Glanage, cueillette et partage des aliments : comment éviter le gaspillage
Pour
se nourrir à moindre frais à la campagne, éviter le gaspillage en ville
ou pour le simple plaisir de trouver soi-même ses repas, le glanage et
la cueillette reviennent au goût du jour. Glaneurs des marchés et
glaneurs des champs réinventent ce droit d’usage, un peu tombé en
désuétude. D’autres font pousser des fruits et légumes en libre-service,
dans leur jardin ou les espaces publics. Une véritable philosophie de
vie, qui change notre rapport aux aliments, à la nature, à la gratuité
et au partage. Devenir glaneur-cueilleur, partager sa nourriture : mode
d’emploi.
- « Chaque année, quand la récolte des pommes de terre est terminée,
je vois arriver les glaneurs. Il y a toujours des tubercules qui
passent au travers des machines. Plutôt que de les laisser pourrir sur
place, je laisse les gens les ramasser à la main. Ce n’est pas un manque
à gagner, je vends de gros volumes. C’est plutôt l’occasion de discuter
de mon métier », témoigne Éric Fallou, président de la Fédération
nationale des producteurs de plants de pommes de terre et agriculteur en
Eure-et-Loir. Il est l’un des rares à accepter de témoigner. Car le
glanage, autrefois très répandu dans nos campagnes, est devenu tabou.
Les agriculteurs sont attachés à la propriété privée. Et les glaneurs
craignent d’être assimilés à des précaires. Ce qu’ils sont parfois, mais
pas toujours. Glaner permet certes de réaliser des économies, mais
aussi de limiter le gaspillage. C’est d’abord une philosophie de vie. Ce
droit d’usage, un peu tombé en désuétude, reste à réinventer.
Que dit la loi ?
On distingue le glanage, qui consiste à ramasser ce qui reste au sol après la récolte, du grappillage, qui consiste à cueillir ce qui reste sur les arbres ou dans les vignes. En 1554, un édit royal stipule que le glanage est autorisé aux pauvres, aux malheureux, aux gens défavorisés, aux personnes âgées, aux estropiés et aux petits enfants ! Ce texte est toujours en vigueur, mais on se référera plutôt à l’article 520 du code civil et à l’article R26 du code pénal pour établir un cadre juridique. Un collectif de juristes montpelliérain déduit de ces textes que le glanage est désormais autorisé pour tous, après la récolte et en journée, sauf arrêté municipal contraire. Il reste cependant interdit sur un terrain clôturé. Dans les faits, les propriétaires d’un champ ouvert apprécieront que vous veniez leur demander la permission. Le grappillage, lui aussi, est licite dans les mêmes conditions, mais la jurisprudence l’assimile fréquemment au maraudage, donc au vol. Par précaution, limitez-vous aux fruits tombés ou demandez aux propriétaires. Enfin, le râtelage qui consiste à utiliser un instrument est considéré comme une récolte. Il est donc interdit.
Un réseau pour cueillir
Aujourd’hui, c’est surtout chez les gros producteurs d’oignons ou de pommes de terre qu’on observe encore des scènes de glanage. Mais si l’on veut glaner sain, mieux vaut se tourner vers des agriculteurs bios. Les volumes sont moindres, mais les surplus existent. « Suite au désistement d’un client, j’ai laissé grainer 500 salades sur pied, regrette Sébastien Corneaux, maraîcher bio en Saône-et-Loire. Si j’avais connu un réseau de glaneurs, j’aurais pu faire des heureux. »
Réseau, le mot est lâché. L’association Ondine, spécialisée dans les circuits courts, tente de mettre en place un glanage organisé avec les producteurs bios des Monts du Lyonnais. « Le terme fait peur à la chambre d’Agriculture. Mais on va se lancer sans elle, car les producteurs sont partants, explique Michel Gontier, bénévole à Ondine. Nous allons créer une plateforme internet sur laquelle les paysans pourront indiquer les jours et les lieux de glanage. En bio, on pratique la rotation des cultures. On ne peut pas laisser traîner des patates ou des carottes si l’on veut mettre des épinards ou des blettes. Il faut assainir le sol en récoltant l’intégralité du champ. Le glanage, c’est du temps de gagné pour les agriculteurs ! » Si vous connaissez des maraîchers bios, proposez-leur donc vos services.
