Comment canaliser la
fièvre innovatrice de nos sociétés? Garder ce qui est bon, écarter ce qui est
mal, après avoir défini ces catégories? Questions au cœur du livre de Benjamin
Sourice, Plaidoyer pour un contre-lobbying citoyen. Sa thèse: les industriels pervertissent les institutions censées
protéger la société contre les risques de leurs innovations. Et la
meilleure manière de parer cette action consiste à y opposer des
contre-pouvoirs citoyens. Lanceurs d’alertes, expertises indépendantes,
conférences de citoyens… En voici les outils, présentés dans un ouvrage qui
mérite une lecture attentive.
Le moteur à technologies
tourne à plein régime. Effet de l’explosion des connaissances sur la matière et
le vivant, des interactions croissantes entre disciplines qui s’incarnent dans
des objets où physique, chimie, biologie et informatique entrent en synergie.
Mais aussi d’un capitalisme où concurrence et captation de richesse par
conquêtes ou créations de marchés via des produits «nouveaux» sont au cœur du
modèle suivi par les industriels et les gouvernements. Une démarche quasi
maladive, dont l’un des symptômes est le crédit d’impôt recherche (CIR), dont
le principe est: «Toute recherche privée est si bonne qu’elle mérite le soutien
des deniers publics.» Or, les technologies ainsi boostées sont souvent
productrices d’effets contradictoires et peuvent présenter des risques pour la
santé publique, celle des travailleurs concernés, ou l’environnement. Comment
contenir ces risques si les élus et les agences de sécurité sanitaire sont
victimes des manœuvres, ou complices, des industriels?
La réponse de Benjamin
Sourice peut sembler couler de source. L’histoire montre que la mobilisation
citoyenne peut contrer l’action des lobbies industriels et déboucher sur des
décisions majeures comme sur l’usage de l’amiante. Ou corriger l’action d’une
communauté médicale de bonne foi comme pour les associations de patients.
Un pari dangereux ?
Toutefois, considérer
qu’elle pourrait remplacer l’action de l’Etat —par ses services propres ou ses
agences externalisées de l’exécutif, chargés de la sécurité sanitaire ou du
contrôle d’activités à risques— suppose, outre son «innocence» qui découlerait
d'une absence de conflit d'intérêts autre qu'idéologique, qu’elle atteigne le
niveau de compétence nécessaire quelle que soit la technologie en cause. Ce
serait là un pari fort dangereux.
L’objectif prioritaire de
l’action politique et citoyenne dans ce domaine semble plutôt le bon
fonctionnement de l’expertise et du contrôle publics des risques. Il suppose
une alliance de compétence, de probité, d’indépendance (d’esprit et
institutionnelle) et de transparence. Cette alliance à vérifier en permanence
—c'est probablement là, «qui va contrôler des contrôleurs», que subsiste un
point aveugle des systèmes actuels— repose également sur les responsables
politiques puisque ces agences sont dirigés par des personnes nommées par le
pouvoir politique, le Président de la République, le gouvernement ou les
Assemblées élues. Denis Baupin, député EE-LV, soulignait le 13 février,
lors de l’audition de Pierre-Franck Chevet, le président de l’Autorité de
sûreté nucléaire, son propos «sans langue de bois» et la «transparence» de son
action. Un résultat certes à l’actif des gouvernements et députés qui l’ont
instituée, mais aussi des mouvements citoyens inquiets du risque nucléaire.
Sylvestre Huet, le 11 mars 2014
Bonjour,
Merci M. Huet d'avoir consacré une chronique à mon
livre, première publication sous ma plume.
J'aimerais souligner que
dans mon idée, comme dans mon propos, je ne parle jamais de "lobby
citoyen" qui viendrait contre-balancer un lobby industriel légitimé. En
effet, selon moi il s'agit tout simplement de l'expression de la démocratie que
d'impliquer le citoyen dans la décision publique et l'expression de l'intérêt
général.
Le lobbying, en revanche,
n'a pas cette dimension démocratique, mais cherche à favoriser l'expression
d'intérêts particuliers, voir financiers.
Loin de quelconques
clichés "complotistes", ce qui est au cœur de ce plaidoyer pour un
contre-lobbying citoyen, ce n’est pas la seule dénonciation d’une capture de la
décision publique par les lobbies.
C'est avant tout un
questionnement sur les conditions d'une participation réelle du citoyen dans le
cadre d’une démocratie renouvelée et réconciliée avec l’idée d'un progrès pour
tous.
Benjamin Sourice
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