Vraie bombe pour les nombreuses collectivités
territoriales qui attendent de voir se réaliser leurs projets d'infrastructures
de transports, le rapport remis par Philippe Duron au gouvernement, jeudi 27
juin, est une aubaine pour ceux qui s'opposent au bétonnage du territoire. Le
député socialiste du Calvados préconise la fin du "tout-TGV" et du
"tout-autoroutes", et propose notamment le report (l'abandon ?) de
nombreux projets de lignes à grande vitesse, comme Bordeaux-Hendaye, ou de
tronçons d'autoroutes, tel l'A51 entre Gap et Grenoble, contestés localement.
L'étau se resserre autour des finances des
collectivités locales
Cette proposition de
révision des schémas de transports, dont le premier ministre Jean-Marc Ayrault
a dit qu'il partageait "le diagnostic précis", suffira-t-elle à
calmer la contestation des collectifs locaux formés contre ces projets qu'ils
jugent inutiles, voire néfastes ? Pour quelques-uns d'entre eux peut-être, mais
la fronde ne concerne pas uniquement les grandes infrastructures de transports.
Centres commerciaux,
équipements sportifs, centrales à gaz, projets d'exploitation de gaz de
schiste, déchetteries géantes : les batailles se mènent contre les projets les
plus "modestes", comme le golf gardois de Saint-Hilaire-de-Brethmas,
jusqu'aux plus ambitieux, tel l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes
(Loire-Atlantique). Parfois avec pour seule préoccupation de s'opposer à la
dégradation de son environnement personnel – à l'image du mouvement Nimby ( Not
in my Backyard – "Pas dans mon arrière-cour" !) présent dans d'autres
pays –, mais le plus souvent pour défendre une autre idée de l'intérêt
collectif, du développement économique et de l'utilisation des fonds publics.
Quand des dizaines de
milliers de personnes se rassemblent dans le bocage nantais pour dire non à
Notre-Dame-des-Landes (NDDL), le message va au-delà de l'opposition à ce seul
projet. La création de ZAD – zones d'aménagement différé, rebaptisée "zones
à défendre" par les occupants de NDDL – est devenue le signe commun de ces
révoltes. Militants écologistes, altermondialistes, libertaires, syndicalistes
paysans ou enseignants, novices de la contestation ou vétérans du Larzac des
années 1970 : ils défendent le maintien d'espaces agricoles et contestent les
modes de décision d'un pouvoir jugé trop centralisé.
ZÈLE DES ÉLUS
Soixante mille hectares de
terres agricoles disparaissent chaque année. Soit, au bout de sept ans,
l'équivalent de la superficie moyenne d'un département. Cette réalité forme le
terreau des contestations attisées par le zèle d'élus qui, mis en concurrence
par la multiplication des niveaux de gouvernance, rivalisent de projets
"marqueurs de leur territoire".
Comment garder la maîtrise
de son environnement ? Les occupations pour empêcher une quatre-voies ou
l'extraction de gaz de schiste sont devenues une façon de se faire entendre et
ouvrent la perspective d'une possible victoire contre les pouvoirs publics.
"Beaucoup se retrouvent impuissants face à la perte de leur emploi décidée
ailleurs, alors que dans ces luttes, ils savent pouvoir gagner, car ils sont
là, ils occupent le terrain", estime José Bové, député européen Europe
Ecologie-Les Verts et figure des luttes du Larzac.
Nota : Les 8 hectares gelés pour accueillir des entreprises dans le Diois (Zone de Cocause gérée par la Communauté des Communes du Diois) ne rentre pas dans ce cadre. Cette zone co-construite depuis des années avec la plus grande concertation n'a pas provoqué de mobilisation locale, hormis quelques jeunes désinformés par une association extérieure: la CEN de Cornas (07).
Les limites décriées des enquêtes
publiques
La multiplication des
mouvements de protestation à travers la France contre les projets d'aménagement
est le signe d'un malaise croissant à l'égard des mécanismes de décision
collective. Le principal d'entre eux est l'enquête d'utilité publique. Son
principe, introduit en 1834 pour consulter les propriétaires visés par une
procédure d'expulsion, a été profondément réformé en 1983 par Huguette
Bouchardeau, alors ministre de l'environnement.
Mais, observe Jean-Michel
Fourniau, chercheur à l'Institut français des sciences et des technologies des
transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR), "le problème est
que l'enquête intervient en fin de processus, quand la décision est
prise". De surcroît, souligne Françoise Verchère, conseillère générale
(Parti de gauche) de Loire-Atlantique, "l'administration organise souvent
un "saucissonnage" des enquêtes publiques, afin d'empêcher une vision
globale du projet". Il arrive aussi que les données communiquées lors de
l'enquête se révèlent a posteriori fallacieuses, ce qui signifie que le public
a été trompé.
"DÉFIANCE"
Les limites de l'enquête
d'utilité publique ont été perçues depuis près de vingt ans. Cela a conduit à
la mise en place de la procédure de débat public par la loi Barnier de 1995,
qui créait une commission nationale du débat public (CNDP) sur des grandes
infrastructures. Elle a organisé environ 70 débats, selon trois grands
principes : la transparence de l'information, la nécessité d'un débat
argumenté, la représentation équitable des différents acteurs. Cela a pu faire
annuler des projets (comme l'autoroute A 32 entre Metz et Nancy) ou les
modifier (enterrement de lignes à très haute tension). "L'intérêt du débat
public est qu'en principe on discute de l'intérêt du projet tôt dans le
processus de décision, dit Loïc Blondiaux, chercheur en science politique à
l'université Paris-I. Mais, en pratique, cela ne se fait pas, le projet est
souvent décidé en amont, surtout pour le nucléaire."
Ainsi, un débat public
avait eu lieu en 2006 sur les déchets nucléaires, concluant à la nécessité de
stocker les déchets en surface ou proche de la surface. Le choix avait été
balayé par les parlementaires dans la loi de juin 2006, imposant celui de
l'enfouissement en profondeur. "On avait été bafoués, dit Michel Marie, du
Collectif contre l'enfouissement des déchets radioactifs (Cedra), comment
croire ensuite au débat ?" C'est que, observe Christian Leyrit, président
de la CNDP, "l'articulation entre
démocratie participative et démocratie représentative reste compliquée".
Au-delà des procédures,
dit M. Leyrit, "il s'est développé une défiance des citoyens envers les
institutions et l'Etat". "La confiance dans l'utilité alléguée des
projets est devenue très mesurée", observe Loïc Blondiaux. Pour Françoise
Verchère, "les citoyens découvrent assez vite que nombre de projets ne
sont pas réellement d'utilité publique, alors que, par exemple, la création
d'écoles est toujours bien acceptée, parce que l'utilité ne fait pas de
doute."
Et puis, plus largement,
des divergences de fond existent souvent entre les promoteurs des projets et
leurs contradicteurs : "Le changement climatique est un bon exemple, dit
Jean-Michel Fourniau, soit on tire la conséquence du fait que la crise
climatique est d'origine anthropique, soit on le conteste. A un moment, on ne
peut plus discuter. Le projet local n'est plus le coeur du sujet. Faire un
aéroport à Notre-Dame-des-Landes, c'est favoriser un mode de
développement."
Y a-t-il des remèdes à
cette crise de la décision ? Sans doute : les méthodes de conférence de
citoyens ou d'assemblée citoyenne ont fait leurs preuves. Mais il y faut un
ingrédient indispensable : le désir des responsables d'entendre les citoyens.
Hervé Kempf
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