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dimanche 20 octobre 2013

Préserver la nature...( 2/4 )

Préserver la nature en lui donnant un prix (2/4 ) : monétariser ce qui est gratuit ?
La question de la monétarisation se complique avec les « services gratuits » (à une époque et dans une société données) de la nature, en précisant que les écologues emploient le terme de « fonctions écologiques », les services ne désignant pour eux que les usages par les humains. Pour tout ce qui suit, j’ai bénéficié de remarques et réactions de plusieurs personnes, que je remercie sincèrement : Florence Jany-Catrice, Dominique Méda, Fabrice Flipo, Maxime Combes, Geneviève Azam, Eloi Laurent et Jacques Weber. Il existe entre elles, et avec moi, des nuances parfois sensibles. J’assume évidemment seul le résultat des tiraillements auxquels ces échanges passionnants m’ont soumis.(Photo: An.Te.)
Reprenons l’exemple de notre forêt. Au-delà des usages déjà cités, elle remplit d’innombrables fonctions appréciables, mais sans prix (en tout cas jusqu’au moment où des droits de propriété ou des interdictions d’usage sont inventés et mis en place, créant ainsi de la rareté puis des marchés). Elle est un refuge de biodiversité. Elle abrite des sources ou des cours d’eau dont elle contribue à maintenir la qualité. Dans certaines zones, elle protège contre l’érosion et les avalanches. Elle a des qualités esthétiques et récréatives, elle suscite des émotions. Elle constitue un « puit de carbone », au moins dans certaines conditions. Etc.
Pourquoi vouloir associer des valeurs monétaires à de telles « fonctions », ou usages ? N’est-ce pas une de ces idées d’économistes cherchant à tout prix à donner un prix à tout ?
Cette critique est fondée, mais à condition d’évacuer un possible contresens. Un montant monétaire peut n’avoir aucun rapport avec un prix marchand ou quasi-marchand, voire être calculé et utilisé contre la logique marchande. Les exemples abondent, en dehors de la nature et de ses ressources. Une « réparation » en justice, les minima sociaux, les taxes, le calcul de certains coûts observables de remise en état, sont des montants monétaires n’ayant rien à voir avec des prix de marché. Il ne faut pas confondre la monnaie comme unité de compte et le marché comme dispositif d’échange économique, d’autant qu’il y a d’innombrables types de marchés (« le » marché n’existe pas, en fait). Faire payer les responsables de pollutions, c’est définir un montant monétaire sans prix de marché, contre la logique néolibérale, sans chercher à définir un prix de la nature.
Il conviendrait de distinguer quatre catégories : des PRIX DE MARCHÉ, ayant un rapport direct ou indirect avec une logique marchande (le « prix du carbone » sur un marché de droits d’émissions), des PRIX « RÉVÉLÉS » OU DES COÛTS FICTIFS, issus d’hypothèses d’économistes dont on verra la fragilité, des COÛTS OBSERVABLES, souvent dignes d’intérêt, et des TARIFS POLITIQUES OU « CONVENTIONS D’ÉQUIVALENCE MONÉTAIRE » (exemple : des montants de taxes, des bonus/malus) issus de délibérations et négociations, dans lesquelles peuvent évidemment intervenir les économistes et leurs évaluations, mais sans leur attribuer un rôle dominant.
Revenons aux services environnementaux gratuits des forêts. Comment les économistes leur attribuent-ils une valeur monétaire ? Leurs méthodes sont très diverses. Voici les principales.
La protection contre l’érosion et les avalanches ? On peut évaluer, avec beaucoup d’incertitudes, LES COÛTS DES DOMMAGES qui résulteraient de l’absence de cette protection. On peut aussi se demander ce qu’il en coûterait d’empêcher ces dommages en l’absence de forêt, par des constructions humaines, des techniques de substitution de la forêt PAR DES ARTEFACTS PRODUITS. C’est ce qu’on nomme aussi les COÛTS DE REMPLACEMENT (D’UNE FONCTION DE LA NATURE) lorsque le remplacement technique semble possible, ce qui est loin d’être le cas général, même pour des fonctions simples : on ne remplace pas des espèces disparues ni la beauté d’un paysage sacrifié.
On peut aussi retenir des coûts de reforestation A L’IDENTIQUE (plus ou moins identique), qui sont des coûts OBSERVABLES de RESTAURATION intégrale ou « COÛTS DE RENOUVELLEMENT » (selon Jacques Richard) d’une forêt détruite, méthode de vraie « préservation écologique », très intéressante dans certains cas (restaurer les propriétés écologiques de rivières ou de sols pollués), mais plus problématique à mon avis pour la plupart des grands enjeux environnementaux, dont le climat.
Pour la « valeur récréative » de la forêt, les économistes font une hypothèse : la valeur monétaire que les gens attribuent à ces « services de la forêt » est au moins égale à ce qu’ils sont disposés à payer pour s’y rendre en voiture. Avec cette approche, une forêt où les gens se rendent en vélo aurait une valeur récréative nulle, une forêt semblable que l’on visite en 4×4 aurait une grande valeur !
