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vendredi 19 juillet 2013

En Drôme sur les routes du nucléaire...



Un été sur la route du nucléaire
Partis le 1er juillet de Narbonne (Aude), les marcheurs atteindront la commune de Blyes (Ain), près de la frontière suisse, le 27 juillet.
Sur plus de 500 kilomètres, des marcheurs refont le trajet à risque emprunté régulièrement par des produits de la filière nucléaire. L’action s’achèvera aux portes de la Suisse.
- Sous les hautes cheminées du site de Tricastin dans la Drôme, des militants antinucléaire donnent de la voix ce lundi 15 juillet: «Fukushima Non! Hiroshima, non!» scandent-ils, ligotés entre eux par une corde avant de se libérer au son de l’accordéon en dansant et en chantant «choose your future!».
La centrale du Tricastin est l’étape à mi-parcours de «la marche internationale pour la paix et un monde sans nucléaire», épaulée par le réseau Sortir du nucléaire et l’organisation australienne FootPrints for Peace. Des Australiens ont d’ailleurs fait le déplacement pour rappeler la menace sur les peuples aborigènes que font peser des mines d’uranium qui fournissent la France.
Ils sont partis le 1er juillet de Narbonne (Aude) et atteindront la commune de Blyes (Ain), près de la frontière suisse, plus de 500 kilomètres au nord, le 27 juillet. Armés de drapeaux du climat arc-en-ciel («climate flag»), leur parcours suit celui de l’uranium depuis le premier maillon de la chaîne: l’usine Comurhex de Malvési, porte d’entrée du nucléaire en France. Quelque 26% de la production mondiale y transite, selon le réseau antinucléaire. La dernière étape, à la centrale du Bugey, est atteinte en passant par les installations de transformations du Languedoc-Roussillon et de la vallée du Rhône.
Transports peu sécurisés
«Les Français entendent parler des centrales, de la problématique des déchets, mais ils ne connaissent pas les maillons de la chaîne et les risques qui y sont liés», explique la co-organisatrice de la marche Marion Roffino. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) estime à 900 000 le nombre de «colis» de substances radioactives déplacés chaque année en France. «Par camion ou par train, les trajets ne sont pas assez sécurisés. Les trains ne sont d’ailleurs pas non plus à l’abri d’accidents comme nous l’avons vu vendredi dernier (le déraillement du train de voyageurs en gare de Bretigny qui a fait six morts, ndlr)», note Jocelyn Peyret, de Sortir du nucléaire et autre organisateur de la marche.
Le 21 janvier 2013, à Saint-Rambert d’Albon (Drôme), un wagon venant du site du Tricastin et transportant des conteneurs d’oxyde d’uranium avait quitté la voie ferrée. Un voyage, comme tant d’autres, réalisé à l’insu de la population. Jocelyn Peyret raconte ainsi avoir suivi il y a deux mois un camion radioactif avant que celui-ci ne stationne tranquillement sur une aire d’autoroute...
Quelques journalistes et photographes sont présents sur les lieux de l’action des écologistes, certains attirés par le «coup» réalisé par Greenpeace quelques heures auparavant. Les forces de l’ordre sont en nombre. Au moins cinq véhicules sont stationnés à proximité des marcheurs. Vingt-neuf membres de Greenpeace sont parvenus à pénétrer au sein du site, dévoilant ainsi sa sécurité déficiente.
Action coup de poing
La centrale du Tricastin est une des cibles prioritaires de tous les écologistes. Les marcheurs soutiennent le diagnostic de l’ONG environnementale qui classe la centrale «parmi les cinq plus dangereuses de France». Le lieu est exposé aux inondations et situé sur une faille sismique. Vétuste, la centrale a été construite en 1980 pour une durée de vie initialement prévue de trente ans. Les incidents sont nombreux. En juillet 2008, sur l’usine Socatri du Tricastin, plus de 74 kg d’uranium sont rejetés, contaminant les cours d’eau; en février 2012, un dysfonctionnement sur une vanne pousse à l’arrêt d’un réacteur. Greenpeace pointe également «une vingtaine de fissures sur la cuve du réacteur numéro 1»... .
Lundi, devant la centrale, Sortir du nucléaire faisait savoir qu’elle avait déposé plainte contre l’exploitant, Areva, pour avoir surrempli un conteneur d’hexafluorure d’uranium (UF6), composé chimique actif et nocif, qui permet l’enrichissement. L’erreur n’avait été détectée que douze jours plus tard.
Tout au long du parcours, à proximité d’une centrale, les marcheurs évoqueront les recours en justice engagés (lire ci-dessous). Des démarches parfois payantes, puisque à la suite d’une telle procédure, Areva-Socatri avait été reconnue coupable d’une fuite dans les cours d’eau et avait dû payer un demi-million d’euros.
Un drapeau «Nucléaire? Non merci!» flanqué sur son sac à dos, Denis Hebert dit préférer la démarche de Sortir du nucléaire aux opérations coups de poing de Greenpeace: «Nous sommes plus dans la sensibilisation, l’éducation», explique t-il.
Révélations égrenées
La marche, lente, autorise les discussions, amicales ou non. Jocelyn Peyret se rappelle ainsi des échanges positifs avec un employé du Tricastin qui disait soutenir le mouvement. Sur la route, des coups de klaxons amicaux se font entendre.
A l’entrée de sa maison, face à la centrale, Jean-Jacques Riquier regarde les marcheurs passer en haussant des épaules: «Si on supprime ça, dit-il en désignant du menton les cheminées, on supprime des milliers d’emplois.» Il n’est pas du tout inquiet de sa proximité avec le site, une dizaine de mètres à peine. Indirectement, Jocelyn Peyret rétorque que le démantèlement des réacteurs permettra d’embaucher, notamment les anciens employés du nucléaire
