Comment le pétrole de la Guyane a eu raison de la
ministre de l'écologie
L'"affaire" de la suspension
des forages de Shell au large de la Guyane aura duré une semaine. Et aura fait
une victime : Nicole Bricq. A la faveur du premier remaniement du gouvernement
de Jean-Marc Ayrault, jeudi 21 juin, la ministre de l'écologie, du
développement durable et de l'énergie est mutée au ministère du commerce
extérieur, une dépendance de Bercy.
Impossible de ne pas faire
le lien entre ce désaveu et la décision surprise de Mme Bricq, jeudi
14 juin, de retarder l'exploration du bassin pétrolier de Zaedyus, à
150 kilomètres des côtes du département d'outre-mer (DOM). Le ministère
avait alors stoppé à la signature deux arrêtés préfectoraux nécessaires au
lancement des travaux, mettant en avant "une
nécessaire remise à plat de l'instruction des demandes de permis afin de ne
plus sacrifier l'environnement".
Nicole Bricq souhaitait
donc refondre le Code minier français qui jusqu'à maintenant ne prend guère en
compte l'impact sur la nature des permis miniers accordés par l'administration.
LE BATEAU DE
FORAGE SUR ZONE
Las, on sait que la page
est désormais tournée. "Les arrêtés
préfectoraux ont été signés", annonce au Monde le sénateur guyanais Jean-Etienne
Antoinette (apparenté socialiste). Shell devrait donc lancer les forages en
début de semaine prochaine. La compagnie avait pris garde de ne pas stopper ses
opérations préparatoires. Le bateau de forage loué - on parle d'un coût de 1
million de dollars par jour (790 000 euros) - par le pétrolier à la société
suédoise Stena est arrivé mardi 19 juin dans la zone d'exploration. Un navire
de ravitaillement a accosté le même jour au port de Dégrad-des-Cannes, et
mercredi, des premières équipes ont été acheminées par hélicoptère vers le
bateau-plateforme.
Comment expliquer cette
volte-face gouvernementale ? Par une double mobilisation. Celle des élus de
Guyane attachés à la poursuite des forages et à leurs retombées fiscales et
économiques. Victorin Lurel, le ministre des outre-mers, fut leur relais
parisien. Mais c'est surtout la voix des groupes pétroliers et des industriels
qui semble avoir pesé. La colère de Shell a été suivie de celle de Total, de
l'Union française des industries pétrolières (UFIP) et de Laurence Parisot,
présidente du Medef, qui en ont appelé directement à Matignon, voire à la
présidence de la République. "Au-delà
d'une querelle avec un ministère en particulier, nous avons expliqué deux ou
trois petites choses au gouvernement, précise Jean-Louis
Schilansky, président de l'UFIP. En
l'occurrence, le respect de la parole de l'Etat français. Shell disposait d'un
permis en bonne et due forme et avait déjà engagé 250 millions de dollars dans
cette opération... La décision du ministère de l'écologie était un signal
négatif donné aux investisseurs étrangers. Sans parler de l'absence de toute
concertation..."
Erreur de jeunesse d'une
ministre tout juste nommée ? Il est clair en tout cas que Nicole Bricq a "foncé" dans cette opération,
oubliant, par exemple, de prévenir Shell de sa décision et forçant visiblement
la main, en tout cas en partie, à son collègue Arnaud Montebourg, ministre du
redressement productif.
ENJEUX ÉCONOMIQUES
L'ex-ministre de
l'écologie avait-elle aussi mesuré les enjeux économiques du dossier ? Selon
les chiffres de Shell, l'exploitation du bassin pétrolier guyanais, à
6 000 mètres de profondeur, pourrait produire 300 millions de barils.
De quoi diminuer en partie la facture énergétique française en diminuant les
importations d'or noir. Le coût du projet, de l'exploration à l'exploitation, a
été évalué entre 5 et 10 milliards de dollars. Et en cas d'exploitation, si les
premiers sondages révèlent un gisement de bonne qualité, les retombées pour le
DOM ne sont guère négligeables : plus de 1 000 emplois et une taxe de 12 % sur
la production répartie à part égale entre la région et l'Etat, votée fin 2011
par l'Assemblée nationale.
"Le départ de
Nicole Bricq du ministère de l'écologie est une surprise pour tout le monde, y
compris sans doute pour son cabinet", a estimé, jeudi 21 juin, France Nature Environnement. Au sein d'un
large collectif d'associations, l'ONG avait indiqué le même jour que "Mme Bricq avait perdu son premier
arbitrage puisque les forages guyanais allaient reprendre". Au
Parti socialiste, certains expliquaient que "le
dossier Shell a eu la peau de Nicole Bricq".
"Le gouvernement
est passé à côté d'une décision courageuse, surtout au moment du sommet Rio +
20", déplore Christian
Roudgé, le coordinateur de la fédération Guyane Nature Environnement. "Nous avions identifié plusieurs faiblesses
dans le dossier, dont l'absence d'étude d'impact, la superposition de
l'exploration avec la période de plus grande présence des cétacés en mer, et
l'utilisation d'un procédé de forage polluant - des boues avec des huiles de
synthèse - interdit par le Code de l'environnement",
résume-t-il, se réservant la possibilité d'attaquer les arrêtés préfectoraux au
tribunal administratif.
Le dossier guyanais échoit
désormais à Delphine Batho qui
succède à Mme Bricq. Une seule question désormais : que va devenir
l'indispensable réforme du Code minier ? Ou plus encore, quelle politique
environnementale le gouvernement veut-il porter ? Un débat qui ne manquera pas
d'avoir lieu, au moins, avec son allié politique d'Europe-Ecologie-Les Verts.
Marie-Béatrice Baudet et Laurent Marot (à Cayenne)
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