Une fois n’est pas
coutume, le Tribunal international des évictions, qui s’installera dès demain à
Genève, aura une bonne nouvelle à commenter. La Junta d’Andalousie, dans
le sud de l’Espagne, a commencé hier à appliquer sa «loi sur la fonction sociale du logement». Adopté à fin septembre
par le parlement régional, ce texte pénalise financièrement les propriétaires d’habitations qui
laisseraient leurs biens inoccupés. Il prévoit également que l’Etat
suspende jusqu’à trois ans l’expulsion des familles fragilisées, grâce à un
mécanisme d’expropriation temporaire.
Un couple de Huelva et
leurs deux enfants, vivant des seuls ménages de la mère, sont depuis hier les
premiers à bénéficier de la mesure, qui limite les remboursements exigibles à 25% du revenu familial. Et quelque
130 nouveaux cas sont déjà dans le pipeline de l’administration régionale.
Face à l’épidémie
d’évictions qui sévit en Espagne, l’action de la coalition rose-rouge andalouse
peut paraître modeste, elle a toutefois valeur d’exemple. La majorité politique
au pouvoir à Séville a pris ses responsabilités vis-à-vis des populations
qu’elle prétend défendre et n’a pas craint d’affronter l’Etat espagnol ainsi
que ses alliés financiers et médiatiques, ulcérés par cet affront à l’idéologie
dominante. La droite, qui était parvenue à faire échouer un premier texte de la
Junta devant la justice, pourrait tenter de récidiver.
Reste que la décision de
la Junta ravive l’espoir d’un changement de paradigme dans ce pays que les milieux immobiliers n’ont cessé de
corrompre depuis des décennies. Arrosant
partis, médias, associations et même banquiers, les promoteurs ont joué sans
entraves au Monopoly et constitué des fortunes immenses. Jusqu’à la
faillite de cette gigantesque escroquerie, en 2007, qui a mis l’économie
espagnole à genoux.
Banquiers et promoteurs tentent maintenant de se
refaire sur le dos des 83% de propriétaires que compte l’Espagne, beaucoup s’étant imprudemment endettés avec des
contrats à la limite de la loi. Depuis l’éclatement de la bulle hypothécaire, 400 000 familles ont perdu leur logement,
soit 3% des foyers; en 2013, cela représente une éviction toutes les sept secondes, parfois marquée par un suicide,
parfois par une résistance désespérée, souvent dans l’indifférence.
La Plate-forme des
affectés par l’hypothèque (PAH), proche des Indignés, assure avoir empêché
quelque 800 expulsions et facilité autant de relogements. Une goutte d’eau
statistique mais un mouvement populaire indispensable pour sortir les victimes
de l’ombre et leur redonner la dignité d’acteur. L’affaire a fini par remonter
en mars dernier jusqu’au Tribunal de justice de l’UE, qui a forcé Madrid à
réformer – un peu – son droit hypothécaire. Mais elle n’a pas encore
permis de rompre le tabou des habitations vides, au moins 8 millions.
Stigmate d’une politique cautionnée naguère par les socialistes «raisonnables»
de Zapatero, qui avaient subordonné le droit au logement à celui du profit.
Benito Perez
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