Le message est difficile à faire passer dans des régions qui dépendent économiquement de l’atome. «Dans chaque famille, il y a un employé d’Areva ou d’EDF», assure Jean-Michel Catelinois, le maire PS de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Sa commune héberge le site du Tricastin, qui emploie 2900 salariés. La population de Saint-Paul-Trois-Château a plus que doublé depuis l’ouverture du site avec aujourd’hui un peu plus de 9000
habitants. Le maire confie que «5 millions d’euros par an sont reversés à la commune».
Sentant le coup venir – sa commune a été critiquée par le passé –, Jean-Michel Catelinois nie tout traitement de faveur disproportionné. Il soutient que les investissements dans les infrastructures correspondent à la taille de la ville comme la salle de sports de 900places. Tout en se disant très exigeant sur les normes de sécurité il minimise lui aussi les accidents. La fuite en 2008 était selon lui «anormale mais pas non plus une catastrophe» et se demande faussement «si la France peut se passer du nucléaire?»
L’incompréhension des Australiens
Dans la file des marcheurs qui se dirigent toujours plus vers le nord, chacun appelle à plus de sobriété et espère une conversion énergétique vers le renouvelable. Lors de la pause entre midi et deux, dans le parc avoisinant la salle des fêtes de Pierrelatte, la conversation dévie facilement en débat sur les bienfaits ou non de l’hydraulique ou du photovoltaïque. Pour Philippe et son épouse Marie-Hélène, qui témoignent de la difficulté en France de s’afficher contre le nucléaire, la transition n’est qu’une question de volonté politique. Or la promesse de campagne, déjà timide, de François Hollande de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin) n’est toujours pas tenue.
La députée européenne de la Drôme Michèle Rivasi, qui soutient la marche car «les gens ne se rendent pas compte de leur proximité avec le nucléaire», s’en désole. Selon elle, «le gouvernement actuel ne se donne pas les moyens nécessaires», notamment à cause de la pression des industriels. Henri Proglio, le PDG d’EDF, «fait tout pour ne pas fermer de centrale», dit-elle.
«L’addiction de la France au nucléaire est terrifiante», s’inquiète l’Australien William Taylor sous le soleil ardent. Le fait que 78% de l’électricité consommée dans le pays provienne du nucléaire a de quoi étonner à l’étranger. L’Australie peut s’enorgueillir de quelques victoires contre le nucléaire. En février dernier, les Aborigènes, grâce aux efforts du propriétaire traditionnel des terres, Jeffrey Lee, sont parvenus à faire réintégrer le territoire de Koongara au Parc national de Kakadu, privant ainsi Areva d’un gisement estimé à 2milliards de dollars. Un exemple pour le marcheur Denis Hebert: «C’est important de voir des victoires, de voir que c’est possible de faire plier les plus gros.»
JEAN-BAPTISTE MOUTTET
Répétition d’incidents au Bugey
La centrale du Bugey, située à peine à septante kilomètres de Genève, ne cesse de faire parler d’elle. Le site, ultime étape de la marche antinucléaire, le 27 juillet, connaît des incidents à répétition. Le 24 juin, le départ d’un feu s’est déclaré en salle des machines d’un des réacteurs, qui a été arrêté. Selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), il n’y a pas eu de rejets radioactifs. Le réseau Sortir du nucléaire a déposé trois plaintes contre l’exploitant. Chaque fois, elles pointent du doigt un laxisme sur l’attention portée au bon fonctionnement de la centrale.
Ainsi, le 26 juillet 2012, un groupe électrogène censé alimenter les réacteurs à eau pressurisée en cas de perte des alimentations électriques n’a pas démarré. L’ASN n’en a été avertie que le 1er octobre 2012.
Une autre plainte concerne une fuite de tritium, hautement radioactif et la pollution des eaux souterraines du site. Là, l’ASN avait été prévenue par l’exploitant, EDF, en octobre 2012, celui-ci faisant état d’une concentration de 200 Bq/l dans un puits de contrôle au lieu des 8 mesurés en temps normal.
Parfois, les incidents peuvent paraître anodins, mais pour l’avocat de Sortir du nucléaire, Etienne Ambroselli, aucun ne l’est: «Chaque défaillance peut entraîner des erreurs aux conséquences plus graves.» Une suite de petits dysfonctionnements ont ainsi amené un camion provenant de la centrale du Bugey à décharger des gravats radioactifs dans une carrière de la commune voisine en août 2011. La présence de radioactivité dans le camion à sa sortie du site avait pourtant été détectée, mais ni le signal sonore ni la barrière empêchant la sortie des véhicules n’ont fonctionné.
Depuis environ deux ans, Sortir du nucléaire a décidé de saisir systématiquement la justice en cas d’incidents. Pourquoi avoir attendu? «Dans ce domaine, la législation est difficile à lire, elle est opaque» explique Etienne Ambroselli. L’ASN, créée en 2006, est une aide sérieuse dans ces démarches: «Dès qu’elle prend connaissance d’un incident, elle le publie sur son site, des inspecteurs enquêtent et c’est à partir de leurs rapports que nous pouvons déposer plainte.»
Petite victoire pour le réseau antinucléaire dans le cas du déchargement de gravats radioactifs: le procureur de la République a requis trois amendes contre EDF pour un total de 11 000 euros et trois amendes pour 3500euros contre le directeur de la centrale du Bugey. Les recours en justice, par leur médiatisation, font prendre conscience des risques du nucléaire dans sa gestion quotidienne.
Pour rejoindre la marche: tél (français) 06 78 75 60 55. En savoir plus: http://groupes.sortirdunucleaire.org/Marche-sur-la-route-de-l-uranium-c


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