Les dessous de l'éviction de Nicole Bricq du
ministère de l'écologie
Tout avait pourtant très
bien commencé. Le 16 mai, en annonçant qu'il confiait à Nicole Bricq le
portefeuille de l'écologie, Jean-Marc Ayrault faisait ministre une sénatrice
estimée de ses pairs pour son sérieux, ancienne strauss-kahnienne ralliée à
François Hollande dès 2009 et - ce qui ne gâtait rien - appréciée des milieux
de défense de l'environnement pour son combat contre le gaz de schiste. Chargée
également du délicat dossier de l'énergie, Mme Bricq avait une autre
vertu : sa position, jugée "équilibrée",
sur le nucléaire. Assez ouverte et crédible pour discuter avec les "anti", suffisamment
pronucléaire pour rassurer un PS majoritairement nucléariste.
Ce que MM. Hollande et
Ayrault, séduits par ces qualités, n'avaient peut-être pas mesuré, c'est la
très grande détermination de la ministre à modifier en profondeur le système
des forages en France. Mme Bricq y avait réfléchi, et elle n'en
démordait pas : il fallait obtenir davantage de garanties environnementales et
un partage de la rente différent avec les compagnies pétrolières, bref, une
remise à plat du fameux "code
minier". Le code minier ? Un long texte d'une centaine de
pages, extrêmement technique, qui définit ce qu'est une mine, et ce que sont
les conditions de son exploitation.
RÉFORME DU CODE
MINIER
A l'image de nombreux
experts, Mme Bricq et son directeur de cabinet, Géraud Guibert, un
magistrat de la Cour des comptes très pointu sur les dossiers, fondateur du
pôle écologiste du PS, estiment que le code est par trop favorable aux
exploitants, tout simplement parce qu'une compagnie qui découvre un gisement
est aujourd'hui quasi certaine de l'exploiter. Mme Bricq, elle,
souhaite mettre les compagnies en concurrence pour l'exploitation des
gisements. Les forages effectués par Shell en Guyane vont permettre,
pense-t-elle, de nouvelles discussions.
Mme Bricq n'est
pas seule à souhaiter cette modification du code minier. Arnaud Montebourg,
ministre du redressement productif, est sur la même longueur d'onde. Les deux
ministres déjeunent ensemble au tout début du mois de juin, avec leurs
directeurs de cabinet. Ils définissent une ligne commune : la transparence (les
permis seront publiés sur le site Internet du ministère), une réforme du code
minier et une révision des permis en cours. Les activités de la compagnie Shell
en Guyane sont concernées. Ce qui lie les deux ministres dans cette affaire,
c'est la certitude que face aux entreprises, l'Etat n'est pas condamné à sans
cesse subir.
LE CHOC DES
PRÉOCCUPATIONS CONTRAIRES
Tous deux préviennent
Matignon de leurs intentions. Réaction de l'équipe du premier ministre :
négociez si vraiment vous le souhaitez, mais sans perturber le climat de
confiance avec Shell. Toute l'ambiguïté est là. D'un côté, deux ministres
soucieux d'un autre rapport de forces, de l'autre un chef de gouvernement et
des élus guyanais ayant constamment en tête la défense de l'emploi et le
redressement de l'industrie.
Entre M. Ayrault et Mme
Bricq, c'est le choc des préoccupations contraires, au moins à ce moment
précis, mais aussi de deux tempéraments. M. Ayrault n'aime pas les éclats de
voix, mais il se heurte à la rugosité de sa ministre, toute à ses convictions.
Il y aura deux échanges très tendus entre eux, les 13 et 17 juin.
Shell et le lobby
pétrolier ne sont pas restés inactifs. D'un côté, Shell France accepte, par la
voix de son président, Patrick Romeo, de faire de substantielles concessions,
qu'il synthétise dans un e-mail envoyé au cabinet de Mme Bricq le 20
juin. En apparence, le document peut faire croire à Mme Bricq
qu'elle a eu finalement gain de cause. En apparence seulement. Car, en
coulisse, Shell s'agite. Tout le gratin du petit monde pétrolier décroche son
téléphone.
DELPHINE BATHO
POUR LA REMPLACER
En réalité, dès le 19
juin, le sort de Mme Bricq est scellé. Le jour même, Laurence
Parisot se félicite devant l'assemblée permanente du Medef des interventions
efficaces de son organisation auprès du gouvernement, pour relayer les
doléances de Shell. M. Montebourg, qui a su éviter les affrontements avec M.
Ayrault, ne doit qu'à son poids politique de conserver son poste, estime-t-on
dans son entourage.
Pour Mme Bricq,
le choc est violent. Lors de son voyage à Rio, au Sommet de la Terre, elle
discute avec le chef de l'Etat, qui ne lui parle de rien. La ministre de
l'écologie n'apprend le sort qui lui est réservé que vers 17 heures, par
téléphone, le 21 juin, jour du remaniement. Estomaquée, elle demande cinq
minutes de réflexion à M. Ayrault, puis accepte de prendre le poste de ministre
du commerce extérieur. Dans son malheur, Mme Bricq a une
satisfaction : elle travaillera avec Pierre Moscovici à Bercy, et les deux
ministres ont l'un pour l'autre une solide estime.
Delphine Batho prend
désormais les rênes du ministère de l'écologie. La nouvelle ministre peut
certes arguer d'une certaine sensibilité sur le sujet, puisqu'elle s'est
illustrée par la défense du marais poitevin, ainsi que par des prises de
position anti-OGM répétées. Mais elle n'a pas l'expérience des dossiers de Mme
Bricq. L'affaire laissera suffisamment de traces pour que le très politique
sénateur écologiste Jean-Vincent Placé puisse lancer : "C'est quand même un drôle de message."
Anne-Sophie Mercier
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