Penser Fukushima avec Guattari
Intériorités
extranéisées ; extériorités rebelles aux réductions signifiantes
univoques. Peuple des surfaces engendrant de nouvelles profondeurs, de sorte
que le dedans et le dehors n’entretiennent plus les rapports d’opposition
exclusive auxquels les occidentaux sont accoutumés et que les matières
signalétiques propres à la texture de la subjectivité se trouvent
inextricablement liées aux composantes énergéticospatio-temporelles du tissu
urbain (Tokyo
l’orgueilleuse [1]).
Penser malgré
Fukushima
La catastrophe du 11 Mars
au Japon résonne aujourd’hui comme l’exemple même de la folie technocratique,
rendant réel un accident qu’on nous disait toujours impossible, ou réservé à
des pays utilisant des technologies vétustes. Au delà de toutes les précautions
qu’on voudrait instaurer, au delà des exhortations à sortir définitivement de
cette technique incontrôlable, les choix technologiques restent, la voie du
nucléaire semble s’imposer d’elle-même à ceux qui nous dirigent. Fukushima nous
crie son danger au visage, mais aujourd’hui les dirigeants européens, ne
pouvant plus invoquer l’argument de la sécurité, se rabattent sur l’argument de
son impossible remplacement. « Trop cher » d’en sortir dira le
président français. Le nucléaire comme industrie n’obéit pas à une logique
rationnelle, mais bien à une logique machinique au sens de Guattari. Ce type de
fonctionnement s’accommode bien de notre effarement, de tous les « nous le
savions » malsains. Nous voudrions revenir sur l’événement en tissant
quelques traits de singularité de ce qui se passe aujourd’hui au Japon, tout en
tentant de relire l’événement écologique Fukushima à travers les outils de
Félix Guattari.
Objet Multiple
Le 11 mars est une
catastrophe multiple à bien des égards. Il s’agit d’un triple événement,
tremblement de terre, tsunami meurtrier, accident nucléaire. Cet accident
lui-même doit se lire de manière plurielle : accident technique, mais
aussi politique, humain, sanitaire, mental, etc.
Les bilans
prolifèrent : telle quantité de Césium a été relâchée dans l’atmosphère,
on peut mesurer la radioactivité résiduelle, dresser des cartographies de la
pollution, tenter de montrer à quels endroits la contamination est maximale,
pour qui cela sera le plus dangereux. Les rapports s’accumulent sur les
mensonges de l’appareil étatico-industriel, sur la gestion partielle et
partiale de la catastrophe. Les dégâts du tsunami venant s’additionner à ceux
de l’accident de la centrale. Le bilan humain, politique et sans doute bientôt
médical ne cesse de s’alourdir.
Les questions et
interpellations alors prolifèrent. Pourquoi avoir construit des centrales
nucléaires en bord de mer dans le pays qui compte le plus de tremblements de
terre par an ? Où une catastrophe de ce type est prévue par tous les
japonais, en attente du grand tremblement de terre ? La littérature japonais
fait état de cet attente du « big one », du tremblement meurtrier qui
détruira Tokyo, on retrouvera cette crainte à l’œuvre dans des romans, mangas
ou dessins animés. Il y a un an encore était diffusé sur la chaîne Fuji TV un
anime intitulé « Tokyo Magnitude 8 », racontant les péripéties d’un
jeune garçon et de sa grande sœur lors d’un tremblement de terre destructeur
touchant Tokyo de plein fouet.
Pour tout cela, on
trouvera sûrement des coupables. L’état japonais fera certainement le tri entre
ceux qui ont réagi correctement, honorant ce stoïcisme dont ils sont si fiers,
et punissant ceux qui n’ont pas réagi comme ils le devaient. On prendra
certainement des mesures visant à rassurer, qui hausseront encore le niveau de
sécurité des centrales. On nous dira que cette fois-ci, pour de bon, les
centrales sont sûres.
La tentation est grande de
dénoncer à la fois les choix techniques qui ont été posés et la gestion de
l’après Fukushima. Il y a un « on le savait que cela pouvait
arriver » qui insiste en nous, malsain, nous donnant un sentiment de
vérité enfin advenue, la preuve que ce genre d’accidents n’était pas réservé
aux « autres », comme ce fut le cas lors de Tchernobyl. Cette fois,
Fukushima arrive dans pays qui ne fait pas partie d’un autre bloc, d’un autre
tiers du monde. Il s’agit d’un pays qui est en « avance » sur cette
ligne temporelle d’horizon factice qu’on nous vend sans cesse : celle du
progrès technologique.
