Les bonnes intentions ne suffisent pas pour faire
de bonnes politiques sociales. Associer les citoyens aux décisions qui les
concernent importe d’autant plus qu’irrémédiables seront les dégâts résultant
de l’application d’une loi inadaptée ou de l’exercice impossible d’un droit
pour ceux qui devraient en bénéficier.
La MRIE, structure originale propre à Rhône-Alpes,
a pour fonction de produire de la connaissance sur la pauvreté et l’exclusion
sociale en associant les personnes concernées, de faciliter la rencontre entre
personnes en difficulté et institutions, d’être un lieu de connexion entre les
différents acteurs.
Nous devons beaucoup au
mouvement ATD Quart-Monde, aux universités populaires, et à de nombreuses initiatives,
locales ou non, de réflexion partagée avec ceux qui connaissent la précarité.
Dans cet acharnement à construire un chemin de libération sur la parole
construite collectivement à partir des personnes les plus pauvres, il y a la
conviction que «ce qui est fait pour moi sans moi est fait contre moi» et il
n’est pas aujourd’hui d’association même caritative qui ne considère essentiel
de «faire avec » les personnes et non pas «pour elles ».
Si l’on considère l’effet
des politiques qui concernent les plus pauvres, il apparaît trop souvent
qu’elles se retournent contre eux faute d’avoir été pensées et conçues avec
eux. Le non-recours est un effet ou un symptôme de politiques pensées sans les
personnes concernées.
Quand les pauvres sont
jugés par les non pauvres à l’aune de leurs propres repères, ils sont toujours
perçus comme déficients, incapables, et
les stratégies déployées
pour les sortir de la pauvreté ne font souvent que les y enfoncer.
Quand on pense le bien des
personnes sans elles, on est d’autant plus tenté de penser les personnes comme
des individus à sauver, non pas comme des personnes en lien avec d’autres. On a
d’autant plus tendance à considérer leurs liens comme des éléments nuisibles
dont il faudrait les extraire pour leur bien. Penser avec les personnes
concernées, c’est donc souvent en premier lieu entendre de leur part qu’elles
sont inscrites dans des liens qui les construisent, et mesurer l’importance de
prendre appui sur cette réalité pour inventer des réponses aux problèmes
auxquels nous sommes confrontés ensemble car il n’y a pas d’un côté des
personnes qui ont des problèmes et de l’autre, des techniciens qui auraient ou
devraient imaginer des solutions.
La pauvreté est un
problème auquel nous sommes confrontés ensemble, et ce n’est qu’ensemble, avec
les personnes concernées que nous pourrons trouver le moyen de le résoudre. Ce
changement de perspective est essentiel pour sortir de l’impasse des politiques
publiques en la matière, d’autant plus que nous sommes dans une période de
disette budgétaire et que nous devrons faire mieux sans moyens supplémentaires
alors que la pauvreté augmente.
Penser la pauvreté comme
le problème des pauvres est une partie du problème, c’est implicitement penser
la responsabilité de la pauvreté du côté des pauvres. C’est à la fois évacuer
notre responsabilité collective et
engager nos institutions
dans une impasse en leur assignant la responsabilité de produire des solutions.
Les tentatives de participation qui ne renoncent pas à ce schéma épuisent et
découragent ceux qu’elles associent. C’est paradoxalement au moment où la
Conférence Nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale du mois de
décembre a associé aux groupes de travail préparatoires des personnes en situation
de pauvreté, qu’a été votée la suppression des allocations familiales pour les
familles dont les enfants sont placés, au mépris de l’avis unanime de toutes
les associations engagées avec les familles les plus pauvres
L’OBSERVATION SOCIALE : UNE QUESTION CENTRALE ET RÉVÉLATRICE
C’est pourquoi la question
de l’observation sociale est centrale et révélatrice. Si elle est essentiellement
conçue en termes statistiques, les pauvres resteront les objets d’un comptage
et donc la cible de dispositifs conçus pour eux sans eux.
On cherchera peut - être à
mieux les attraper, on s’inquiètera du non- recours mais on n’en comprendra pas
les ressorts. Le développement d’une observation sociale partagée qui permette
de comprendre les processus d’exclusion est la condition d’un changement de
paradigme dans la conception des politiques de lutte contre la pauvreté. C’est
pourquoi le projet initial de la MRIE n’était certainement pas de se «pencher »
sur les pauvres, mais de les considérer comme des partenaires dans une production
de connaissance.
