Une exposition prolongée
aux pesticides pourrait réduire les capacités cognitives. Telle est la
conclusion qui ressort de l'étude Phytoner dont les résultats les plus récents
ont été présentés à Paris, mercredi 30 mai, par Isabelle Baldi (médecin
épidémiologiste et maître de conférences à l'université Bordeaux Segalen) lors
des rencontres scientifiques de l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire
de l'alimentation, de l'environnement et du travail). Le suivi, pendant au
moins douze ans, de personnes travaillant dans le secteur viticole en Gironde a
en effet mis en évidence "une
détérioration notable" de leurs résultats aux tests
neurocomportementaux pour 50 % des sujets interrogés.
Destinée à évaluer les
effets d'une exposition professionnelle aux pesticides - en l'occurrence
majoritairement des fongicides - chez les ouvriers viticoles girondins, l'étude
Phytoner a été lancée en 1997. Soutenue financièrement par l'Anses, elle a
porté sur un millier de participants âgés de 42 à 57 ans. Parmi eux, 784
ouvriers étaient directement ou indirectement exposés aux pesticides, les
autres - non exposés professionnellement - formant le groupe témoin.
Isabelle Baldi et ses
collègues ont utilisé des outils de mesure de l'exposition aux pesticides
qu'ils avaient spécifiquement développés et des tests neuropsychologiques. Les
personnes exposées présentaient des performances altérées aux tests
neurocomportementaux par rapport aux sujets modèles. Les altérations touchaient
"les fonctions les plus fines de la
cognition, qui permettent au cerveau de gérer les liens entre les informations
entrantes et sortantes : attention, conceptualisation et attention contrôlée...
", précisent Mme Baldi et ses collègues. Les principaux
facteurs susceptibles de biaiser les résultats (âge, sexe, niveau d'études,
consommation d'alcool, dépression...) avaient été soigneusement pris en compte.
AGGRAVATION DES
TROUBLES
Quatre ans plus tard, un
nouveau bilan réalisé de manière identique a été dressé avec 630 des
participants encore disponibles. Les résultats concordaient avec les
conclusions initiales, mais laissaient apparaître que les troubles s'étaient
aggravés. "Les personnes exposées
aux pesticides présentaient des performances moindres à l'ensemble des tests,
et le risque de présenter une dégradation importante - de faire partie des 25 %
de sujets ayant montré la plus forte baisse des performances - était, là
encore, plus marqué pour les participants exposés", remarquent
les chercheurs.
Les femmes, les personnes
ayant un niveau d'études secondaires et celles n'ayant pas une consommation
excessive d'alcool, "a priori les
sujets disposant des scores les moins bas au départ de l'étude",
présentaient le risque de baisse des performances le plus élevé : c'est ce qui,
pour Isabelle Baldi, "suggère qu'une
exposition prolongée aux pesticides est capable de réduire les capacités de
réserve cognitive".
Lors des rencontres
scientifiques de l'Anses, la scientifique a fait état des résultats du dernier
bilan qui sera établi au cours de l'année 2012. En mars, 328 enquêtes avaient
pu être réalisées. Une détérioration notable a été constatée pour 50 % des
personnes suivies.
MALADIES
D'ALZHEIMER ET DE PARKINSON
Plusieurs questions
demeurent en suspens : les effets observés sont-ils liés à la dose de produits
avec lesquels les ouvriers sont en contact ? Quelles molécules sont
susceptibles d'induire ces troubles neurocomportementaux ? L'équipe bordelaise
poursuit l'analyse des dernières données collectées afin, notamment, d'évaluer
la dégradation des fonctions cognitives et l'apparition de maladies
neurodégénératives telles que la maladie d'Alzheimer ou de Parkinson.
Récemment, une étude concluait à
un amincissement de l'épaisseur du cortex cérébral chez des
jeunes enfants exposés in utero à un produit phytosanitaire. L'enquête Phytoner
apporte donc une nouvelle pièce au lourd dossier des effets néfastes liés à
l'exposition aux pesticides.
Paul Benkimoun
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