«Mobilisons nos énergies !» : l'appel
de Cohn-Bendit et Jadot
Contre l'immobilisme, toutes les énergies sont
nécessaires, selon Daniel Cohn-Bendit et Yannick Jadot, députés européens
EE-LV, en appellent à l'énergie et aux idées des citoyens.
Parler d’énergie, celle
que l’on produit, celle que nous consommons, oblige à se poser la question de
l’énergie politique et citoyenne. Le mot «énergie» ne vient-il pas du grec
«energeia» que l’on peut traduire par «force en action» ? Bouger, se
bouger, faire bouger les choses, les hommes, les femmes et la cité : la
question s’impose, urgente. Et cet appel vise précisément à (re)mobiliser tous
ceux qui ont envie de faire évoluer la France et qui, souvent, le font déjà
dans leur coin, autour d’eux, sans nécessairement savoir que d’autres agissent
de la même manière à quelques kilomètres de là. Remobiliser les énergies, donc,
mais aussi les fédérer : c'est la grande perspective politique des années
à venir que Libération entend organiser concrètement à travers la France.
Il faut cependant d’abord dresser le constat :
nous sommes immobiles.
L’humeur est morose. Après
le soulagement d’un certain soir de mai 2012, c’est plutôt un mélange de
résignation et de sourde exaspération qu’on peut lire dans les enquêtes, les
commentaires et les regards. Prisonniers d’une certaine idée de la politique,
faite de grands soirs électoraux et de longues marches solidaires, de fiertés
nationales sportives ou économiques et d’aspirations à tout changer d’un coup
de bulletin, les Français peinent à trouver les ressources pour espérer. Mais
l’immobilisme, le manque d’imagination et les difficultés matérielles n’ont
rien d’une fatalité. Nos énergies sont nombreuses, nos ressorts insoupçonnés et
notre créativité sans limite.
Encore faut-il avoir le courage d’affronter le réel
tel qu’il est. Pour ce pays, hier
grande idée, aujourd’hui modeste puissance, qui a longtemps vécu sur des acquis
hérités d’une histoire longue de plusieurs siècles, entre la gloire de ses
conquêtes, de ses révolutions et le déni de sa part d’ombre comme la
colonisation, la chose n’a rien de simple. Mais il n’est plus question de
renâcler encore une fois devant l’obstacle. Les sportifs et les psychanalystes
le savent : on devient soi-même dans le dépassement de ses limites !
La thérapie du choc est une horreur économique, mais en politique elle a le
mérite de nous mettre au pied du mur.
Parlons vrai. Parlons de
cette France en crise, dans une Europe en crise. Des Français qui ont le blues,
plus qu’ailleurs - plus qu’en Afghanistan ou en Irak, apprend-on même
au détour d’une enquête un peu étrange, mais symptomatique.
Quelle est-elle vraiment, cette France
d’aujourd’hui ? Difficile à
dire, puisqu’elle-même préfère se voiler la face, entre nostalgie d’une
grandeur gaullienne fantasmée et vieux marqueurs républicains déroutés par un
monde plus réel qu’on ne le voudrait. Mieux vaut préserver le village Potemkine
de la France d’hier, plutôt que de laisser parler sa jeunesse, sa créativité et
son dynamisme.
Sans nombrilisme mais sans
complaisance, l’heure du check-up est arrivée. De quoi souffrons-nous
vraiment ? Quels sont ces maux qui contraignent à ce point notre
société ? Qui nous empêchent de nous prendre collectivement en main pour
nous ouvrir la voie du nouveau siècle ?
1. Le républicanisme : sur tous les frontons d’école, dans tous les
journaux, dans tous les discours de tous les dirigeants politiques, la
République est partout. Mais où est l’égalité qu’elle est censée garantir dans
nos villes, dans nos campagnes, dans nos classes, dans nos prisons comme dans
les médias ? Jusqu’à quand durera cette comédie, alors que la violence
frappe chaque jour nos cités ? Où est son respect des différences quand
elle prétend les nier au nom d’un universalisme de plus en plus douteux ?
2. Le souverainisme :
on vient de nous promettre la restauration de la souveraineté nationale de la
France en 2025. Magnifique : bien à l’abri de nos frontières, nous aurons
donc des réponses bien de chez nous au dérèglement climatique planétaire, à
l’épuisement des ressources mondiales, à la prolifération nucléaire, aux
pandémies globales, à la pression migratoire d’un sud toujours plus jeune, etc.
