- "Insécurité, l’alerte rouge", titre ce
matin, mardi 10 septembre, Le Figaro. Le quotidien assure, en "une",
que "tous les indicateurs des statistiques de la délinquance du ministre
de l’intérieur sont à la hausse" (Lire ici et ici). Décryptage.
- Que sont les indicateurs
"du ministre de l’intérieur"? Le Figaro se fonde, principalement, sur
les nouveaux indicateurs présentés en janvier par Manuel Valls. 14 agrégats qui
rassemblent les faits de délinquance par thèmes (violences, violences
sexuelles, tranquillité publique, criminalité, etc.). Depuis avril, pour une
première partie, et depuis juin, pour une deuxième partie, l’Observatoire
national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) publie ces chiffres
à la fin de son bulletin mensuel.
- Les chiffres de juillet
"obtenus" par Le Figaro sont donc ceux qui ont été publiés par
l’ONDRP fin août et qui sont disponibles pour tout un chacun sur le site Internet de l'Observatoire. Mais le quotidien
évoque également des tableaux de bord internes sur l’activité des policiers et
des gendarmes.
- Les chiffres de la
délinquance sont-ils fiables? Depuis plusieurs mois, deux problèmes
méthodologiques compliquent singulièrement la lecture des statistiques de la
délinquance.
- Tout d’abord, un changement de système informatique chez les gendarmes en
2012, qui entraîne des évolutions erratiques, et déconnectées de la
réalité, de certains indicateurs, notamment en ce qui concerne les violences
sexuelles. Depuis novembre 2012, l’ONDRP a donc fait le choix de publier séparément
les statistiques de la police et celles de la gendarmerie. Le Figaro a préféré
les additionner.
- Ensuite, la
"pratique de dissimulation massive" des faits de délinquance dénoncée par l’Inspection générale de l’administration (IGA)
dans un rapport de juin 2013. La mission de l’IGA a fait état de "doutes
très forts sur la fiabilité des statistiques de la délinquance à Paris en
2012", par exemple.
- Or, les évolutions des
chiffres de la délinquance se mesurent sur douze mois glissant. Pour les
chiffres cités par Le Figaro, la période août 2012-juillet 2013 est donc
comparée à la période août 2011-juillet 2012, en grande partie préélectorale et
concernée par ces biais statistiques.
- "Tous" les
indicateurs augmentent-ils? Les atteintes à l’intégrité physique (violences)
augmentent de 2,9%, selon Le Figaro, qui additionne donc police et gendarmerie.
A la lecture du bulletin de l’ONDRP, on se rend compte qu'elles sont stables
chez les policiers (+0,1%, 383 faits supplémentaires pour un total de 370 608),
mais qu'elles explosent chez les gendarmes (+12,9%, soit 13 376 faits de plus,
pour un total de 117 252).
- Si l’on rentre dans le
détail, on constate que cette hausse est constituée, en totalité, de violences
dites "non-crapuleuses", c’est-à-dire qui ne sont pas commises à
l’occasion de vols. Les violences "crapuleuses" sont au contraire en
baisse chez les gendarmes. De plus, tous les indicateurs qui constituent cette
hausse présentent une "rupture de continuité" statistique, selon
l’ONDRP, en raison du changement informatique des gendarmes. Un simple exemple,
les "harcèlements sexuels sur mineurs" qui auraient augmentés de
34,6%, soit 1 298 faits de plus sur un an. Peu crédible.
- Vient ensuite l’un des
nouveaux indicateurs de Manuel Valls, la "grande criminalité", en
hausse de 5,2%. C’est un agrégat fin, qui représente, sur les douze derniers
mois, 16 581 faits, sur plus de 3 millions de crimes et délits enregistrés par
les forces de l’ordre. La hausse représente donc un peu plus de 860 faits
supplémentaires sur un an... Lesquels? Le Figaro cite les règlements de comptes
(+10%). Mais cela représente 6 faits en plus… On est loin du compte. Le
quotidien évoque également les attentats à l'explosif contre des biens privés
(+33,7%). Le pourcentage est spectaculaire… mais il ne s’agit encore que de 31
faits supplémentaires. C’est mieux, mais pas encore ça.
