréviation en forme de cache-sexe qui signifie "ni front républicain, ni Front
national". Autrement dit, dans la vingtaine de duels opposant un
socialiste et un frontiste, l'UMP appelle ses électeurs à ne voter ni pour l'un,
ni pour l'autre, prenant le risque de faire élire le candidat du Rassemblement
bleu Marine ( Nouveau nom des faschos). Et en cas de triangulaire, le candidat
de l'UMP ne se retirera pas pour aider un socialiste à mettre en échec
l'extrême droite.
Cette attitude montre que
le FN, dont les candidats se présentent sous l'étiquette du "Rassemblement
bleu Marine", est, de scrutin en scrutin, toujours moins diabolisé.
Nicolas Sarkozy a largement balisé le terrain durant la campagne
présidentielle, soutenu par le patron de l'UMP, Jean-François Copé. Son
ancienne ministre Nadine Morano a encore été un cran au-delà, en déclarant
dimanche partager avec les électeurs frontistes des "valeurs
communes" comme le refus du vote des étrangers. Seule une ligne n'a pas
encore été dépassée, celle de l'alliance avec le FN. C'est la dernière digue.
Au sein de l'UMP,
l'attitude à adopter vis-à-vis du FN est un révélateur de divisions. Les
apôtres du front républicain, ceux qui préfèrent voter socialiste que voir un
frontiste élu, se font discrets. A l'image de la sénatrice Chantal Jouanno ou
de l'ex-ministre Valérie Pécresse, qui avaient manifesté leur désaccord avec la
stratégie du "ni, ni" lors de sa première application aux élections
cantonales de 2011. Aujourd'hui, c'est le silence radio.
L'ancien premier ministre
François Fillon, ennemi de cette tactique en 2011, se retrouve en délicate
posture. S'il s'aligne sans mot dire, il risque de perdre en crédit auprès
d'une partie de la droite humaniste. S'il fait entendre sa voix, il avancera
des pions dans la lutte qui s'annonce pour la direction de l'UMP à l'automne,
mais sera accusé de diviser le parti et peut-être d'avoir contribué à son
éclatement.
Catherine Dubouloz
Pour mémoire :
UMP-FN: l'extrême tentation
Une union des droites ? De plus en plus, dans le
parti majoritaire et dans les rangs frontistes envisagent cette possibilité.
Il y a d'abord eu le
discours ultra-sécuritaire de Grenoble fin juillet. Puis la politique anti-Roms
de la rentrée. Récemment, un fait divers a de nouveau mis en lumière les
rapports ambigus entre l'UMP et l'extrême droite: l'incarcération d'un retraité
dans le sud-est de la France, accusé d'avoir tiré sur deux jeunes cambrioleuses
d'origine bulgare.
Le 5 août, René Galinier,
retraité de 73 ans vivant à Nissan-lez-Enserune, dans l'Hérault, surprend deux
femmes roms qui s'introduisent par effraction chez lui. Il s'empare de son
fusil de chasse et tire sur les cambrioleuses, âgées de 21 et 11 ans, blessant
la seconde gravement. La justice le met en examen pour «tentatives d'homicide
volontaire» et le place en détention, estimant qu'il ne s'agit pas d'un cas de
légitime défense, les jeunes femmes n'étant ni armées ni menaçantes. En garde à
vue, René Galinier aggrave son cas, en déclarant aux gendarmes qu'il s'est «senti en danger avec cette sale race, on ne sait
jamais ce qu’il peut arriver. Je suis devenu raciste. Avec tout ce qu’il se
passe à la télé ça me gonfle, on est obligé de devenir raciste et de se
défendre. C’est de l’auto-défense».
FN - « Droite populaire », faux jumeaux
Rapidement, un comité
local de soutien est monté pour réclamer la libération du retraité –qui sera
finalement décidée le 13 octobre, après plusieurs refus de la justice. Tout
aussi rapidement, l'extrême droite s’empare de «l'affaire Galinier».