Cinq tonnes de fruits !
Beaucoup de fruitiers sont devenus des arbres d’agrément et ont perdu leur fonction nourricière. Lassé de voir pourrir des fruits sur pied dans les jardins et vergers autour de Dijon, Thierry Deiller, fondateur de l’association Relais Planète solidaire, a décidé de les ramasser. « En septembre 2007, j’ai lancé un appel à travers la presse locale. Des dizaines de particuliers m’ont ouvert leur jardin. À l’automne 2009, avec un groupe de bénévoles, nous avons organisé notre première collecte Fruimalin et récolté cinq tonnes de fruits ! » L’expérience s’est renouvelée et Fruimalin est aujourd’hui une activité économique qui salarie une personne à l’année. Les plus beaux fruits – environ 10 % de la récolte – sont donnés au propriétaire du jardin, aux bénévoles qui les ramassent et au secteur caritatif. Le reste est transformé en confitures ou en jus, que l’association vend sur les marchés.
Pour ce faire, le collectif a investi dans un local aux normes, une chambre froide, un pressoir, etc. L’initiative rencontre un vrai succès chez les anciens, soucieux de ne pas gaspiller, et les paysans à la retraite qui disposent d’un verger, mais n’ont plus la force de récolter. Ainsi entretenus, les arbres conservent leur capacité de production. L’association cueille également dans la nature et chez des producteurs bios qui donnent leurs surplus ou les produits recalés au tri. « Notre modèle est reproductible. Avec sept tonnes de fruits et légumes diversifiés par an, on peut créer un emploi », témoigne Thierry Deiller. Soutenus par la Région, en 2014, quatre autres Fruimalin [1] vont se monter en Bourgogne.
Dessiner sa carte de glanage
La nature est un autre lieu de glanage. On parle alors de cueillette sauvage. Francis Nicolas, ancien cadre bancaire à Orléans, n’est pas dans le besoin, mais il adore arpenter la campagne à la recherche de nourriture. En homme organisé, il a reporté sur une carte IGN tous les lieux autour de son domicile où il trouve de quoi se sustenter en fonction des saisons. « Je me promène à vélo. Je suis à l’affût de ce que la nature peut m’offrir. Avec le temps, mon regard s’est aiguisé, explique-t-il. Quand je trouve de la mâche sauvage, j’observe dans quel sens vont les vents dominants et je marche en direction du premier talus. Les graines vont se fixer dessus. Je trouve systématiquement de nouvelles pousses. »
Francis est un adepte des salades sauvages. Il cueille aussi des baies d’églantier, de genévrier, de sureau, des prunelles, des noix, des merises et des pommes qu’il transforme en sirop, en apéritif, en compote et en confiture. Il est également grand amateur de champignons. « Je me nourris pour moitié avec un panier bio acheté à des producteurs, pour moitié avec ce que je trouve dans la nature, confie-t-il. Malgré une économie de plus de 100 euros par mois, ma motivation n’est pas pécuniaire. C’est juste pour le plaisir de cueillir ce que la nature nous donne. » Un conseil, quand vous trouvez un bon coin, indiquez- le sur votre carte et laissez toujours quelques pousses… En prévision de votre prochain passage.
Les bons conseils d’un guide nature
Quand on se promène avec Anthony Charretier, on s’arrête tous les trois mètres. Ici, ce sont de jeunes orties qui attirent son attention. Là, de l’oseille sauvage. Plus loin, du plantain, qu’il délaisse car il l’estime déjà trop dur pour être cueilli. Finalement, il se penche pour ramasser du pourpier. Les feuilles au goût citronné se mangent directement en salade et les tiges plus fermes se cuisent à la vapeur comme des haricots verts. Il termine la balade dans le champ voisin, parsemé de fleurs de mauve. Elles pourront joliment agrémenter une salade, mais s’utilisent le plus souvent en tisane contre la toux.