Japon et Guattari
Le Japon occupe une place
particulière dans le travail de Guattari. Cité à de nombreuses reprises à côté
du Brésil ou de l’Italie comme exemple d’un pays où des formes de résistances
et d’existences s’organisent, il est également un pays que Guattari a visité à
plusieurs reprises. Il y a été reçu, aussi bien en personne qu’en tant qu’auteur,
ses livres se vendant assez bien, « Les trois écologies » vient d’y
être publié à nouveau en format de poche. On sait que Guattari fit également
venir à La Borde le danseur Min Tanaka, mais a également tenté de faire venir
des artistes japonais à Paris a plusieurs reprises [2].
On s’en doute, le Japon
qui intéresse Guattari n’est pas un pays fixé dans une identité forte, qu’il
s’agirait de penser sur le mode de l’essence japonaise ou de la fixité. Il
s’agit d’un Japon en pleine transformation, bouillonnant à la fois d’une
révolution économique majeure, mais également riche d’un passé, d’une tradition
de maintien de valeurs qui diffèrent de l’occident. Il ne s’agit donc pas d’une
fascination de récit de voyages pour un pays ayant conservé des richesses
anciennes, mais un pays où on peut sentir agir un clash entre économie
capitaliste, transfusion occidentale d’une nouvelle économie, et des manières
d’êtres traditionnelles, des modes de subjectivations très différents, mais
eux-mêmes en prise avec ce nouveau capitalisme mondial. On pourrait dire que ce
Capitalisme Mondial Intégré (CMI) s’y intègre justement différemment [3], faisant sentir à la fois que le CMI fait des
ravages sur la subjectivités, et que les sujets sont toujours bien en prises
avec leur production, qu’il n’y a de sujet que comme un à-côté des agencements
qui les produisent.
En plus de se demander ce
que Guattari aime dans le Japon, il est sans doute aussi important de poser
la question de ce que Guattari fait de ce Japon qu’il rapporte avec lui ?
Si ce qui l’attire, c’est la créativité qu’il repère, la défonce
machinique [4] élevée au niveau de la collectivité, il y
repère aussi des archaïsmes, un rôle pour la féminité qu’il n’hésite pas à
dénoncer, etc. Mais avec le Japon, Guattari fait exister de tout autres modes
de production de la subjectivité, modes branchés autrement malgré un ancrage
similaire du capitalisme.
Il ramènera des danseurs,
des architectes, des défoncés, des auteurs, des sujets qui ont su se produire
sur un mode mutant autant par rapport à la subjectivité japonaise que la
subjectivité française [5]. Ce qu’il rapporte, c’est une différence par
rapport à la France, mais une différence aussi dans le Japon de son époque.
Jamais Guattari ne s’arrête sur des traits « typiquement Japonais »,
sauf quand il s’agit de montrer des grands mouvements de déteritorialisation, ou
de créer une différence par rapport à nos modes à nous.
Son insistance sur une
autre articulation entre archaïsme et modernité peut à ce titre nous
intéresser. C’est un cliché du premier guide touristique venu de qualifier la
Japon de « pays entre modernité et traditions ». Mais lorsque
Guattari s’arrête sur les accroches toujours présentes de l’archaïsme Japonais,
ce n’est pas pour célébrer, critiquer ou s’étonner. Mais pour montrer aussi que
quelque chose peut résister. Faire exister un « autre » dans le
capitalisme, un autre mode d’agencement entre des traits hérité de la
tradition, la modernité de machines, les ravages de l’économie. Montrer, si
c’est encore nécessaire, que des traits peuvent encore résister autrement à ce
grand laminage de la subjectivité, résister collectivement, autrement, avec
d’autres défauts, à d’autres prix. Ainsi, le Japon n’est pas un contenant
produisant des sujets japonais, mais un milieu dans lesquels des mutations dans
les modes de production des subjectivités sont en cours, produisant des espaces
nouveaux de liberté autant que des nouvelles aliénations.