Manifestations, blogs –notamment celui du groupuscule actif Bloc Identitaire–
communiqués... Marine Le Pen et Bruno Gollnisch, en pleine guerre interne au FN
pour succéder à Jean-Marie Le Pen, multiplient les déclarations pro-Galinier, profitant
du fait que cette affaire intervient quelques semaines après la remise en
liberté du second braqueur présumé du casino d'Uriage-les-Bains, dans l'Isère.
La première estime que «ce ne sont pas en
France les délinquants qui ont à craindre de la justice, mais les honnêtes gens»,
le second adresse une «lettre ouverte à
Nicolas Sarkozy», saluant René Galinier et son «acte citoyen» qui «a fait œuvre de salut public en se défendant contre
deux voyous».
Dans un premier temps,
l'UMP et le gouvernement se gardent bien de réagir sur ce dossier sensible.
Seul le Collectif de la droite populaire, aile dure du parti majoritaire, prend
la défense du retraité. Reprenant l'argumentaire et parfois le vocabulaire du
FN, neuf députés UMP dénoncent par communiqué une décision de justice «inique» et «irresponsable», et justifié «la colère légitime des citoyens qui se sentent solidaires de René
Galinier». Elie Aboud, élu UMP de l'Hérault, rend visite en prison
à René Galinier. Son collègue des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca –connu pour
avoir loué le rôle «positif» de la colonisation ou jugé «anti-français» le film Hors-la-loi sur la guerre d'Algérie–
estime que si le retraité a «tort»
de parler de «sale race» à
propos des Roms, «il a le droit de le
penser». Le député a depuis atténué ses propos.
Le tournant Xavier Bertrand
Le tournant politique dans
cette affaire intervient le 6 octobre. Xavier Bertrand, secrétaire général de
l'UMP, est invité sur LCP. Profitant d'une question sur le jugement qui vient
d'être rendu contre l'ex-trader Jérôme Kerviel, le patron du parti au pouvoir
préfère répondre en critiquant l'incarcération de «Papy Galinier».
«Une décision de justice qui me choque (...) c'est
la décision qui consiste à laisser ce retraité de 73 ans toujours en détention
aujourd'hui, alors qu'il avait été agressé chez lui. C'est une décision de
justice que je n'ai pas le droit de commenter, mais qui me surprend et me
choque, c'est celle-là que je retiens dans l'actualité judiciaire.»
A moins de deux ans de la
présidentielle de 2012, le pas de deux UMP-FN est donc bel et bien lancé. Lors
de la dernière élection, Nicolas Sarkozy s'était félicité d'avoir siphonné
l'électorat lepéniste en reprenant plusieurs thèmes de campagne de l'extrême
droite (insécurité, immigration, identité nationale...). Lors de la prochaine,
l'équation est loin d'être de nouveau acquise. Entre-temps, les espoirs de la
campagne de 2007 (emploi et pouvoir d'achat) ont été déçus, et l'électorat
populaire et les classes moyennes ne cessent d'exprimer leurs critiques contre
«le président des riches» et leurs peurs contre le déclassement et la précarité
– les manifestations contre la réforme des retraites en sont une des
illustrations.
L'«alliance» ou l'«union»?
Les élections régionales
de mars 2010 ont révélé un des handicaps majeurs de l'UMP, parti unique: son
absence de stratégie d'alliance. Elles ont du coup sonné le réveil du vote FN,
avec un score global de 9% pour le parti frontiste, avec des pointes à 20% dans
certaines régions. Face à un tel risque, la nouvelle stratégie sarkozyste est
claire: ne pas laisser un centimètre carré de terrain au FN et tenter d'en
reconquérir à nouveau l'électorat.
Mais des voix commencent à
se faire entendre à l'UMP pour aller encore plus loin et envisager une
alliance, voire une union avec le FN. Le 6 octobre, l'idée a été lancée sur
Radio-Courtoisie par Christian Vanneste, député du Nord et membre de la Droite
populaire, et Xavier Lemoine, maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis). Pour le
premier, une «alliance»
électorale «avec ce qui est à notre
droite» est «tout à fait
possible». Dans le viseur, les élections législatives de 2012 où
tout doit être fait pour empêcher des triangulaires UMP-PS-FN qui seraient
fatales à la droite. Xavier Lemoine va plus loin, soutenant carrément une «union» entre l'UMP et le FN, jugée par
cet élu de banlieue «nécessaire et
indispensable».