Pourtant, l’expérience des lignes Maginot et des nuages de Tchernobyl n’est pas
très concluante…
3. Le colbertisme : notre tissu industriel se fonde toujours et
encore sur une culture étatique misant sur la défense des grands champions
nationaux et monopoles, plutôt que sur des initiatives diffuses et
décentralisées. Au risque de louper le coche en ne soutenant pas l’investissement
dans des secteurs d’avenir. Alors combien de temps encore avant d’enclencher la
transformation nécessaire de notre tissu économique ?
4. Le «croissancisme» : la promesse du retour de la croissance forte
revient sans cesse dans les discours de nos élites. Pourtant depuis 1975, la
richesse nationale a doublé. 100% de croissance. Et malgré cela, le chômage a
explosé, la pauvreté n’a guère reculé et les inégalités ont crû plus vite que
l’économie. Le retour de la croissance ressemble de plus en plus à une promesse
religieuse servie par un clergé à la fois naïf et cynique. Combien de temps
encore avant d’imaginer un nouveau modèle pour le développement de nos
territoires et leurs habitants ?
5. Le jacobinisme : il fut un temps où la promesse d’un modèle unique,
égal et unitaire faisait se lever des masses. Tout en un ! Un citoyen, une
langue, une capitale et un Etat, central. C’était bien pratique. Mais pour nos
enfants, qui parlent plus de trois langues dans leur salle de classe, pour nos
métropoles qui bâtissent des relations transfrontalières avec leurs voisins
proches ou lointains, pour celles et ceux que le conformisme rebute, que faire
sans passer pour de redoutables séparatistes ?
6. Le bonapartisme : la France aurait besoin d’un chef ! Du
panache, blanc ou cocardier, de la grandeur et pas de question ! La
sagesse et l’autorité aux aînés, et une croyance collective dans le politique,
qui à lui seul, permet la refondation de la société. Mais à l'heure du 2.0, de
l’accès à l’information en temps réel, ne devrions-nous pas miser sur le
citoyen pour trouver des voies de sortie par le haut, et rompre ainsi avec
cette tradition obsolète ?
7. L’élitisme : ah la belle méritocratie républicaine, ses Camus,
ses Bourdieu, ses hussards noirs... Aujourd’hui, le mérite s’hérite et
désormais on est énarque de père en fils ! Et si l’école doit être garante
de l’égalité, pourquoi a-t-on encore des grandes écoles… Les autres
seraient-elles petites ?
8. Le machisme : à en croire les débats télévisés en France, être
intellectuel, dirigeant d’entreprise ou leader politique se conjugue d’abord au
masculin. Pour combien de temps encore ?
9. Le babyboomisme : une génération en a chassé une autre, en mai 68.
Depuis, personne n’a eu le courage de remercier nos chers aînés lanceurs de
pavés, en les priant de céder la place.
10. L’aquoibonisme : quand l’horizon s’éloigne sans cesse, que
l’avenir semble une abstraction voire une aberration, comment ne pas éprouver
une profonde envie de soupirer, de lever les yeux au ciel ou de baisser les
bras, de faire le dos rond, de cultiver son jardin seul ou avec ses
proches ?
C’est précisément contre
la fatalité que nous lançons aujourd’hui cet appel à mobiliser les énergies,
car celles-ci existent, évidemment ! En silence, souvent en ordre dispersé,
en dehors des circuits et des schémas traditionnels, il y a tant de citoyens,
d’entrepreneurs, de militants, d’associatifs qui travaillent à inventer une
pluralité de modes d’action pour déverrouiller la France, quitte à la prendre à
rebrousse-poil.
A tous, nous donnons
rendez-vous ici, sur le site internet. Venez raconter, dans les commentaires de
cet article, sur quoi et de quelle manière vous vous mobilisez, quels contenus
pratiques vous donnez à votre expérience de la citoyenneté, quels projets vous
avez pu faire advenir dans des champs aussi vastes que l'éducation et l'emploi,
l'économie et l'entreprise, les modes de vie et la diversité.
Daniel COHN-BENDIT et Yannick JADOT
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