Japon et Machine
Le Japon d’aujourd’hui
n’est plus tout à fait celui de Guattari. Certaines des choses qu’il dénonçait
sont restées d’actualité, comme le difficile rôle des femmes, le machisme
ambiant, bien que la situation soit toujours en voie d’amélioration, travail en
cours. La bulle économique qui permettait au Japon des années 80 de se tenir
royalement en tête de l’économie mondiale n’est plus. Les emplois à vie ont cédé
petit à petit la place à un précariat de plus en plus important :
aujourd’hui près d’un tiers des jeunes vivent d’emplois précaires et sont
désignés par le terme « freeters » concaténation de
« free » et « arbeiters », les travailleurs libres. Les
partis verts au Japon n’ont presque pas de succès, et les organisations du type
Greenpeace comptent très peu d’adhérents, bien moins qu’en Europe ou aux
Etats-Unis. La rigidité de l’éducation, les messages incessants de bonne
conduite sont accompagnés par de plus en plus de liberté, conquises par la
jeunesse prônant d’autres espaces de désirs.
Des phénomènes subjectifs
étranges y sont apparus, comme ces célèbres Hikikomori, vivants reclus, dans
leur chambre, refusant tout contact extérieur, désertant les exigences d’une
société compétitive, ligne de fuite qui se referme sur elle-même, fuite sans
issue en dehors de l’ordinateur connecté. Moins violentes, d’autres lignes sont
apparues, comme celles des Otakus, ces jeunes gens imprégnés de culture mangas
et de jeux vidéos au point de devenir incapable de sortir de leur monde
imaginaire. Là aussi il y a le pire comme le meilleur : imaginaire débridé
et fuites créatives extraordinaires y côtoient l’isolement autodestructeur.
C’est dans cette société
entretenant d’autres rapports entre extérieur et intérieur qu’arrive Fukushima.
On a beaucoup parlé du Japon comme le pays de la retenue, de l’implicite, pays
où l’opinion ne doit pas se manifester en public, et est toujours allusive.
Et pourtant, ce Japon là
est bien en train de changer. Si tout cela reste en grande partie, molairement,
vrai, d’autres formes réapparaissent aujourd’hui. Après Fukushima, d’autres
lignes se tracent, jusque dans les médias de masse. Ainsi l’édition en anglais
du Asahi Shimbun, un des plus grands journaux japonais, s’est permis une série
en huit épisodes sur le devenir d’un groupe d’habitants de Fukushima ayant été
prévenus par des travailleurs en combinaison blanche, alors que ceux-ci avaient
reçu pour consigne de ne pas alarmer les habitants [6]. La désobéissance civile trouve sa place
aujourd’hui dans les grands médias japonais, même si cela reste, une fois de
plus, allusif. Ces modifications subjectives en cours, ces reprises de lignes
qui préexistaient mais qu’on peut requalifier aujourd’hui, elles sont là malgré
les discours rassurants sur le nucléaire, malgré tout ceux qui voudraient
qu’une fois de plus, il n’y ait rien à penser dans Fukushima, que ce ne soit
qu’un événement technique, certes important, mais qui ne concernerait qu’un
pauvre rayon de 30km autour de la centrale. Avec Guattari, on pourrait dire que
Fukushima machine la situation japonaise actuelle pour grand nombre de
japonais, mais aussi pour certains groupes concrets, plus facile à discerner,
en dont on peut parler sans rester à trop de généralité, sans concept massifs.
Le concept générique de
Machine renvoie chez Guattari à un agencement de processus hétérogènes qui
« machinent le monde ». Il s’agit d’un processus en acte, résultat
relationnel de ses diverses composantes historiques, sociales, écologiques,
techniques, etc. La force de l’opération est de cartographier la manière dont
les composantes hétérogènes fonctionnent ensemble, sans mise en hiérarchie,
sans causalité supérieure, chaque composante gardant son existence propre, mais
étant transformée par le type de fonctionnement dans lequel elle est prise.
Machiner, c’est produire, avoir des effets à la fois en dehors de l’agencement,
mais aussi sur ses composantes. Ce qui est important, c’est comment ça
fonctionne, ce que ça produit, permet, la manière dont la machine s’affirme, sa
« consistance énonciative spécifique [7] ».
Fukushima existe ainsi sur
plusieurs plans, reconfigure des ensembles de la société japonaise, retrace des
lignes nouvelles, fait prendre de nouvelles directions à des groupes existants,
et en fait émerger d’autres. Les couplages sont multiples et machiniques, ils
transforment à chaque fois des territoires existentiels pour recréer des
territoires nouveaux, avec leur propres temporalités. Il y a le territoire
naturel du Japon, celui qu’on peut cartographier comme pollué, l’espace
requadrillé par le césium, transformation de l’espace habitable, sacré, vécu,
en un espace de pollution invisible, sujet des omissions et mensonges d’état.