Sur le chemin du retour, on croise du chénopode blanc, qui se consomme cru ou cuit comme les épinards, et de l’amarante réfléchie dont les graines se préparent comme le quinoa. « Ces deux plantes étaient cultivées dès le néolithique. Aujourd’hui, plus personne ne les connaît, révèle-t-il. On a importé beaucoup de variétés en oubliant ce qui poussait spontanément chez nous. Si l’on plante côte à côte du pissenlit et un pied de tomate, c’est le pissenlit qui pousse le mieux. Normal, la tomate vient des Andes… La nature est un véritable garde-manger pour celui qui sait s’y repérer. On peut même consommer la fameuse renouée du Japon, cette invasive que tout le monde arrache. Je propose des sorties botaniques dans la campagne au grand public. Je suis étonné de voir que personne ne cueille rien. C’est un savoir-faire oublié. »
Cueilleur et animateur nature, Anthony [2] part quotidiennement ramasser une bonne partie de ses repas autour de sa yourte. En vacances dans le Var au printemps dernier, il a juste pris un peu de riz, de l’huile, du sel et du sucre et il a trouvé tous ses repas sur place : asperges sauvages, jeunes pousses de fenouil et de fragon, criste marine au goût de carotte… Avant d’aller glaner, n’hésitez pas à passer une journée avec un guide nature près de chez vous. Vous aurez un bon aperçu de ce que vous pouvez cueillir. À renouveler chaque saison.
Servez-vous !
François Rouillay a longtemps cultivé un petit potager derrière sa maison. Mais ça, c’était avant. Avant qu’il ne découvre les Incroyables Comestibles, un phénomène venu du Royaume-Uni qui consiste à proposer des légumes en libre-service, cultivés devant chez soi. À Colroy-la-Roche, en Alsace, François a ainsi planté des salades, des tomates, des choux, des fraises et des aromatiques dans une jardinière. Ses voisins viennent se servir avant le déjeuner. Et lui-même traverse la rue quand il a besoin de haricots. « Dans le village, nous sommes déjà une dizaine de personnes à avoir installé des bacs. Des gens qui ne se parlaient pas sont devenus amis, cuisinent ensemble. Nous avons créé l’abondance potagère. On comptabilise déjà plus de 200 initiatives comme la nôtre en France et il s’en crée trois par jour dans le monde ! », témoigne-t-il.
Dans certaines communes, les commerçants eux-mêmes proposent un petit bac en libre-service devant leur magasin. Cela attire la clientèle. « Au final, cela change le regard sur l’alimentation. À Todmorden, la commune anglaise où tout a commencé en 2008, la population a totalement repensé sa façon de consommer. Désormais 83 % des achats alimentaires proviennent du local », assure-t-il. Preuve que glanage et gratuité ne sont pas forcément synonymes de manque à gagner.
Précautions d’usage
Ne partez jamais cueillir dans la nature sans une flore. Nicolas Blanche, auteur du livre Sauvagement bon et du blog du même nom, conseille « Fleurs sauvages », en poche chez Larousse. En cas de doute, ne consommez pas ! Un appareil photo sera utile pour identifier plus tard, chez vous, les plantes suspectes. Prévoyez un couteau pour couper net les tiges ou déterrer des légumes racines comme le panais ou la carotte sauvage. Privilégiez les sacs en toile (ou le panier) aux sacs plastiques qui font transpirer les plantes. Vérifiez dans votre flore la liste des espèces protégées et ne cueillez rien dans les réserves naturelles.
Évitez les bords de route, la proximité des usines ou les abords de jardins très propres – vraisemblablement traités – ainsi que les pâturages pour les plantes à consommer crues car beaucoup d’animaux sont porteurs de parasites. Méfiez-vous des plantes aquatiques ou de celles qui poussent près d’un lieu humide. Elles peuvent transmettre la douve du foie. Beaucoup de plantes sauvages ont des tendances allergènes. À consommer en petite quantité, surtout si l’on a des problèmes rénaux ou hépatiques. Mais pas d’affolement, on trouve les mêmes précautions d’usage avec les épinards, l’oseille, la rhubarbe… Avant le passage en cuisine, nettoyez les plantes à l’eau vinaigrée, surtout les salades. Si vous avez un doute, faites cuire à la vapeur à 100 °C, la plupart des parasites ne résistent pas et les plantes conservent l’essentiel de leurs propriétés.