La direction de l'UMP
réagit rapidement pour dénoncer des idées lancées par des responsables isolés
qui ne reflèteraient pas le sentiment général dans la majorité. «Notre position à l'égard du Front national et de
l'extrême droite a toujours été constante et restera constante»,
jure le même Xavier Bertrand sur Radio J, rejetant tout rapprochement entre les
deux partis. Sauf qu'un précédent existe: les élections régionales de 1998 où
cinq présidents de région de droite, dont l'ancien ministre Charles Millon,
s'étaient fait élire avec les voix des élus frontistes. L'arrangement avait
provoqué à l'époque une crise dans la droite RPR-UDF, qui s'était soldée par une
scission du parti centriste.
L'enjeu Marine Le Pen
La question se pose
d'autant plus pour 2012 qu'un fait va prochainement bouleverser le paysage
politico-médiatique. En janvier 2011, Marine Le Pen devrait succéder à son père
Jean-Marie à la tête du FN. Et avec elle, c'est une extrême droite new look qui
va apparaître, débarrassée des oripeaux antisémistes et racistes. La future
présidente du FN a pris soin de se démarquer du style de son père et de ses déclarations
outrancières sur la Shoah ou la guerre d'Algérie, mais elle affiche haut ses
envies de pouvoir. Avec elle, doit venir une extrême droite féminisée,
modernisée, de facto plus présentable, avec laquelle la droite parlementaire
pourrait être tentée de faire affaire. Un sondage paru dans Le Point en avril
2010 révèle d'ailleurs que 28% des Français et jusqu'à 36% des sympathisants
UMP sont favorables à l'entrée de Marine Le Pen au gouvernement. Selon Le
Parisien, l'Elysée partage cette analyse, un conseiller anonyme de Nicolas
Sarkozy se disant «convaincu que (Marine
Le Pen) sera un jour dans un gouvernement de droite, mais dans longtemps, dans
dix ans. Elle n'est pas pire que la CSU bavaroise allemande et plus modérée que
la Ligue du Nord italienne».
Rendez-vous dans 18 mois
La fille du leader du FN se
garde bien pour l'instant de répondre à ces appels du pied. Au contraire, elle
répète à l'envi que le FN ne s'alliera jamais avec l'UMP puisque les deux
partis ne partagent ni «la même culture»,
ni «les mêmes valeurs», ni «les mêmes solutions». Marine Le Pen a
en effet tout intérêt à continuer à se démarquer du parti gouvernemental pour
capitaliser dans l'opinion et faire monter les enchères en 2012.
Mais ne lui en déplaise,
au FN également, l'idée circule. Bruno Gollnisch ne se dit «pas opposé par principe» à une
éventuelle alliance, mais «à condition
que [l'UMP] se rallie à nos points de vue». Surtout, Jean-Marie Le
Pen lui-même avoue avoir été tenté par une union avec Nicolas Sarkozy en 2007.
Dans Le Testament du diable
(Ed. Du Moment), paru en octobre, le journaliste Azzedine Ahmed-Chaouch livre
une confidence du leader frontiste. En 2007, celui-ci aurait envisagé de s'allier
avec le nouveau président, séduit par son discours national:
«Il y avait peut-être une possibilité d'accord, mais
il eût fallu qu'elle soit exprimée. Si le Président s'était engagé dans cette
voie, qui correspondait dans le fond à l'exposé de son programme présidentiel,
s'ouvrait une période qui aurait pu être celle d'une collaboration.»
Jean-Marie Le Pen aurait
même été prêt à accepter un poste si Nicolas Sarkozy le lui avait proposé:
«Il aurait fallu préciser quand même un certain
nombre de choses, car nous avons des divergences qui sont fondamentales avec
l'UMP. Tout cela aurait été possible dans le cadre d'une réelle politique
nationale. Nicolas Sarkozy aurait pu se considérer comme chef de la République,
il aurait pu se trouver au-dessus des partis.»
Raté en 2007, le
rendez-vous UMP-FN, pour l'instant coup de main mutuel aux intérêts bien
compris, sera-t-il pris en 2012 ?
Bastien Bonnefous
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