Il faut évoquer ici le rapport
Wresinski au Conseil Economique et Social (CES) en 1987 et citer le Président
de la section des Affaires sociales du CES. au moment du rapport: «
La vertu majeure de la
tâche accomplie pour le CES par le rapporteur Joseph Wresinski a été d’amener à
concevoir un programme d’ensemble qui nous permette, enfin, de sortir des
actions ponctuelles à l’efficacité éphémère, et des « programmes d’urgence » ne
comportant aucune garantie de pérennité.
Mais, en tant que
président de la section des Affaires Sociales, je voudrais tout d’abord rendre
hommage au rapporteur pour son intelligence des réalités de la grande pauvreté
et sa force de conviction».
L’évolution des politiques
publiques à l’égard de la participation dans les années 80 peut être lue comme
la convergence entre une prise de distance avec un modèle assistanciel et la
reconnaissance progressive d’une «expertise d’usage » des citoyens, de leur capacité
à contribuer à des décisions justes et adaptées en les associant à la réflexion
avec des professionnels ou des élus. Sur le plan législatif ou réglementaire,
cette évolution s’est traduite par une inscription de plus en plus systématique
de la participation dans le cadre des politiques publiques.
Mais on perçoit la
difficulté que pose la conception de la participation des personnes concernées
à la mise en œuvre de politiques qui ont été conçues pour elles sans elles. Or
déjà cette forme de participation peut se heurter à des freins du côté d’une
culture institutionnelle construite sur une représentation du public comme
porteur de problèmes auxquels il incombe à l’institution d’apporter des solutions.
Cette dissymétrie fondatrice d’une posture professionnelle face à des personnes
«fragiles», dissymétrie qui fonde la légitimité de l’institution à définir ce
qui est bon pour elles, est contestée par l’exigence de la participation dans
la mise en œuvre des politiques publiques. Mais ce faisant elle impose aux professionnels
de retrouver une nouvelle posture, de perdre du pouvoir, de le partager. Cela
peut être très insécurisant pour eux, crainte renforcée par les dérives où
l’usager deviendrait le client-roi d’une institution sommée de faire droit à
ses exigences.
PENSER LES POLITIQUES PUBLIQUES ENSEMBLE
La question du partage du
pouvoir ouvre alors sur la participation au niveau de la définition des
politiques et pas seulement de leur mise en œuvre. Cette voie a été développée
il y a quelques années par la MRIE sous l’appellation «connaître avec pour agir
ensemble» qui est fondamentalement la démarche construite et développée par ATD
Quart-
Monde sous le titre de
croisement des savoirs.
Le premier postulat de
cette démarche est que la connaissance, le savoir ne sont pas seulement du côté
des professionnels ou des experts mais que les personnes qui vivent la pauvreté
sont détenteurs d’un savoir dont l’ignorance est très préjudiciable à la
définition et à la conduite des politiques publiques.
La démarche de croisement
des savoirs est fondamentalement une dynamique collective. C’est ensemble en
dépassant l’horizon immédiat de sa situation personnelle qu’on élabore une
pensée. La juste place des plus pauvres n’est pas d’apporter leur témoignage
individuel mais de contribuer par leur connaissance à la conception des politiques
publiques. Cela suppose de permettre les conditions de construction d’une connaissance
à partir de leur expérience et donc de soutenir le développement de démarches
collectives impliquant des personnes en situation de grande pauvreté. Ce
soutien passe par une animation spécifique, avec des compétences pour ça. Pour
conduire honnêtement ce type de démarche en respectant les personnes que l’on y
engage, il faut que les politiques se donnent du temps et pensent à long terme.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes aujourd’hui où la conjonction d’une
action politique à courte vue et de contraintes budgétaires inédites tend à
écarter les démarches de long terme dans les choix de financement. Pour
s’attaquer sérieusement à la question de l’exclusion, il faudra bien y revenir.
Contact: Bruno LACHNITT, Directeur de la MRIE
- 141 500 personnes
étaient sans domicile en France métropolitaine début 2012, soit une progression
de près de 50% depuis 2001.
Source : Insee Première,
n°1455 -juillet 2013
Oui, c'est intéressant, cela participe de l'émancipation citoyenne ; mais il ne faudrait pas non plus oublier de redistribuer les richesses plus équitablement en amont afin d'enrayer l'appauvrissement et l'enrichissement disproportionnés.
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