Glaner sur les marchés
À la campagne, peu de gens osent glaner à la fin du marché. Les invendus sont le plus souvent ramenés à la ferme par les producteurs qui les transforment en conserves. Certains en donnent discrètement à un client dans le besoin, mais pas plus. Ce type de glanage est davantage une pratique citadine. Sur les grands marchés urbains, les revendeurs laissent sur place fruits et légumes qui seront invendables le lendemain. Dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, Paul et Cécile se nourrissent depuis deux ans de cette façon, été comme hiver. « Nous avons les moyens de nous acheter de la nourriture, mais nous ne supportons pas de voir ce gaspillage sous nos fenêtres. Avec ce qui est jeté quotidiennement, on pourrait nourrir la moitié du quartier », estime Paul qui vient ici deux fois par semaine.
Sur place, il retrouve une vingtaine d’habitués, des glaneurs de tous âges et de toute condition sociale, plutôt décomplexés, qui se permettent le luxe de choisir. « On ne prend que ce dont on a besoin. Et on échange avec les autres pour éviter de courir à l’autre bout du marché. Il faut agir vite avant que les éboueurs n’enlèvent tout. » Le jour de notre rencontre, ils avaient ramassé, en moins de trente minutes, une grosse pastèque, une dizaine de melons, des fraises, deux kilos d’abricots, plusieurs bottes de radis, des concombres, des courgettes et du pain ! « Nous les mangeons ou nous les transformons aussitôt pour mieux les conserver. Le principal bémol, c’est que ces fruits et légumes, issus de l’agriculture conventionnelle, sont bourrés de pesticides », déplore Cécile. Le jeune couple a déménagé cet automne dans une maison en Normandie et compte désormais vivre de son potager. Bio cette fois.
Dossier réalisé par Stéphane Perraud, paru dans la revue Village (voir ci-dessous), en décembre 2013.
Illustration : Les Glaneuses, du peintre Jean-François Millet
Photos : Lucile Vilboux et Stéphane Perraud, de Village
Pour aller plus loin sur le glanage :
- Film : Les Glaneurs et la glaneuse, d’Agnès Varda (1999).
- Livres : Sauvagement bon, carnet d’un glaneur gourmand, par Nicolas Blanche (Tétras éditions), 14,90 euros. Pour glaner dans la nature, les éditions de Terran proposent une série d’ouvrages régionalisés : Glaner en Normandie, dans la région Centre, en Auvergne, dans les Pyrénées, sur les côtes de Bretagne, dans l’Est, dans le Midi, 20 euros.
Que dit la loi ?
On distingue le glanage, qui consiste à ramasser ce qui reste au sol après la récolte, du grappillage, qui consiste à cueillir ce qui reste sur les arbres ou dans les vignes. En 1554, un édit royal stipule que le glanage est autorisé aux pauvres, aux malheureux, aux gens défavorisés, aux personnes âgées, aux estropiés et aux petits enfants ! Ce texte est toujours en vigueur, mais on se référera plutôt à l’article 520 du code civil et à l’article R26 du code pénal pour établir un cadre juridique. Un collectif de juristes montpelliérain déduit de ces textes que le glanage est désormais autorisé pour tous, après la récolte et en journée, sauf arrêté municipal contraire. Il reste cependant interdit sur un terrain clôturé. Dans les faits, les propriétaires d’un champ ouvert apprécieront que vous veniez leur demander la permission. Le grappillage, lui aussi, est licite dans les mêmes conditions, mais la jurisprudence l’assimile fréquemment au maraudage, donc au vol. Par précaution, limitez-vous aux fruits tombés ou demandez aux propriétaires. Enfin, le râtelage qui consiste à utiliser un instrument est considéré comme une récolte. Il est donc interdit.
