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dimanche 20 octobre 2013

Préserver la nature...(1/4)



Préserver la nature en lui donnant un prix (ou une valeur monétaire) ? (1/4 : le décor)
Ce billet et trois autres à venir (oui, hélas, trois) sont une version un peu révisée de ce que j’ai présenté au cours d’une conférence organisée le 3 octobre à Namur par une fédération d’organisations et associations environnementales (IEW). Ce thème redoutable m’avait été proposé, et je l’ai imprudemment accepté : peut-on mettre des instruments monétaires, voire des prix, au service de la « préservation » de la nature ? Pour les lecteurs ne souhaitant pas entrer dans la totalité des quatre billets, un résumé en deux pages téléchargeable sera fourni en fin de parcours.
En me centrant ici sur les outils économiques et monétaires, je peux donner l’impression que je les survalorise. Or telle n’est pas mon opinion. Pour préserver la nature, il faut des règles, des normes, des lois, de l’éducation, de la démocratie vivante, des travaux scientifiques. Il faut une information fiable, des métiers, une vitalité associative et des mobilisations, des réformes des institutions politiques, des lanceurs d’alerte, de nouveaux indicateurs de richesse, et bien d’autres choses qui comptent beaucoup plus à mes yeux que les comptes et concepts économiques et les outils correspondants. Mais ces derniers ont actuellement le vent en poupe et il importe d’y réfléchir, en admettant un fait massif : nos rapports avec la nature ont AUSSI une composante économique.
PRÉSERVER LA NATURE ?
« Préserver la nature », alors que l’activité humaine la transforme un peu partout dans le monde, n’est pas évident à concevoir. J’en dis quelques mots, en m’inspirant de la façon dont Dominique Méda (les citations qui vont suivre sont d’elle) aborde cette idée au chapitre 9 de son livre récent « la mystique de la croissance » en partant d’une question : « que souhaitons-nous transmettre aux générations futures ? Qu’est-ce qui compte ? ».
Pour les économistes néoclassiques qui ont investi ce champ dès les années 1970, dont Robert Solow (mais lui-même reprend des travaux antérieurs, dont la « règle de Hartwig »), il n’y a pas de vrai problème : nous pouvons puiser sans limites dans les richesses naturelles. L’essentiel est que l’appauvrissement du patrimoine naturel, considéré comme un « capital » au service exclusif du niveau de vie, soit compensé par l’accroissement de substituts produits par l’activité humaine. Et ces gens-là supposent qu’on trouvera toujours des substituts. Cela permettrait de préserver non pas la nature, mais la somme des « capitaux » naturels, économiques et « humains », tous mesurés en monnaie, dont dépend le seul objectif qui vaille, je cite Solow, « le plus haut niveau de consommation par tête », représentatif de l’utilité. Cette conception utilitariste et économiste reste extraordinairement présente au plus haut niveau, par exemple dans l’indicateur dit d’épargne nette ajustée de la Banque mondiale ou dans des modèles macro-économiques de soutenabilité.
Elle est combattue, du côté notamment de l’écologie politique ou de réseaux citoyens, au nom d’une autre vision de la « préservation », une vision « anti-utilitariste et anti-anthropocentrée », la Nature a UNE VALEUR INTRINSÈQUE, NON ÉCONOMIQUE, MAIS AUSSI NON RÉDUCTIBLE AUX SERVICES ET AUX SATISFACTIONS DIVERSES (Y COMPRIS NON ÉCONOMIQUES) QU’ELLE REND AUX SEULS HUMAINS. Elle a une valeur par ce qu’elle est, parce qu’elle est, et pas seulement pour ce qu’elle « fait » aux humains.
Je poursuis, en adoptant la conception précédente. Dès lors que les activités humaines vont continuer à « exploiter » la nature, comment « l’exploiter » en la préservant, et en quel sens ? Ma réponse est, toujours en m’inspirant de D. Méda : il faut non pas « l’exploiter », mais en user en fonction de besoins humains essentiels mis en délibération, en tenant compte de sa finitude, de ses contraintes de régénération (pour les ressources renouvelables) et de la bonne santé de ses écosystèmes. EN PRENDRE SOIN (termes que je préfère à « préserver », qui peut laisser entendre qu’on met la Nature sous cloche. Du côté de l’écologie scientifique on utilise aussi le terme de « conserver », dans le sens du maintien du potentiel évolutif et du soin apporté au système dynamique d’interactions entre organismes vivants) au nom à la fois de sa valeur intrinsèque et des besoins anticipés des générations futures, avec une part d’inconnu qui oblige à être encore plus prudent. Nous considérer comme des « usufruitiers » et pour cela « dresser un inventaire des éléments nécessaires à l’inscription de nos sociétés dans la durée ». Rien à voir avec le calcul d’un capital naturel monétaire en monnaie.
Je peux en venir à la place éventuelle de la monétarisation dans la gestion pratique et politique de ces objectifs généraux.
LA MONÉTARISATION MARCHANDE EXISTANTE NE SIGNIFIE PAS QUE LA NATURE A UN PRIX
Il y a longtemps que « la nature », pour certaines de ses composantes, est d’une certaine façon devenue une marchandise (pas comme les autres, ou « quasi-marchandise »). On a des prix de marché des terres, des hectares de forêts vendues ou louées, des concessions d’exploitation de diverses ressources du sous-sol, des rentes foncières ou minières, etc.
