Vers la disparition de la grande faune
africaine ?
Vingt ans après le Sommet de la Terre fondateur de
1992, «Rio + 20», la conférence des Nations unies sur le développement durable,
va tenter jusqu'au 22 juin de faire avancer les négociations.
Vers la disparition de la grande faune
africaine ?
A l’occasion du sommet de
l’ONU qui s’ouvre à Rio, les gouvernements vont se féliciter des avancées de la
protection de l’environnement. Déjà, à Nagoya (Convention sur la diversité
biologique), en 2010, le monde entier s’était congratulé de l’atteinte de 13 %
d’aires protégées (AP) terrestres sur la planète. Curieusement, au même moment,
nous assistons à la disparition de la grande faune africaine, en particulier en
Afrique francophone. Les massacres récents d’éléphants au Cameroun, en sont une
illustration. Le rhinocéros noir d’Afrique centrale s’est éteint dans
l’indifférence, les populations de grands singes s’étiolent, l’hippopotame,
espèce pourtant commune, régresse…
La vision d’Out of Africa n’existe plus qu’à Hollywood.
La population humaine a dépassé le milliard d’individus en Afrique, avec des
problèmes prioritaires de sécurité alimentaire et de développement économique
et social. Avec une empreinte humaine croissante sur ce continent, c’est donc
le réseau d’AP qui devra garantir la survie de la grande faune dans les
décennies à venir. Cela est lié au maintien de grands espaces protégés, bien
gérés sur le long terme et connectés entre eux. Notre vision romantique de
l’Afrique s’en trouve écornée.
La réalité des AP sur le
terrain est bien différente des données fournies par les organisations
internationales. Beaucoup de ces parcs nationaux ou réserves n’existent que sur
les cartes (d’où leur nom de Paper Parks).
Particulièrement en Afrique francophone. Ces AP sont soumises à de multiples
pressions (disparition des habitats due à l’agriculture ou à la foresterie,
pression démographique et spirale de la pauvreté entraînant la surexploitation
des ressources naturelles, instabilité politique et oligocratie), la liste est
longue… Outre ces externalités défavorables à la biodiversité, la mauvaise
gestion des parcs nationaux en Afrique francophone tient aussi à un système
international de financements basé sur un triangle vicieux qui conduit les
projets de conservation des AP à des échecs systémiques et récurrents.
D’abord, les grands
bailleurs de fonds publics, qui apportent la majeure partie des financements,
soutiennent les projets sur des cycles courts de trois à quatre ans (qui
répondent à un temps politique d’attribution des fonds, mais pas au temps
biologique nécessaire à la mise en œuvre des projets), avec des critères
d’éligibilité déconnectés de la réalité et soumis à des stratégies à géométrie
variable, des volumes financiers très (trop ?) importants sur des durées
courtes d’exécution, des procédures de décaissements complexes (on privilégie
la gestion administrative et financière plutôt que les résultats de terrain).
Deuxième pointe du
triangle, les projets de ces bailleurs sont négociés et signés avec les administrations
en charge de la faune des pays concernés, ce qui est normal. Mais ces
ministères manquent de capacités techniques et humaines pour instruire les
projets. Ils ont souvent pour priorité leur propre survie, plutôt que celle de
leurs parcs nationaux, ceci étant compréhensible vu leur manque de moyens. Cela
se passe dans un contexte institutionnel de népotisme, voire de corruption, qui
rend vain tous les efforts de renforcement des capacités. Certaines
administrations africaines se sont d’ailleurs si bien adaptées à ce modèle
qu’elles préfèrent attendre les «bons» projets (qui vont payer véhicules,
voyages, indemnités de leurs cadres, etc.), plutôt que d’accepter un
projet qui assurerait la pérennité d’une AP du pays.
Enfin, pour mettre en
place les projets, vu que les services de l’Etat ne peuvent le faire, les
bailleurs procèdent souvent à des appels d’offres pour sélectionner un bureau
d’étude. Celui-ci va recruter le personnel, assurer les activités, et faire le reporting administratif et financier du
projet. Or leur modèle économique est de gagner de l’argent et ce, sur la
période courte du contrat. Ils vont donc faire ce qu’il faut pour réaliser des
marges sur la facturation des consultants internationaux, de grands équipements
et infrastructures et sur les frais de gestion, au lieu de répondre aux
priorités de la gestion de la biodiversité, qui demande moins d’argent, mais un
engagement financier et moral sur le long terme.
Finalement, le modèle
actuel ne permet pas de répondre aux impératifs de conservation d’une AP. Peu
d’argent arrive sur le terrain, les communautés locales ne sont pas ou peu
associées, aucune gouvernance partagée n’est mise en place régionalement, et le
court terme et les réalisations visibles ou études coûteuses sont privilégiées
par rapport à une vision de long terme. Tout s’arrête à la fin du projet quand
il n’y a plus de financements. Quelques années plus tard, à l’arrivée d’un
nouveau bailleur, on répète les mêmes erreurs. La grande faune, elle, n’a pas
attendu et a disparu sous les effets du braconnage…
Le modèle de soutien des
AP en Afrique francophone doit évoluer vers des projets financés sur le long
terme, peu coûteux (en moyenne, la bonne gestion d’une AP coûte un euro par
hectare et par an, mais indéfiniment), gérés au niveau local, avec une
gouvernance impliquant l’Etat, mais aussi la société civile, les ONG africaines
et internationales et les collectivités régionales, et recherchant un équilibre
entre sauvegarde de la biodiversité et développement communautaire. Même si cet
équilibre est complexe, il est essentiel que chacun se mobilise pour trouver
des solutions. La sauvegarde de la grande faune d’Afrique francophone est à ce
prix. L’éléphant, fruit de millions d’années d’évolution, symbole mondial de
notre patrimoine naturel, dernier carré de liberté dans notre monde normé,
bouée de sauvetage de l’imaginaire des enfants de la planète, mérite la même
attention de la communauté internationale que nos cathédrales ou les pyramides
d’Egypte.
ARNAUD GRETH, Noé
Conservation
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire