Retraites, changeons le logiciel et repensons le contrat social par Patrick Viveret...
L’Etat français doit
trouver 20 milliards d’euros pour financer les retraites en 2020, le
gouvernement vient de proposer des mesures à cet effet. Le diagnostic et les
remèdes sont-ils à la hauteur des enjeux ?
Patrick Viveret : Aborder le problème des retraites par une approche
comptable est erroné et réducteur. Les besoins dépendent d’un certain nombre de
variables mobiles (niveau de l’emploi, niveau de croissance) et les projections
comptables élaborées sont régulièrement démenties ou à retravailler. C’est la
raison pour laquelle depuis 10 ans les reformes successives n’ont jamais été au
point. On ne traite pas le fond du sujet. Considérer le problème des retraites
selon le critère d’activité et d’inactivité est obsolète. La définition
de l’activité est liée à la conception économique et statistique qui a
présidé à la création de la notion de PIB. Elle ne prend en compte que des
activités rémunérées sans réflexion sur leur nature, sans savoir si elles sont
bénéfiques pour l’environnement et les humains ou au contraires nuisibles. On
se retrouve avec une notion d’activité réductrice ! Toutes les activités
domestiques, associatives, non rémunérées sont considérées comme de
l’inactivité. Si l’on continue de raisonner selon cette approche (activité vs
inactivité), le rapport entre actif et inactif deviendra de plus en plus
déséquilibré et l’on avancera qu’il faut allonger le temps de travail,
diminuer les pensions, etc. Exemple : On vit dans une société de la
connaissance, il est donc absurde de considérer que faire des études
supérieures jusqu’à 24 ans revient à être inactif. D’autre part, il ne faut
plus raisonner selon le couple actif-inactif mais en se basant sur le rapport
bénéfice-perte, entendu au sens fort : activité bénéfique ou nuisible pour
les humains ou leur environnement. Il faut changer de logiciel.
C’est séduisant, mais comment financera-t-on les
retraites dans vingt ans ?
PV :
On ne peut engager des stratégies de transition sans considérer le problème
dans de bonnes conditions. Il faut commencer par poser une vision à long
terme pour envisager des politiques de transition comme le propose le scénario
négaWatt, c’est un préambule indispensable. Penser une politique globale des
temps de vie, de la naissance à la mort, qui permettra à chacun d’aller le plus
loin possible dans son potentiel créatif, avec des temps sabbatiques, de
formation, etc. Ensuite on abordera la partie comptable, la question du financement
est un sous-ensemble d’une approche globale.
Par ailleurs, si l’on veut
vraiment se focaliser sur le financement, commençons par nous attaquer à
l’évasion fiscale qui représente chaque année en France entre 60 et 100
milliards d’euros. Puis à son corollaire, les paradis fiscaux. Il ne faut
accepter de discuter de toute forme de mise en cause d’acquis sociaux qu’après
s’être attaqué vraiment à l’évasion fiscale. J’ajoute qu ‘une politique
économique fondée réellement sur la libération des potentialités
créatrices de chacun, une politique des temps de vie générera aussi une
richesse accrue et que le financement du nouveau pacte social sera a
repenser a travers le socle global d’un revenu d’existence.
Pourquoi aucun gouvernement ne pose le problème en ces
termes ?
PV :
Les blocages sont de trois ordres : une oligarchie minoritaire mais qui
bénéficie de différentes formes d’enrichissement et dont le pouvoir d’influence
est très fort ; les gouvernements enfermés dans une logique de court terme
et incapables de voir loin ; enfin les comportements conservateurs se
retrouvent aussi chez les partenaires sociaux qui reculent devant la nécessité
de considérer les problèmes autrement. C’est la raison pour laquelle on a
besoin d’une négociation globale qui repenserait la base d’un nouveau
pacte social. On ne peut pas rester sur le pacte social fondé après la Seconde
Guerre mondiale, en pleine période reconstruction. Nous vivons une période
historique fondamentalement nouvelle, avec de nouveaux « âges de la vie ».
L’adolescence s’est allongée et la notion de senior est apparue. Entre 55 et 75
ans, les gens sont en bonne santé et mènent des projets qui remplissent des
fonctions bénéfiques pour la société, mais qui sortent de la notion d’emploi
classique. Considérons le bénévolat, en lui donnant le sens fort
d’« orientation de la volonté bénéfique ». Les seniors ont un rôle
fabuleux à jouer dans la transmission du savoir, du savoir-être plutôt qu’à la
course généralisée au profit de l’avoir.
Est-ce à dire que vous prônez une comptabilisation
du bénévolat ?
PV : Il
faut aborder avec prudence le terme comptabiliser, car nous devons considérer
les éléments de manière qualitative et non exclusivement quantitative.
Néanmoins compter en « temps de vie » apporte déjà des informations
plus fiables et plus complètes que les comptes monétaires, ce que fait déjà
l’INSEE avec les budgets temps.
Il existe d’autres
systèmes à mettre en place, notamment la quantification par points, couplée
d’une approche « bénéfice-perte » (dans l’acception de base où
bénéfice signifie ce qui est bon pour la société et perte ce qui procure des
nuisances pour l’humain et son environnement). Ainsi on mettrait en place un
système bonus/malus. Les activités bénéfiques telles les activités associatives
seraient créditées au bonus, au contraire les activités sources de nuisance
seraient rangées dans la catégorie malus.
82 % des Français se disent inquiets pour leur
retraite. Quels outils peuvent-ils mettre en œuvre pour l’anticiper plus
en confiance ?
PV :
Le projet d’états généraux de la transformation citoyenne, qui regroupe
plusieurs grandes plateformes associatives (dont le collectif de la transition
et les colibris), a pour objectif de montrer que les problèmes non traités par
le monde politique pourraient l’être par une société civique active, dans des
conditions de hautes qualités démocratiques, où l’on considère autant les
effets que les causes. Rendez vous le 12 octobre à Paris à la Bourse du travail
!
APL
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