Dans ces cas où une forme de marché existe, il faut toutefois se demander si c’est bien « la nature » à laquelle le marché et ses acteurs attribuent un prix. Prenons le cas d’une forêt. Pour que des prix de marché apparaissent, il faut d’abord qu’elle ait un ou des propriétaires, privés ou publics, et que les « services » divers qu’elle peut rendre (ses usages) fassent l’objet d’interdictions d’en bénéficier gratuitement. Cela est d’ailleurs vrai, dans le capitalisme, pour toute marchandise, qui n’accède à ce statut que sur la base de droits de propriété. La forêt peut être louée à des chasseurs. Elle peut être exploitée pour son bois. On peut avoir un droit d’entrée pour s’y promener. Pour chacun de ces « services », on peut donc avoir un marché et des prix. Aucun de ces prix partiels ne peut représenter une valeur ou un prix de la forêt. La somme des recettes de la vente des services marchands de cette forêt indique le degré de marchandisation ou “monétisation” de ses usages, pas une valeur économique intrinsèque de la forêt comme entité, comme écosystème vivant. Voici une analogie, qui a ses limites : une communauté humaine peut bien rendre divers services ou entretenir des échanges marchands avec d’autres communautés, la valeur monétaire totale de ces services ne dira rien de sa « valeur intrinsèque » comme communauté, de la richesse de ses relations, de sa culture et de sa vitalité, etc.
Enfin, si le propriétaire de cette forêt la vend, le prix ne signalera pas non plus sa valeur dans un sens identique à celui de la valeur des marchandises issues des processus de production classiques de l’industrie ou des services marchands. Pour trois raisons.
La première est que la « production » ou reproduction d’une forêt n’est pas principalement le résultat d’une activité humaine, mais celui de processus naturels, ici la photosynthèse, entre autres. L’activité humaine peut y jouer un rôle (plantation, entretien, reboisement…), mais il est secondaire. C’est encore plus vrai pour des forêts primaires qui ne résultent d’aucune plantation. La seconde raison est que cette forêt rend des « services » gratuits à la collectivité (billet suivant) bien au-delà de ce qui peut être vendu.
La troisième raison, déjà évoquée, est que cette forêt ne se contente pas de rendre des services aux humains, elle remplit des « fonctions écologiques » sur un mode systémique et c’est pour cela qu’il faut parler de valeur intrinsèque de la forêt comme écosystème dynamique.
En d’autres termes, dans ce cas comme dans d’autres, il est illusoire de vouloir attribuer un prix à « la nature forestière », même quand il y existe de nombreux prix partiels dans un système fondé sur la privatisation par certains et sur l’exclusion des autres, condition d’existence de marchés dans le capitalisme.
Jean Gadrey
Jean Gadrey, né en 1943, est Professeur honoraire d'économie à l'Université Lille 1.
Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères). S'y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques), réédité en 2012 avec une postface originale. Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.
Billet suivant : monétariser ce qui est gratuit ? (2/4)
1- L’exemple de la forêt est intéressant à double titre.
Nul ne conteste le caractère irremplaçable des forêts primaires tropicales du point de vue de la diversité et des grands équilibres climatiques et écologiques; de ce point de vue on ne peut monétariser l’existence de ces forêts. Et pourtant “En 2007, Rafael Correa avait proposé à l’ONU de ne pas exploiter le bloc Ishpingo, Tambococha et Tiputini (ITT), dont les réserves sont estimées à 920 millions de barils de pétrole représentant 20 % des réserves de l’Equateur, le plus petit pays membre de l’OPEP. En échange, il demandait à la communauté internationale une compensation de 3,6 milliards de dollars sur 12 ans à titre de contribution pour la lutte contre le réchauffement climatique et pour éviter l’émission de 400 millions de tonnes de CO2, responsables des gaz à effet de serre.” (Source: http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2013/08/16/equateur-correa-se-resout-a-exploiter-le-petrole-du-parc-yasuni_3462259_3222.html)
Après n’avoir perçu que 0,4% des sommes demandées le président a décidé très récemment d’autoriser l’exploitation. En même temps, le gouvernement équatorien a décidé de traduire la multinationale pétrolière Chevron devant la Cour pénale internationale de La Haye pour les dommages causés à l’environnement durant les vingt-six années d’exploitation en forêt amazonienne est estimés à environ 20 milliards de dollars. On voit donc bien que la monétarisation finit toujours par une affaire de gros sous! Sans parler de ces sordides histoires de compensation écologique des riches: un voyage en avion contre un four en terre ou quelques eucalyptus dans de pauvres pays déjà pillés ou ruinés par les puissantes oligarchies des mêmes riches.
2- Le FMI vient de donner ses prévisions pour l’année 2014. La situation des pays industrialisés peut se résumer en quatre mots : ils sont en faillite.
1- Japon : dette publique de 242,3 % du PIB.
2- Grèce : dette publique de 174 % du PIB.
3- Italie : dette publique de 133,1 % du PIB.
4- Portugal : dette publique de 125,3 % du PIB.
5- Irlande : dette publique de 121 % du PIB.
6- Etats-Unis : 107,3 % du PIB.
7- Espagne : 99,1 % du PIB.
8- Royaume-Uni : 95,3 % du PIB.
9- France : 94,8 % du PIB.
Le FMI ne parle pas de la Belgique. En mars 2013, la dette publique de la Belgique était de 104,5 % du PIB.

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