Sa temporalité devient celle de la dépollution : marqué pour des dizaines
d’années du sceau de l’impénétrabilité.
Mais d’autres territoires
et d’autres couplages s’organisent. Il y a celui du quotidien, où loin des
groupes formés capables de s’auto-poser, on retrouve des citoyens individuels,
préoccupés de leur avenir, de cette même pollution invisible, connectés aux
compteurs geiger. Couplage de machines : les compteurs geiger se sont très
rapidement bien vendus au japon. Les citoyens se sont organisés en groupe de
mesure de la radioactivité, pour pallier l’absence d’information, mais se sont
alors mis à réexplorer leur quotidien. Vaste territoire mental collectif en
prise avec celui des normes de comportement japonaises : ne pas réagir de
manière brusque, ne pas paniquer, ne pas faire déshonneur, mais tout autant en
prise avec les normes occidentales : faire vérité, exiger, revendiquer sur
le mode de la manifestation.
Ainsi, le groupe des
« Shiroto no ran », la fronde des amateurs, aujourd’hui sur le devant
de la scène. Le groupe militant existe depuis quelques années, et a petit à
petit pris possession de l’espace public, ouvrant cafés et magasins de seconde
main, objets de récupération contre le consumérisme de masse. Ces activistes
font partie, comme les syndicats défendant les droits des freeters, de cette
génération de japonais organisés, rendus capables par leurs expériences
d’agencements avec une consistance énonciative spécifique. Ce n’est pas parce
qu’ils auraient « prévu » la catastrophe, où qu’ils avaient déjà
tenté de penser que faire dans un monde avec moins de ressource (pétrole ou
uranium) qu’ils sont capables de penser l’action contre le nucléaire. Mais ces
groupes sujets rendus capables de penser par le collectif se sont vu machinés
par Fukushima, bien malgré eux, organisant manifestations, sittings, groupes de
paroles, reprenant à leur compte la puissance de réinvention dont ils ont
besoin aujourd’hui. Dans ces nouvelles manifestations nous voyons des conjonctions,
des transversalités d’art, de remise en question de la subjectivité, de la
nature, de la politique, et le tout autour de gestuelles, de chorégraphies, de
musique, de manières de se poser par rapport aux autres, de manière de jouer un
rôle, bref, des creusets nouveaux de subjectivation. Shiroto no ran : la
création de processus concrets d’expérimentation urbaine, humaine, politique.
Cette conjonction de révolutions n’est pas le fruit du hasard, mais n’est pas
non plus évidente. Ce n’est pas parce qu’on décide de vivre autrement qu’on
doit s’occuper du nucléaire. Une autre subjectivité japonaise est peut-être en
train de voir le jour. Non pas une subjectivité pour tous les japonais et
japonaises, mais une subjectivité tout autant japonaise que les autres, et
pourtant mutante, sur une ligne qui lui est propre, qu’elle forme en existant.
C’est un fil ténu d’existence.
Vivre autrement
Au delà de l’indignation,
ces groupes-sujets se sont remis à penser autrement, bousculant les catégories
prédéfinies, et tentant des solutions concrètes, des expérimentations qui ne
demandent qu’à proliférer. C’est la relance de la machine-pensée qu’il s’agit
alors de mettre en avant, celle qui permet de sortir des pièges que notre monde
fabrique. Par exemple le piège de « c’est le nucléaire ou on brûlera des
énergies fossiles, augmentant le réchauffement du climat, on n’a pas le choix
pour couvrir les besoins en énergie ». Tenter de se réapproprier sa vie,
le pouvoir sur sa vie. Travailler ensemble. Il ne s’agit pas spécialement d’une
mutation sociale globale, mais de mutations concrètes, dans des groupes réels.
Ce qui importe dans ces différences par rapport aux clichés véhiculés sur le
Japon, ce sont les lignes de fuites que cela crée, les nouvelles positions qui
sont établies, les postures nouvelles. Comme toutes lignes, elles se font en
rapport avec le milieu, en commerce avec l’existant, témoignant à la fois
« du Japon » et des virtualités à mettre en œuvre.
