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lundi 14 octobre 2013

Arrètez ses sondages qui parlent à notre place...



Des sondages liberticides
Montée du FN ! Montée du FN ! C’est un peu le mantra de notre démocratie d’apparat. Diffuser l’effroi, faire pression : c’est le rôle occupé par les sondeurs dans la division du travail culturel assurée par l’appareil idéologique de notre oligarchie. Un média commande un sondage, les sondeurs posent des questions biaisées, ils redressent les résultats puis font parler les chiffres, les médias transforment cette sorcellerie en événement, l’événement structure l’actualité, l’actualité redessine le paysage politique, le réordonnancement des rapports de force amende les représentations de chaque citoyen et chaque citoyen altère ses propres choix sous l’effet de cette violence symbolique. Ce faisant, c’est l’examen des programmes politiques que l’on occulte, la course aux petits chevaux que l’on perpétue.
Dernier exemple en date ? Le sondage du 12 septembre réalisé par CSA pour BFMTV, le Figaro, et Orange, orné du slogan «2014, le match pour les municipales». Alors que l’élection se joue dans plus de six mois, le Figaro se permet d’affirmer que «les listes du Front National progressent» (par rapport à mars, c’est-à-dire à plus d’un an du scrutin, quand aucun parti n’avait encore mis en place la moindre stratégie électorale). Mais quelles listes ? Abus de langage, puisqu’ aucune d’elles n’est encore constituée. Et négation de l’enjeu électoral, puisqu’ aucun programme municipal n’a encore fait son apparition locale. L’utilisation médiatique récurrente des sondages dans notre démocratie revient à une privatisation de l’opinion, marchandisée par les agents dominants afin de perpétuer leur avantage. L’opinion publique n’existe pas : elle est un produit. D’abord, les réponses fournies aux sondeurs sont orientées par le choix et la formulation des questions, qui imposent un cadre d’interprétation porteur d’évidences implicites qui n’ont pourtant rien d’évidentes. Interroger présuppose ensuite que tout le monde a déjà réfléchi à la question et que toutes les opinions se valent donc spontanément. Erreur : les citoyens prononcent des choix politiques fondés sur une argumentation informée, plurielle et contradictoire. La fonction des sondages n’est pas d’informer les gouvernants des doléances du peuple ; mais de fabriquer une «opinion publique» conforme aux intérêts des classes dominantes. C’est une manière de contrecarrer l’isoloir : si au moment du vote chacun est libre de choisir en son âme et conscience, à l’abri du regard d’autrui, dans l’espace médiatique le for intérieur est accablé par le poids des autres, actualisé sous forme de pourcentages. La masse de l’opinion supposée générale scrute ainsi chaque citoyen, appuie sur sa pensée, canalise ses gestes : vote «utile» car le risque du FN au second tour guette ! Ne vote pas selon tes convictions, malheureux, mais selon les nécessités stratégiques que je t’énonce ! Sois responsable ! Et ne crois surtout pas que les élections constituent un moment démocratique, car je t’en apporte déjà les résultats. Les sondages se parent de scientificité alors que leurs méthodes demeurent opaques. L’opinion publique serait pourtant curieuse de savoir comment on invente l’opinion publique. En 2010, suite à l’affaire des sondages de l’Elysée, deux sénateurs s’étaient alarmés du danger que faisaient courir les sondages à la démocratie.
A dire vrai, la Commission des sondages est aujourd’hui une machine à blanchir les sondages confectionnés et publiés en violation de la loi. Adoptée à l’unanimité par le Sénat, la proposition de loi de MM. Portelli et Sueur entendait renforcer ses prérogatives et moyens : extension des obligations légales à l’ensemble des études politiques, obligation pour les médias de publier les notifications de la commission, publication systématique de la fiche d’identité (nombre de personnes sondées, etc.) et du nom du commanditaire (qui n’est pas forcément l’acheteur)… Elle préconisait surtout que chaque citoyen puisse consulter les techniques de redressement mises en œuvre. Et s’attaquait au problème de la rémunération des sondés, qui pose de sérieuses questions éthiques : en République, la liberté de conscience aurait-elle un prix ? Las, une fois parvenue à l’Assemblée (en 2011), le texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour. A cette époque, le gouvernement comme la majorité étaient UMP. Entre-temps, le PS a pris le pouvoir. Qu’attend-t-il pour se saisir de cette question et laisser les parlementaires en débattre ? Un problème avec la transparence ? Dans l’optique d’une refondation démocratique au sein d’une VIe République ? Il faudrait faire en sorte que nul organisme ne puisse prétendre communiquer l’opinion des citoyens à leur place.
Raquel Garrido et Clément Sénéchal

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