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vendredi 1 juin 2012

Les dettes des Etats sont illégitimes...


CRISE DE LA DETTE :  Et si la dette espagnole était illégitime?
Les marchés mettent l’Espagne à genoux. Des citoyens, inspirés par une initiative grecque, demandent un audit des créances publiques et, le cas échéant, leur annulation.
Dans le ménage de l’Etat, l’intérêt de la dette a remplacé les services publics. Plus les marchés financiers renâclent à acheter les titres de la dette espagnole, plus le coût du remboursement de ses intérêts augmente. A la suite de l’annonce de l’injection de 23,5milliards d’euros pour sauver sa quatrième banque – Bankia – de la faillite, les taux à dix ans de l’obligation espagnole de référence ont dépassé les 6,45% le 29 mai. Ce qui devrait encore accroître le coût du remboursement annuel des intérêts de la dette, déjà chiffré à 28,8 milliards d’euros lors de la présentation du budget 2012 début avril. Dans le même budget, on apprenait une coupe de 27,3milliards d’euros dans les services publics.
La dette espagnole mérite-t-elle une telle phobie? La part publique de la dette ne représentait «que» 68% du PIB en 2011, alors que celle de la France dépasse les 85%. Avec le sauvetage de Bankia, elle pourrait augmenter jusqu’à 79,8% du PIB, prévoit le gouvernement. Un chiffre encore inférieur à celui de l’Allemagne, qui cumule 2080
milliards d’euros de dette publique, soit 81,2% de son PIB.
Privatisation des bénéfices, mutualisation des pertes
En réalité, ce qui effraie les marchés, c’est la dette privée: «D’après McKinsey Global Institute, la dette des entreprises (hors banques) est estimée à 134% du PIB et celle des ménages dépasse les 80%. Le problème d’endettement en Espagne concerne le secteur privé avant tout», rappelle la journaliste économique française Stéphanie Villers. Le New York Times le confirmait il y a peu, en s’attardant sur les 9 milliards de dette de la société de construction A.C.S du magnat Florentino Perez.
Mais en bout de chaîne, ce sont les finances publiques qui trinquent. «Les coupes budgétaires sont faites pour assainir les comptes publics... Pour pouvoir acheter de la dette privée», dénonce Eulàlia Reguant Cura, de l’ONG Justicia i Pau. Et si l’Union européenne est aussi inquiète de la bonne santé de l’Etat espagnol, c’est que sa dette externe (dont seulement 18% vient du public) est détenue à 22% par des banques allemandes, à 20% par les françaises, à 17% par les américaines et à 14% par les banques anglaises, selon les chiffres de la Banque des règlements internationaux.
C’est quoi une dette illégitime?
Avec ses 32 milliards d’euros d’actifs toxiques liés à la bulle immobilière, Bankia est la huitième banque qui passe sous le contrôle des pouvoirs publics. A chaque fois, le processus est le même, rappelle l’économiste de Justicia i Pau, celui de pertes privées qui deviennent à la charge de l’Etat: «L’Unimm, par exemple, a été achetée par la BBVA, mais c’est l’Etat qui garantit 80% de ses actifs toxiques. Une fois réalisé l’assainissement des comptes par l’Etat à hauteur de 380 000 euros, la BBVA a racheté ce groupe de caisses d’épargne à 1 euro, explique-t-elle. A présent, Bankia a besoin d’au moins 23,5 milliards d’euros pour assainir ses fonds et c’est encore l’Etat qui va mettre la main à la pâte. Mais personne ne sait si la somme sera remboursée un jour.»
Mais les Espagnols se doutent déjà que non, après que le nouveau directeur de la banque, José Ignacio Goirigolzarri, ait déclaré que l’argent public n’était pas un prêt mais du capital et qu’«il n’y a rien à rembourser». Peut-on dire alors que cette dette est illégitime et que les citoyens ne devraient pas la rembourser? C’est la position avancée par la Plateforme pour un audit citoyen de la dette, créée en mars 2012 par des entités comme Justicia i Pau, le 15M ou Ecologistas en Accion. «La dette est illégitime quand les raisons pour lesquelles elle a été contractée n’ont pas bénéficié aux citoyens. En Espagne, il s’agit de la dette émise pour générer des infrastructures inutiles, comme l’aéroport de Castellon qui n’accueille pas d’avions, ou celle qui permet de sauver des banques qui s’enrichissent et font payer les citoyens à leur place», estime Eulàlia Reguant Cura.
Bankia serait alors un bon exemple de dette illégitime. Ainsi les Espagnols viennent d’apprendre qu’Aurelio Izquierdo, l’un des ex-dirigeants de Bankia, va toucher 14
millions d’euros d’indemnités, alors que la banque renflouée par les deniers publics vient d’annoncer des pertes de 3,3 milliards d’euros en 2011. Pas étonnant alors que l’objectif de la plateforme soit non seulement d’auditer les créances publiques, mais aussi la dette privée susceptible d’être nationalisée, comme c’est le cas des banques sauvées par l’Etat.
L’audit, outil de transparence
Auditer la dette, c’est lever le voile sur les responsables de ce qui est désormais considéré comme le cancer de l’économie espagnole: «L’objectif est double. A long terme, ne pas payer la dette illégitime. Mais nous sommes conscients que cela demandera du temps. A court terme, l’audit servira à sensibiliser les citoyens, à prouver qu’il existe des alternatives aux coupes budgétaires et à révéler qui sont les vrais responsables de la dette», détaille Eulàlia Reguant Cura.
Une solution de plus en plus plébiscitée par les sociétés civiles des pays européens en crise. «En Grèce, l’idée d’audit citoyen est née il y a deux ans. Elle arrive en deuxième position dans le programme du parti Syriza, arrivé deuxième aux législatives de mai 2012. Ce sont les pionniers. Mais la question n’a pas de frontières. En avril, la première réunion internationale des plateformes d’audit citoyen s’est réunie à Bruxelles. Douze pays étaient représentés, dont l’Allemagne», précise Mme
Reguant Cura.
S’inspirer des pays du Sud
Les expériences de plusieurs pays du Sud rappellent que le paiement intégral de la dette n’est pas une fatalité. En Argentine, le gouvernement Kichner a renégocié une bonne part de la dette et a soldé ses relations avec le FMI en 2005. L’Equateur a réalisé un audit de la dette et en septembre 2008, après un rapport considérant la majorité de la dette illégitime, le gouvernement n’a remboursé que 30% de la dette à ses créanciers.
Alors que Mariano Rajoy demande plus de flexibilité à la Banque centrale européenne (BCE) et que François Hollande propose un début de mutualisation des dettes au sein de l’UE à travers la création d’eurobonds, les citoyens espagnols regardent plus que jamais vers une autre sortie de crise: «On ne se satisfait pas de ces demi-mesures qui ne serviront qu’à adoucir temporairement la situation. Il faut un changement en profondeur. Une coordination européenne des plateformes d’audit est en train de se mettre en place pour réaliser un audit européen de la dette.» Nul doute que les citoyens espagnols suivront avec attention le résultat de Syriza aux élections législatives grecques du 17 juin.
Emmanuel Haddad

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