Le point de l’objet
écosophique est qu’il est relationnel. Il ne tire sa signification pas
seulement de lui-même, mais des relations qu’il tisse avec son milieu. L’objet
écosophique se trouve pris dans des rapports multiples et hétérogènes, qui
déterminent des significations pour l’objet dans d’autres lieux. Pensée de l’assemblage :
quel assemblage mortifère rend possible une catastrophe telle que
Fukushima ? Quel assemblage peut anesthésier la pensée au point de
continuer aujourd’hui dans la course folle de l’atome ? L’agencement rend
les travailleurs du nucléaires incapables de penser le risque cumulé
tremblement de terre – tsunami. Là aussi, il ne s’agit pas de penser que nous
ne savons pas, qu’ils ne savaient pas, mais que c’est l’agencement qui rend
incapable de penser le possible.
La question du nucléaire
au Japon devient une vraie question écologique, maintenant qu’elle se connecte
avec des luttes différentes, qu’elle prolifère en concernant non plus seulement
des techniciens, mais également ceux qui tentent de rendre possible un autre
mode de vie au Japon. Certes, il s’agit aussi d’honorer ceux qui se sont battus
depuis des décennies contre cette technologie, ceux qui ont acquis un savoir
sur le nucléaire et son industrie et dont tout le monde peut profiter
aujourd’hui. La vitesse avec laquelle s’est propagé le savoir sur ce qu’est un
Becquerel, sur comment utiliser un compteur Geiger pour trouver des poches de
radioactivité et pallier aux mensonges d’état, doit beaucoup aux activistes
anti-nucléaires agissant de longue date. Aujourd’hui la question se connecte,
de la quotidienneté du supermarché où les clients refusent d’acheter des
produits en provenance de la région de Fukushima, à celle des activistes
freeters cherchant un autre mode économique, en passant par les cultivateurs de
thé ne sachant que faire de leur production irradiée au-dessus du seuil légal.
Le quotidien est machiné par cet être nouveau, le problème nucléaire, jusqu’ici
sans grande prise, mais qui se retrouve au centre de l’attention. Aujourd’hui
les enseignes lumineuses d’Akihabara sont en berne. Dans les transports
publics, à côté des annonces demandant aux jeunes femmes de ne pas se maquiller
pour ne pas déranger leurs voisins ou des appels à ne pas téléphoner dans les
wagons, des affiches exhortent les citoyens à diminuer leur consommation
électrique. L’heure est à la vague du « setsuden », l’économie
d’énergie. Certaines firmes encouragent leurs employés à réduire leurs horaires
de travail afin de ne pas consommer d’électricité pendant les heures de pic de
production. Le site internet de TEPCO propose de visionner en ligne la
disponibilité de l’électricité [8] de la nation.
L’électricité change de
statut. D’une ressource invisible, elle se produit comme une denrée rare et
problématique. Elle ne change pas de statut toute seule, c’est l’agencement de
sa production et son lien avec le reste du monde qui la produisaient comme non
problématique et qui aujourd’hui la rendent visible, politique.
Déterritorialiser l’événement Fukushima, ce n’est pas le penser en dehors du
Japon, c’est penser à la fois la catastrophe comme localisée, mais aussi comme
laboratoire des catastrophes prévisible en dehors du Japon. L’énergie de ceux
qui pense aujourd’hui pourrait bien se propager, à l’aide des nouveaux médias,
tweeters, blogs, facebook, dans une reprise post-medias que Guattari appelait
de ces vœux. L’espoir a la chance d’être en partie mondialisé : indignés
d’italie, occupy wall street, printemps arabes, etc. Le monde sent bon
l’expérimentation, le reclaim.
Nicolas Prignot
[1] Félix Guattari
« Tokyo l’orgueilleuse », Multitudes 3/2003 (no 13), p. 55-58.
[2] Sur les voyages et la
réception de Guattari au Japon on lira Gary Genosko, « Félix
Guattari : An Aberrant Introduction », Continuum, 2002, et plus
particulièrement les pages 122 à 154.
[3] Félix Guattari,
« Les trois écologies », Galilée, 1989, p63
[4] Voir le texte
« Les défoncés machiniques », dans Félix Guattari, « Les années
d’hiver : 1980-1985 », Bernard Barrault, 1985 (réédition Les
Prairies ordinaires, 2009).
[5] Félix Guattari, La
machine visagéitaire de Keiichi Tahara, dans « Cartographies
schizoanalytiques », Galilée, 1989
[6]
http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/fukushima/AJ201112020100a
[7] Félix Guattari.,
« Chaosmose », Galilée, 1992, p.54
[8]
http://setsuden.yahoo.co.jp/tokyo/denkiyoho/
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