Le casseur
et le trader
Face aux casseurs des villes britanniques le premier ministre
britannique, David Cameron a évoqué le
mal profond d’une absence d’éducation centrée sur la distinction du bien et du
mal. «Certains
enfants, s’est il exclamé dans son disc ours aux Communes, grandissent en ignorant la différence entre le
bien et le mal. Cela n'a rien a voir avec la, pauvreté. C'est une question de
mode de vie. Un mode de vie qui exalte la violence, qui ne manifeste aucun
respect envers l'autorité et qui sait tout de ses droits mais rien de ses
responsabilités.»
Mais d’où vient cette indistinction sinon du modèle
économique dominant lui-même ? En quoi les motivations du trader, ou de
ses collègues et complices au sein du système financier, diffèrent elles
fondamentalement de celles du casseur ? A quel moment un jugement moral
intervient- il dans ses ordres d’achat ou de vente ? L’éthique de conviction n’existe pas sur les
marchés. L’éthique de responsabilité encore moins. Que telle notation, que
telle opération boursière, que tel plan de licenciement pour des motifs de
rentabilité, ait pour conséquence le fait de mettre des dizaines, parfois des
centaines de milliers d’êtres humains en situation de détresse sociale ou de
mettre en cause des équilibres écologiques vitaux n’a strictement pas de sens
dans cet univers. La théorie ultime du monde de la finance est même fondée sur
l’inversion du rapport à la morale. Avant même Adam Smith, l’un de ses
principaux inspirateurs, B de Mandeville dans « la fable des abeilles »
en avait énoncé la justification suprême : « les vices privés forment
la fortune publique ». C’est au nom du dogme de l’autorégulation de
marchés affranchis de toute règle non seulement politique mais aussi éthique
que l’on en arrive à ce degré de dislocation sociale et de dissolution morale.
Comme toujours les plus lucides sont ceux qui ont été au cœur du système. Les livres les plus cinglants sur la finance sont
écrits par d’anciens traders. Il faut relire « la casse du siecle »
de Michael Lewis et cette phrase terrible dans une interwiew à la Tribune le 1er
octobre 2010: « à vivre hallucines
dans un mirage les financiers ont cru à leurs propres histoires. Et nous avons
laissé carte blanche à des gens auxquels vous n’auriez même pas confié
votre chien ! » Et, ajout plus
grave encore sur l’irresponsabilité des politiques qui ont couvert par leurs
lois ce mécanisme infernal : « ils
n’ont pas violé la loi. Tout était parfaitement légal et c’est là le vrai
scandale. Nous leur avons donné la permission de faire sauter la planète... ». Voilà nous y sommes. Un rapport cité
par le Monde du 27.02.09 évoque le
risque d’ une phase de "dislocation géopolitique mondiale", pouvant
conduire à"sauve-qui-peut généralisé" dans les pays frappés par la
crise. Cette débandade se conclurait, selon ce rapport, par des logiques
d'affrontements, voire des semi-guerres civiles. "Si votre pays ou région est une zone où circulent massivement
des armes à feu (parmi les grands pays, seuls les Etats-Unis sont dans ce cas),
indique le LEAP, alors le meilleur moyen de faire face à la dislocation est de
quitter votre région, si cela est possible.".. Tel
est le vrai danger. Que signifie l’obsession permanente qui guide nos
politiques de rassurer les marchés financiers ? que faudrait il donc faire
à terme pour les rassurer ces pauvres marchés si stressés ? Ces marchés
dont le Wall Street journal reconnaissait lui-même dans un éditorial
qu’ils ne connaissaient que deux sentiments : l’euphorie ou la panique ?
Ceux dont l’ancien patron de la FED, expert dans le rôle de pyromane-pompier
évoquait l’exubérance irrationnelle ?
Comment rassurer des malades de l’économie casino , des toxicomanes du jeu
capables de gober n’importe quelle rumeur, susceptibles d être en permanence
dans ce que les psychologues nomment l’injonction contradictoire ou paradoxale :
un jour les marchés réclament de l’austérité parce qu’ils ont peur des dettes
ou des déficits trop importants. Les politiques caniches décrètent donc
l’austérité et sa conséquence inéluctable, la récession, surtout si l’on ne
veut pas toucher aux grandes fortunes. Et là, patatras, les marchés ont aussi
peur de la récession et replongent après quelques heures d’euphorie après les
annonces austères. Nous sommes plus dans un univers d’émotions mimétiques et de
croyances dogmatiques que d’anticipations rationnelles. C’est exactement ce que
Paul Krugmann, prix Nobel d’économie, avait comparé aux sacrifices humains des
mayas qui croyaient espérer apaiser la colère divine par les sacrifices humains. Ce qui est en jeu n’est rien moins que les deux valeurs cardinales sur
laquelle l’Europe s’est reconstruite: la paix et la démocratie. Ce sont ces
deux valeurs qui seront à terme menacées par la logique infernale de l’économie
financière si un sursaut civique ne s’organise pas à temps. Le casseur et
le trader sont les deux faces d’une même médaille : si l’on veut éviter
les nuisances du premier il faut arrêter de se prosterner devant le second. .
Patrick Viveret , philosophe, est
un des animateurs du « pacte civique ». Conseiller honoraire à La
Cour des Comptes, il est l’auteur du
rapport remis au gouvernement en 2002 : « Reconsidérer la
Richesse ». - On voit la même erreur
anthropologique sur l’hypercapitalisme terme de R. Reich ancien ministre du
travail de Clinton que sur le communisme.
- Sous estimation, démesure, dérèglement
pulsionnel (cf B Stiegler) sur la démesure
communiste.
- L’euphorie et la
panique, injonction paradoxale : de l’austérité et de la croissance -
Retour
sur la réalité de la richesse (ce que Keynes avait compris : la richesse
c’est la vie ; ex économie de la santé ; monnaie représentation
symbolique)
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