Je l’ai assez dit ici :
j’aime bien José Bové, que je ne suis pas loin de considérer comme un ami. Je
le connais depuis un quart de siècle, ce qui signifie que je l’ai rencontré
bien avant le démontage du McDo de Millau, qui a fait sa célébrité. Mais comme,
en outre, je me vante de ne pas respecter la hiérarchie sociale, fût-elle
médiatique, je n’ai jamais hésité à ferrailler contre lui. C’est ainsi, ce ne
sera jamais autrement. Et sur la question du Loup, José Bové montre à mes yeux
qu’il n’est pas un écologiste au sens que je donne en tout cas à ce mot. Je
sais que les définitions ne manquent pas, ce qui crée une immense confusion des
esprits, mais la mienne ne changera pas. En attendant, en espérant le jour où
nous aurons inventé un mot nouveau, je me répète : José Bové n’est pas un
écologiste.
Cette fin d’été est
marquée par une nouvelle levée de boucliers dans la région même où s’illustra,
au 18ème siècle la Bête du Gévaudan : entre la Lozère et la Haute-Loire
actuelles. Une manifestation d’éleveurs, rassemblée par la FNSEA, vient d’avoir
lieu à Langogne, là où j’ai pêché jadis à la mouche - nul n’est parfait -
quelques truites aussitôt cuites au feu. Jusque-là, rien d’étonnant. Une
manifestation de plus, pour dire que le pastoralisme est incompatible avec
l’élevage de brebis. Sauf que Bové s’est senti obligé de soutenir à distance,
occupé qu’il était à participer aux Journées d’été d’Europe Écologie, à
Marseille. Déclaration au quotidien Le Midi Libre le 24 août : « Un loup
s’est fait écraser à l’entrée de Millau en février. Ses congénères peuvent
désormais arriver sur le rayon Roquefort. Il faut envisager une législation
renforcée pour protéger les territoires ruraux et d’élevage. Le tir est la
seule solution à certains endroits. On a vu que les mesures mises en place ne
suffisaient pas. Soit on met l’homme et le maintien des paysans comme une
priorité, soit on met le loup et ça veut dire que l’espace disparaît. On aura
des animaux hors sol à l’intérieur pour permettre au loup d’être sur l’espace
». (Merci à Érick de m’avoir envoyé la copie).
Il ne s’agit pas même de
polémique : l’homme prime. Selon Bové, Le loup fait disparaître l’espace par un
coup de baguette magique, car cet espace, c’est celui des humains, et il faut
choisir. Eux ou nous. L’Homme ou la Bête, ritournelle des civilisations
humaines depuis des milliers d’années. Comme le raisonnement de Bové s’applique
fatalement ailleurs, on voit où l’on irait si l’on retenait son point de vue.
Partout où l’animal gêne les activités économiques, il doit disparaître. Et
comme tel est le cas de l’Afrique à l’Asie, des Amériques jusqu’en Océanie, en
passant par la vieille Europe, il doit disparaître partout. Dans les mers y
compris, car le requin ne sabote-t-il pas les efforts de l’industrie du surf ?
Bon. José Bové est selon
moi un environnementaliste. Ce qui importe réellement, c’est ce qui entoure, «
environne » le roi des animaux, c’est-à-dire l’homme. C’est un courant,
assurément puissant, mais qui n’a jamais été le mien. Quand j’entends le mot «
environnement », si je le peux, je passe mon chemin. Un écologiste, à mon
sentiment, considère l’ensemble, les interdépendances, la beauté et la
nécessité de chaque espèce. Et dans ce vaste tout, l’homme n’est jamais qu’un
élément, certes décisif, mais qui doit composer, partager, céder,
éventuellement reculer. L’écologie est donc bien un acte de rupture mentale
considérable, pour la raison que l’homme n’a cessé d’avancer, d’occuper les
espaces, de ruiner un à un les territoires conquis. Je vois bien ce
qu’une telle vision a d’invraisemblable sur une Terre désormais surpeuplée
[oui, je crois que la Terre est surpeuplée, mais oui, je compte bien
défendre la vie des hommes existants ] mais enfin, je n’en ai aucune autre à ma
disposition.
Pour en revenir au Loup,
j’en ai marre d’entendre tant d’abrutis d’ici ou là opposer une poignée
d’urbains dégénérés, ignorants autant qu’indifférents, aux si braves habitants
des montagnes, courageux bien sûr, lucides et réalistes de surcroît. J’en ai
simplement marre de cette absence de pensée, qui habille si mal la défense
d’intérêts personnels. Pas de malentendu ! Je comprends que des éleveurs de
brebis ne supportent pas la présence du loup. Et même qu’ils réclament son éradication.
Mais la marche d’une société ne peut être l’agrégat des revendications de tous
les groupes et de chaque individu. Nous sommes collectivement malades d’une
exacerbation de l’individualisme, fondement hélas des sociétés modernes. Il y a
deux siècles, la proclamation de l’individu était une émancipation.
Aujourd’hui, étendue jusqu’au délire par les publicités au service de la
marchandise et de la consommation perpétuelle, elle n’est plus que terrifiante
régression.
Oui, les éleveurs doivent
être entendus. Mais, oui, la société doit dire que la défense de la
biodiversité est une valeur supérieure, qui s’impose à tous. Ayant affirmé cela
avec force, elle doit - nous tous devons - proposer un pacte national pour la
coexistence avec les grands prédateurs, qui sont ici chez eux. Ce pacte
consisterait en des droits pour tous, animaux compris, et des devoirs pour les
humains. Des devoirs pour nous, car sauf grave erreur, c’est bien nous qui
commandons. Et qui tuons les brebis par millions. Et qui tuons au gaz neurotoxique
les enfants de Damas aujourd’hui. Après ceux d’Halabja en 1988, grâce aux
Mirage français fournis à l’excellente armée irakienne. Après tant d’autres.
Avant bien d’autres.
Défendre les loups
présents en France est un acte évident de civilisation.
Fabrice Nicolino
le 27 août 2013
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