Un réseau pour cueillir
Aujourd’hui, c’est surtout chez les gros producteurs d’oignons ou de pommes de terre qu’on observe encore des scènes de glanage. Mais si l’on veut glaner sain, mieux vaut se tourner vers des agriculteurs bios. Les volumes sont moindres, mais les surplus existent. « Suite au désistement d’un client, j’ai laissé grainer 500 salades sur pied, regrette Sébastien Corneaux, maraîcher bio en Saône-et-Loire. Si j’avais connu un réseau de glaneurs, j’aurais pu faire des heureux. »
Réseau, le mot est lâché. L’association Ondine, spécialisée dans les circuits courts, tente de mettre en place un glanage organisé avec les producteurs bios des Monts du Lyonnais. « Le terme fait peur à la chambre d’Agriculture. Mais on va se lancer sans elle, car les producteurs sont partants, explique Michel Gontier, bénévole à Ondine. Nous allons créer une plateforme internet sur laquelle les paysans pourront indiquer les jours et les lieux de glanage. En bio, on pratique la rotation des cultures. On ne peut pas laisser traîner des patates ou des carottes si l’on veut mettre des épinards ou des blettes. Il faut assainir le sol en récoltant l’intégralité du champ. Le glanage, c’est du temps de gagné pour les agriculteurs ! » Si vous connaissez des maraîchers bios, proposez-leur donc vos services.
Cinq tonnes de fruits !
Beaucoup de fruitiers sont devenus des arbres d’agrément et ont perdu leur fonction nourricière. Lassé de voir pourrir des fruits sur pied dans les jardins et vergers autour de Dijon, Thierry Deiller, fondateur de l’association Relais Planète solidaire, a décidé de les ramasser. « En septembre 2007, j’ai lancé un appel à travers la presse locale. Des dizaines de particuliers m’ont ouvert leur jardin. À l’automne 2009, avec un groupe de bénévoles, nous avons organisé notre première collecte Fruimalin et récolté cinq tonnes de fruits ! » L’expérience s’est renouvelée et Fruimalin est aujourd’hui une activité économique qui salarie une personne à l’année. Les plus beaux fruits – environ 10 % de la récolte – sont donnés au propriétaire du jardin, aux bénévoles qui les ramassent et au secteur caritatif. Le reste est transformé en confitures ou en jus, que l’association vend sur les marchés.
Pour ce faire, le collectif a investi dans un local aux normes, une chambre froide, un pressoir, etc. L’initiative rencontre un vrai succès chez les anciens, soucieux de ne pas gaspiller, et les paysans à la retraite qui disposent d’un verger, mais n’ont plus la force de récolter. Ainsi entretenus, les arbres conservent leur capacité de production. L’association cueille également dans la nature et chez des producteurs bios qui donnent leurs surplus ou les produits recalés au tri. « Notre modèle est reproductible. Avec sept tonnes de fruits et légumes diversifiés par an, on peut créer un emploi », témoigne Thierry Deiller. Soutenus par la Région, en 2014, quatre autres Fruimalin [1] vont se monter en Bourgogne.
Dessiner sa carte de glanage
La nature est un autre lieu de glanage. On parle alors de cueillette sauvage. Francis Nicolas, ancien cadre bancaire à Orléans, n’est pas dans le besoin, mais il adore arpenter la campagne à la recherche de nourriture. En homme organisé, il a reporté sur une carte IGN tous les lieux autour de son domicile où il trouve de quoi se sustenter en fonction des saisons. « Je me promène à vélo. Je suis à l’affût de ce que la nature peut m’offrir. Avec le temps, mon regard s’est aiguisé, explique-t-il. Quand je trouve de la mâche sauvage, j’observe dans quel sens vont les vents dominants et je marche en direction du premier talus. Les graines vont se fixer dessus. Je trouve systématiquement de nouvelles pousses. »
Francis est un adepte des salades sauvages. Il cueille aussi des baies d’églantier, de genévrier, de sureau, des prunelles, des noix, des merises et des pommes qu’il transforme en sirop, en apéritif, en compote et en confiture. Il est également grand amateur de champignons. « Je me nourris pour moitié avec un panier bio acheté à des producteurs, pour moitié avec ce que je trouve dans la nature, confie-t-il. Malgré une économie de plus de 100 euros par mois, ma motivation n’est pas pécuniaire. C’est juste pour le plaisir de cueillir ce que la nature nous donne. » Un conseil, quand vous trouvez un bon coin, indiquez- le sur votre carte et laissez toujours quelques pousses… En prévision de votre prochain passage.
