Rio + 20 : remettre la biodiversité au centre du
nouveau contrat social
Cette année, le philosophe
Jean-Jacques Rousseau, avec le tricentenaire de sa naissance, ne s'imaginait
sans doute pas tomber de façon aussi opportune sur le Sommet de la Terre de
l'ONU, à Rio, qui célèbre les vingt ans de l'inscription dans l'agenda
politique international de la protection de la biodiversité - par la Convention
sur la diversité biologique (CDB) - et du développement durable - par les
Agendas 21.
Si la notion de
"développement durable" est mise à toutes les sauces, seuls 38 % des
Européens comprennent ce que l'on entend par "biodiversité" selon
l'Eurobaromètre 2010. Pourtant, une réduction drastique de la biodiversité est
observée - en France, dans les vingt dernières années, les effectifs des
oiseaux communs ont ainsi diminué de 20 %. Plus inquiétant encore, le
fonctionnement de la biodiversité, sa dynamique et ses capacités de résilience,
sont perturbés par l'acidification des océans, les pollutions, la surpêche, ou
encore le réchauffement climatique : en mer, les poissons prédateurs
disparaissent, direction nos assiettes.
En milieu terrestre, les
espèces ne se déplacent pas vers le nord à la même vitesse et consommateurs et
proies ne se retrouvent plus dans les mêmes milieux, les uns disparaissent, les
autres pullulent ; le sol martyrisé par l'agriculture perd ses capacités de
dépollution, de lutte contre l'érosion ou de recyclage... autant d'exemples
encore peu visibles mais qui rapprochent la biodiversité de points de non-retour
prédits par nombre de modèles.
Première cause de tous ces
phénomènes ? L'homme. Première espèce en danger ? L'homme, et plus certainement
encore sa qualité de vie. En effet, si ces constats sont alarmants, c'est
qu'ils touchent à nos conditions de vie et de développement, ils concernent la
pérennité de nos libertés individuelles et de notre contrat social.
Quelques exemples parlants
: l'érosion de la biodiversité du sol diminue ses capacités de dépollution et
donc la qualité des eaux souterraines, qui doivent alors être dépolluées par la
construction d'usines de traitement, qui engendrent des coûts économiques et
des inégalités probables dans l'accès à la ressource en eau. La diminution des
insectes pollinisateurs (domestiques et sauvages) menace la diversité de notre
alimentation (notamment les fruits) : dans certaines régions du monde, les
arbres fruitiers sont déjà pollinisés à la main suite à la diminution de ces
insectes.
La biodiversité est un
socle sur lequel nous avons construit un niveau de bien-être et de paix sociale
acceptable. Ne pas en avoir conscience met celui-ci en péril.
Mais comment remettre la
biodiversité au coeur d'un nouveau contrat social ? D'abord en réapprenant à
regarder la nature qui nous entoure. Des initiatives foisonnent déjà, menées
par de nombreux acteurs associatifs d'éducation et de protection de la nature.
En s'appuyant sur la collecte de données naturalistes par des volontaires, les
sciences participatives donnent à ces volontaires un cadre pour apprendre à
observer... Il est d'ailleurs de la responsabilité de notre société de
populariser ces démarches, pour les enfants (à quand des observatoires de la
biodiversité dans les programmes scolaires ?), mais aussi pour les adultes. En
effet, il est grand temps de redonner à chacun d'entre nous la liberté de se
sentir partie intégrante de celle-ci.
Les sociétés humaines se
sont de tout temps construites en contrôlant et asservissant leur
environnement, ce qui a conduit à la mise en opposition actuelle de la nature
et du développement. Pourtant, n'oublions pas que tous les progrès humains
utilisent la biodiversité (actuelle ou passée) comme socle : pour se nourrir,
se loger, vivre dans un environnement de bonne qualité (eau, air, risques
d'érosion), se détendre, prendre des loisirs, se ressourcer. Tous ces services
fournis par la biodiversité dépendent de la qualité et du bon fonctionnement de
celle-ci, ils ne seront jamais transférables à des avancées technologiques,
aussi innovantes soient-elles.
Or, tous ces services sont
actuellement en danger. Cependant, loin de centrer la protection de la
biodiversité sur la seule utilisation de celle-ci, il est urgent de reprendre
conscience de la force des interactions que nous entretenons quotidiennement
avec la nature, et de nous remettre dans une position de respect vis-à-vis
d'elle.
C'est donc à un changement
complet de paradigme social que nous appelons, fondé sur un renforcement des
capacités des citoyens et des acteurs de la société à se saisir de cette
question, afin qu'ils puissent débattre et confronter dans une meilleure
connaissance de l'importance des relations entre le fonctionnement de la
société et la biodiversité. La réconciliation des citoyens avec la biodiversité
que nous appelons n'enlève rien à la spécificité de l'homme mais renvoie à sa
responsabilité vis-à-vis du monde dont il fait partie. Exceptionnalité et
souveraineté de l'homme riment avec responsabilité de l'homme.
Nous postulons que cette
réconciliation se fasse à toutes les échelles, dans un processus ascendant.
D'abord par une reconnection des concitoyens avec cette nature avec laquelle
seule une minorité d'entre nous continue à avoir des contacts et des
expériences. Cette réconciliation de chaque individu avec la nature orientera
alors les rapports de forces sur les questions de gestion des ressources
naturelles et d'accès aux services écosystémiques, en faveur d'un contrat
social moins inégalitaire.
Cynthia Fleury ( photo)et Anne-Caroline Prévot-Julliard,
chercheuses au Muséum national d'histoire naturelle
Cynthia Fleury et
Anne-Caroline Prévot-Julliard, travaillent au laboratoire CERSP
(Conservation des espèces, restauration et suivi des populations). Elles sont
auteures de L'exigence de la
réconciliation (Biodiversité et société, Fayard ; Museum national
d'histoire naturelle).
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