Pour la préservation de la biodiversité, on peut soit penser à certaines des méthodes précédentes (en termes de coûts de préservation, de renouvellement…), soit recourir à des enquêtes portant sur le « CONSENTEMENT A PAYER » pour cette préservation. C’est aussi ce qu’on appelle l’évaluation « contingente ». On pose directement à un échantillon de personnes la question « combien seriez-vous prêt à payer pour préserver tel ou tel bout de nature ou telle ou telle caractéristique ». Cette méthode pose au moins deux problèmes, mais la littérature sur le sujet est immense : 1) un tel consentement dépend fortement de la conscience des enjeux et de l’information dont le public dispose pour se faire une idée. Or, on peut douter que le « public » soit bien informé des enjeux de la biodiversité ou des risques liés au réchauffement climatique. 2) Comme ce « consentement à payer » dépend du revenu des personnes qui s’expriment, une forêt évaluée par des pauvres aura moins de « valeur biodiversité » que si elle l’est par des riches. Cela ne risque pas de convenir à ceux qui estiment que LA BIODIVERSITÉ (MAIS AUSSI D’AUTRES QUALITÉS DE LA NATURE) A UNE VALEUR DE CITOYENNETÉ, UNE VALEUR INTRINSÈQUE, ET NON UNE VALEUR CONSUMÉRISTE.
Dans la plupart des cas, la méthode du consentement à payer est à la valeur multidimensionnelle et éthique de la nature ce que les sondages politiques sur la cote des personnalités est à la délibération démocratique vivante. D’ailleurs, on ne nous dit jamais combien de personnes enquêtées répondent… qu’elles ne savent pas répondre à de telles questions. Pour en savoir plus, lire, par Jacques Weber, « L’évaluation contingente : les valeurs ont-elles un prix ? ».
Pour la séquestration du carbone, les incertitudes ne sont pas moindres. La grande question est celle de la valeur monétaire attribuée à la tonne de carbone séquestrée. Je vous passe les détails des méthodes. On a parfois des coûts associés à des investissements permettant de réduire les émissions à un niveau jugé raisonnable. L’idée est intéressante, mais de fortes incertitudes demeurent. On a aussi des coûts estimés des dommages du réchauffement climatique. Mais comment y intégrer les coûts des vies humaines sacrifiées, entre autres limites éthiques ? Certes, les assureurs font cela depuis longtemps, mais les assurances vie, qui permettent à ceux qui restent d’avoir moins de difficultés économiques après le décès d’un conjoint par exemple, n’ont jamais été associées à un prix de la vie. Elles couvrent un risque de défaut de ressources, lié à un placement financier.
Au début des années 2000, on aboutissait à des valeurs pour 2010 comprises entre 14 et 100 dollars par tonne de CO2 selon les modèles et les pays couverts. Et cela se fondait sur les objectifs très modestes du protocole de Kyoto. Des simulations plus récentes cohérentes avec l’objectif de division par quatre des émissions des pays riches d’ici 2050 aboutissent à des tarifs bien plus élevés, pouvant dépasser 600 euros la tonne de CO2 à l’horizon 2050. Quant aux « prix » du carbone fournis par les marchés des permis d’émission, ils représentent sans doute la pire des méthodes pour indiquer une valeur acceptable (voir le dernier billet).
Ce panorama partiel (voir les annexes, pour les courageux seulement) des méthodes d’économistes et de leurs incertitudes ne donne guère confiance, BIEN QUE CERTAINES ÉVALUATIONS EN TERMES DE COÛTS OBSERVABLES DE « CONSERVATION » ME SEMBLENT PERTINENTES ET MÉRITENT EXAMEN DANS DES CAS PRÉCIS dès lors qu’on ne leur fait pas dire plus que ce qu’elles disent. J’ai pour ma part présenté sur ce blog de façon critique les évaluations économiques de la pollinisation par les abeilles, des services agricoles des chauves-souris ou de certains services des zones humides. Trois cas où il n’était pas question de coûts de conservation.
Billet suivant : des possibilités dignes d’examen
ANNEXE TECHNIQUE 1 : les catégories des économistes de l’environnement. Source : La Revue du CGDD (Commissariat général au développement durable), décembre 2010 : « Donner une valeur à l’environnement : la monétarisation, un exercice délicat mais nécessaire ». Accès en ligne via ce lien.
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ANNEXE 2 : la « valeur d’existence » des économistes n’a pas grand-chose à voir avec la              « valeur intrinsèque » de la nature
Dans le schéma précédent, figure, à droite, une « valeur d’existence » qui a bien pour origine l’idée de valeur intrinsèque de la nature. Il s’agit pour ces économistes, de tenter d’attribuer une valeur MONÉTAIRE à une valeur intrinsèque dont j’ai affirmé qu’elle n’en avait pas. Leur principale méthode pour « révéler » une valeur monétaire inexistante est, à nouveau, celle du consentement à payer, celle qu’ils utilisent quand aucune autre ne peut être appelée en renfort. Ce que j’ai dit de cette méthode la condamne à mes yeux pour des raisons multiples, auxquelles j’ajoute cet argument d’ordre éthique : avec elle, tout pourrait avoir un prix, même les choses les plus sacrées. D’ailleurs, dans la revue du CGDD dont le schéma précédent est extrait, on trouve cette affirmation honnête : « les méthodes de monétarisation ne permettent pas toujours de calculer des valeurs d’options, de legs ou d’existence…. »
ANNEXE 3 : une typologie des méthodes. Source : le rapport de Bernard Chevassus-au-Louis (2009).
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