Les bons conseils d’un guide nature
Quand on se promène avec Anthony Charretier, on s’arrête tous les trois mètres. Ici, ce sont de jeunes orties qui attirent son attention. Là, de l’oseille sauvage. Plus loin, du plantain, qu’il délaisse car il l’estime déjà trop dur pour être cueilli. Finalement, il se penche pour ramasser du pourpier. Les feuilles au goût citronné se mangent directement en salade et les tiges plus fermes se cuisent à la vapeur comme des haricots verts. Il termine la balade dans le champ voisin, parsemé de fleurs de mauve. Elles pourront joliment agrémenter une salade, mais s’utilisent le plus souvent en tisane contre la toux.
Sur le chemin du retour, on croise du chénopode blanc, qui se consomme cru ou cuit comme les épinards, et de l’amarante réfléchie dont les graines se préparent comme le quinoa. « Ces deux plantes étaient cultivées dès le néolithique. Aujourd’hui, plus personne ne les connaît, révèle-t-il. On a importé beaucoup de variétés en oubliant ce qui poussait spontanément chez nous. Si l’on plante côte à côte du pissenlit et un pied de tomate, c’est le pissenlit qui pousse le mieux. Normal, la tomate vient des Andes… La nature est un véritable garde-manger pour celui qui sait s’y repérer. On peut même consommer la fameuse renouée du Japon, cette invasive que tout le monde arrache. Je propose des sorties botaniques dans la campagne au grand public. Je suis étonné de voir que personne ne cueille rien. C’est un savoir-faire oublié. »
Cueilleur et animateur nature, Anthony [2] part quotidiennement ramasser une bonne partie de ses repas autour de sa yourte. En vacances dans le Var au printemps dernier, il a juste pris un peu de riz, de l’huile, du sel et du sucre et il a trouvé tous ses repas sur place : asperges sauvages, jeunes pousses de fenouil et de fragon, criste marine au goût de carotte… Avant d’aller glaner, n’hésitez pas à passer une journée avec un guide nature près de chez vous. Vous aurez un bon aperçu de ce que vous pouvez cueillir. À renouveler chaque saison.
Servez-vous !
François Rouillay a longtemps cultivé un petit potager derrière sa maison. Mais ça, c’était avant. Avant qu’il ne découvre les Incroyables Comestibles, un phénomène venu du Royaume-Uni qui consiste à proposer des légumes en libre-service, cultivés devant chez soi. À Colroy-la-Roche, en Alsace, François a ainsi planté des salades, des tomates, des choux, des fraises et des aromatiques dans une jardinière. Ses voisins viennent se servir avant le déjeuner. Et lui-même traverse la rue quand il a besoin de haricots. « Dans le village, nous sommes déjà une dizaine de personnes à avoir installé des bacs. Des gens qui ne se parlaient pas sont devenus amis, cuisinent ensemble. Nous avons créé l’abondance potagère. On comptabilise déjà plus de 200 initiatives comme la nôtre en France et il s’en crée trois par jour dans le monde ! », témoigne-t-il.
Dans certaines communes, les commerçants eux-mêmes proposent un petit bac en libre-service devant leur magasin. Cela attire la clientèle. « Au final, cela change le regard sur l’alimentation. À Todmorden, la commune anglaise où tout a commencé en 2008, la population a totalement repensé sa façon de consommer. Désormais 83 % des achats alimentaires proviennent du local », assure-t-il. Preuve que glanage et gratuité ne sont pas forcément synonymes de manque à gagner.
Précautions d’usage
Ne partez jamais cueillir dans la nature sans une flore. Nicolas Blanche, auteur du livre Sauvagement bon et du blog du même nom, conseille « Fleurs sauvages », en poche chez Larousse. En cas de doute, ne consommez pas ! Un appareil photo sera utile pour identifier plus tard, chez vous, les plantes suspectes. Prévoyez un couteau pour couper net les tiges ou déterrer des légumes racines comme le panais ou la carotte sauvage. Privilégiez les sacs en toile (ou le panier) aux sacs plastiques qui font transpirer les plantes. Vérifiez dans votre flore la liste des espèces protégées et ne cueillez rien dans les réserves naturelles.
