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dimanche 24 juin 2012

Jean Jacques Rousseau, penseur d' aujourd'hui...


Penseur du changement radical
Pour Rousseau, un autre monde est possible. Le citoyen de Genève peut aussi constituer une source utile pour les militants révolutionnaires, estime Luc Vincenti, professeur de philosophie.
En 1978, pour le bicentenaire de la mort de Jean-Jacques Rousseau, les publications – y compris à gauche – avaient été nombreuses. Les commémorations des 300 ans de sa naissance sont en revanche plus discrètes. Le citoyen de Genève reste-t-il une référence dans le champ de pensée radicale? Peut-il encore être invoqué pour tracer les lignes d’une émancipation humaine réinventée? Nous avons posé la question à Luc Vincenti, professeur de philosophie à l’université de Montpellier III.
Rousseau a beaucoup été invoqué durant la Révolution française. Il semble davantage absent dans la (re)construction d’une pensée radicale.
Luc Vincenti: ce n’est pas tout à fait exact. Il y a par exemple des penseurs comme Fredric Jameson, une figure importante de la gauche radicale et un grand spécialiste de la modernité qui se réfère beaucoup à Rousseau. Ce dernier peut utilement être invoqué lorsqu’il s’agit de théoriser l’idée de révolution ou de changement radical. Pour reprendre le slogan «qu’un autre monde est possible», cette idée doit beaucoup à Rousseau, qui n’a de cesse de penser une autre société, que ce soit dans le Contrat social ou dans son Discours sur l’inégalité entre les hommes.
Un participant au Forum social mondial pourrait donc puiser dans Rousseau?
Il pourrait s’inspirer de la notion de hasard, très présente dans l’œuvre de Rousseau. C’est l’idée que les  bouleversements surviennent de manière impromptue. Pour l’institution des sociétés politiques, la bonne idée survenue au bon moment peut faire basculer le cours des choses.
En même temps, Rousseau admettait que la révolution l’effrayait.
Les moments où Rousseau développe ces craintes se trouvent surtout dans des textes  sur la paix. Il dénonce alors le politique comme une accumulation de la puissance. Et contre cela, il ne voit qu’une révolution totale, qui lui fait peur. Mais Rousseau pense néanmoins des réformes profondes dans ses œuvres politiques.
On trouve des auteurs – notamment au sein d’une droite réactionnaire – qui font remonter le totalitarisme à Rousseau.
C’est une lecture insensée de Rousseau. Il est l’un des premiers à définir l’humanité par la liberté, et non plus seulement par la raison.
La question de la liberté revient d’actualité dans la mesure où, avec des législations comme le Patriot Act aux Etats-Unis ou la vidéosurveillance, on voit que la population est prête à abdiquer des droits fondamentaux au nom d’une prétendue sécurité.
Si un Etat développe des pratiques et des législations sécuritaires en mêlant la guerre au politique, puisque tel est le cas du Patriot Act, c’est en fait qu’il doit lutter contre cet élan de liberté. La liberté est toujours en train de se frayer un autre chemin pour resurgir. Essence première de la nature humaine, elle est, comme la volonté générale, «indestructible» (Livre IV du Contrat social).
Cela fait-il de Rousseau un penseur optimiste ou déterministe?
On qualifie souvent Rousseau de pessimiste. Il constate la dégénérescence des sociétés humaines. De fait, la liberté peut se tromper. Mais si la liberté est là dès le départ, cela veut dire que les conséquences qui en découlent, même nécessairement, peuvent toujours être reprises. L’optimisme que permet Rousseau se situe dans cette possibilité fondamentale.
On n’est pas loin de la métaphore shakespearienne, chère à Marx, de la taupe qui surgit inopinément là où on ne l’attendait pas après avoir creusé patiemment des galeries, et miné le monde.
Chez Marx, le poids de la nécessité joue un rôle plus déterminant. La possibilité d’infléchir ou de renverser le cours des sociétés humaines est inscrite dans la nécessité même de leur devenir. C’est la fameuse contradiction dialectique. Par exemple, le capitaliste s’enrichit en appauvrissant le monde.
C’est en soulignant ces contradictions qu’il est possible d’inverser le cours des choses, en s’organisant, en militant. Chez Rousseau il y aussi de la dialectique, mais elle apparaît surtout à certains moments de l’histoire, lorsque la liberté se manifeste et inaugure une nouvelle époque. La Révolution française par exemple.
Rousseau contribue à définir la notion de souveraineté. A l’heure où l’économique est mondialisé et le politique se déploie d’abord au niveau de la nation, y aurait-il des pistes à explorer?
Oui, dans la mesure où pour Rousseau le politique est bien issu de l’économique: le contrat social met fin à l’état de guerre provoqué par l’accumulation de la propriété. Parce qu’il vient résoudre les conflits provoqués par l’économique, le politique est placé au-dessus. Rousseau préserve ainsi la souveraineté politique.
Mais le politique provoque de nouveaux conflits. Rousseau était conscient qu’il sépare les hommes en Etats. Il exclut. C’est alors nécessaire d’aller au-delà des oppositions politiques et de viser l’universel. Dans l’ordre, l’économique est soumis au politique qui est lui-même soumis à la raison, la morale ou la sagesse.
La défense de la souveraineté ne conduit donc pas nécessairement au nationalisme. Contre des lectures de droite qui mettent l’accent sur la souveraineté au niveau de la nation, une pensée progressiste vise une coexistence universelle.
Dans le Contrat social, Rousseau pose la question de l’information, condition nécessaire à la démocratie. Est-il un précurseur de la critique des médias?
Rousseau a conscience que le peuple doit être informé. Mais il sait très bien aussi que nous ne fonctionnons pas forcément à partir de la raison. L’information n’apporte pas seulement la vérité, elle forme aussi l’opinion que le politique sait utiliser. L’apport de Rousseau est aussi de relever l’irruption de la passion dans le champ public. Il pense déjà les multiples faces de l’information.
Le Rousseau naturaliste est parfois cité par des penseurs de l’écologie politique, y compris par des tenants de l’écologie profonde, les antihumanistes.
A tort, à mon avis, pour ce qui est de ces derniers. La pensée de Rousseau est en rupture avec le passé en ce qu’il inscrit l’homme dans la nature. Ce qui est très moderne. Il est partie intégrante de ce tout. La pensée de Rousseau peut être utile lorsqu’on aborde des thèmes comme la décroissance. On y trouve à la fois cette inscription de l’homme dans la nature, dans une perspective égalitaire, et un rappel des libertés et du respect de l’humanité.
Philippe Bach

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