- En fait, cessons-là le
suspense, le gros de l’augmentation, plus des trois quarts, est constitué par
deux rubriques dont la hausse témoigne de la plus grande efficacité des
services de police et de gendarmerie: le démantèlement des réseaux de fausse
monnaie (+184) et l’usage-revente de stupéfiants (+561).
- Un signal négatif
persistant, toutefois, la hausse des vols à main armée contre des commerces
(+8,4%). Cela ne représente que 254 faits en plus, mais le phénomène est
préoccupant. Tout comme la hausse des atteintes aux biens (+3,5%), dont les
cambriolages (+9,3%).
- Manuel Valls a-t-il
"ouvert les vannes de l’immigration"? Le quotidien cite ensuite la
baisse des infractions aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers. Elle
est spectaculaire: - 56,8%, de 79 445 à 34 267. "Or, il devient difficile
de se retrancher derrière la décision de la Cour de cassation qui avait
considéré, en juillet 2012, que le séjour irrégulier d'un étranger ne pouvait
suffire à le placer en garde à vue. Depuis janvier dernier, les forces de
l'ordre ont obtenu un droit de rétention de 16 heures", explique au Figaro
un haut fonctionnaire.
- Ce dernier est
manifestement mal renseigné. Le droit de rétention, destiné à permettre de
vérifier que l’étranger interpellé est en règle, n’a pas les mêmes effets que
la garde à vue, sinon, il est probable que la Cour de cassation se fâcherait à
nouveau… La personne retenue n’est pas considérée comme un "mis en
cause", selon le jargon policier, et n’est donc pas enregistrée en
procédure. Elle l’est uniquement si le délit (non respect d’une interdiction du
territoire français ou d'une décision d’éloignement) est prouvé à l’issue de la
rétention. La baisse dans les tableaux statistiques est bien mécanique, pour
une grande partie. Même si les nouvelles directives - ce n’est pas un secret -
sont moins favorables à la recherche active des sans-papiers, largement
utilisée dans la période précédente pour améliorer le taux d’élucidation global
(1 fait constaté=1 fait élucidé).
- Les policiers et les
gendarmes travaillent-ils moins quand la gauche est au pouvoir? Selon Le
Figaro, les heures passées en "missions opérationnelles" (sur le
terrain) ont baissé de 10,2% dans la gendarmerie, et de 2,2% dans la police.
Première chose: le chiffre côté gendarme est faux. L’auteur de l’article s’est
vraisemblablement trompé de ligne dans les tableaux complexes et touffus de la
Place Beauvau. La tendance est en fait la même que chez les policiers, à -
1,18%. De même, les missions de prévention (-3,3% chez les gendarmes et -6,1%
chez les policiers, selon Le Figaro) sont en fait en hausse: +7,88% pour la
gendarmerie et +10,67% pour la police, selon nos informations.
- Et il faut être vigilant
sur les périodes comparées: jusqu’à fin 2012, les effectifs - et donc le
potentiel d’heures - étaient en baisse, sous l’effet des budgets votés par la
précédente majorité. En 2013, ils ont été stabilisés, et ils n’augmenteront
réellement qu’en 2014.
- Enfin, à la veille de
l'élection présidentielle, et donc lors de la période de comparaison, Claude
Guéant avait mis en place un "plan d'optimisation opérationnelle": un
budget avait été débloqué pour payer des heures supplémentaires aux policiers.
830 000 heures ont ainsi été effectuées. Un chiffre à ramener aux 2,5 millions
d'heures en moins effectuées par les policiers et les gendarmes durant l'année
suivante, selon Le Figaro.
- Le dispositif, très
onéreux, a été durement critiqué par la Cour des comptes.
- Peut-on faire dire
exactement le contraire aux derniers chiffres de la délinquance? La réponse est
bien-sûr oui! On peut tout aussi bien conclure du dernier bulletin de l’ONDRP et
de l’évolution des nouveaux indicateurs créés par Manuel Valls qu’en fait, tout
va mieux, depuis mai 2012. Jugez donc: les atteintes à la tranquillité publique
sont en baisse de 3,5%, les outrages à dépositaire de l’autorité de 5,6%, les
regroupements illicites dans halls ou sur toits d'immeubles collectifs
d'habitation de 26,5%, les feux de poubelles de 11,5%, les exhibitions
sexuelles de 11,2%, etc.
- Mais on va peut-être
s'en abstenir…
Laurent Borredon
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