Évitez les bords de route, la proximité des usines ou les abords de jardins très propres – vraisemblablement traités – ainsi que les pâturages pour les plantes à consommer crues car beaucoup d’animaux sont porteurs de parasites. Méfiez-vous des plantes aquatiques ou de celles qui poussent près d’un lieu humide. Elles peuvent transmettre la douve du foie. Beaucoup de plantes sauvages ont des tendances allergènes. À consommer en petite quantité, surtout si l’on a des problèmes rénaux ou hépatiques. Mais pas d’affolement, on trouve les mêmes précautions d’usage avec les épinards, l’oseille, la rhubarbe… Avant le passage en cuisine, nettoyez les plantes à l’eau vinaigrée, surtout les salades. Si vous avez un doute, faites cuire à la vapeur à 100 °C, la plupart des parasites ne résistent pas et les plantes conservent l’essentiel de leurs propriétés.
Glaner sur les marchés
À la campagne, peu de gens osent glaner à la fin du marché. Les invendus sont le plus souvent ramenés à la ferme par les producteurs qui les transforment en conserves. Certains en donnent discrètement à un client dans le besoin, mais pas plus. Ce type de glanage est davantage une pratique citadine. Sur les grands marchés urbains, les revendeurs laissent sur place fruits et légumes qui seront invendables le lendemain. Dans le quartier de la Croix-Rousse à Lyon, Paul et Cécile se nourrissent depuis deux ans de cette façon, été comme hiver. « Nous avons les moyens de nous acheter de la nourriture, mais nous ne supportons pas de voir ce gaspillage sous nos fenêtres. Avec ce qui est jeté quotidiennement, on pourrait nourrir la moitié du quartier », estime Paul qui vient ici deux fois par semaine.
Sur place, il retrouve une vingtaine d’habitués, des glaneurs de tous âges et de toute condition sociale, plutôt décomplexés, qui se permettent le luxe de choisir. « On ne prend que ce dont on a besoin. Et on échange avec les autres pour éviter de courir à l’autre bout du marché. Il faut agir vite avant que les éboueurs n’enlèvent tout. » Le jour de notre rencontre, ils avaient ramassé, en moins de trente minutes, une grosse pastèque, une dizaine de melons, des fraises, deux kilos d’abricots, plusieurs bottes de radis, des concombres, des courgettes et du pain ! « Nous les mangeons ou nous les transformons aussitôt pour mieux les conserver. Le principal bémol, c’est que ces fruits et légumes, issus de l’agriculture conventionnelle, sont bourrés de pesticides », déplore Cécile. Le jeune couple a déménagé cet automne dans une maison en Normandie et compte désormais vivre de son potager. Bio cette fois.
Dossier réalisé par Stéphane Perraud, paru dans la revue Village (voir ci-dessous), en décembre 2013.
Illustration : Les Glaneuses, du peintre Jean-François Millet
Photos : Lucile Vilboux et Stéphane Perraud, de Village
Pour aller plus loin sur le glanage :
- Film : Les Glaneurs et la glaneuse, d’Agnès Varda (1999).
- Livres : Sauvagement bon, carnet d’un glaneur gourmand, par Nicolas Blanche (Tétras éditions), 14,90 euros. Pour glaner dans la nature, les éditions de Terran proposent une série d’ouvrages régionalisés : Glaner en Normandie, dans la région Centre, en Auvergne, dans les Pyrénées, sur les côtes de Bretagne, dans l’Est, dans le Midi, 20 euros.
-
La revue Village
déniche des initiatives innovantes, ancrées localement, dans le respect
de l’environnement humain et naturel, et transposables près de chez
soi. Le magazine est réalisé par des journalistes ruraux présents dans
les villages pour raconter des histoires vécues. Un excellent outil pour
trouver sa place et s’épanouir à la campagne, mettre en œuvre son idée,
choisir son activité, s’installer en cohérence avec les potentialités
et les qualités du territoire, partager les expériences de ceux qui
vivent à la campagne, découvrir des territoires qui bougent (bio,
solidaires, natures, durables), retrouver des savoirs essentiels,
économes, à portée de tous et les partager avec d’autres, concilier sa
vie personnelle et professionnelle. Pour découvrir Village, c’est ici.
Note :[1] Voir le site internet de l’association..
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire